En plein cœur de Strasbourg, La Chambre se pare des couleurs et des symboles de la Chine maoïste. Dès l’entrée, le décor est planté : deux jeunes femmes, l’une tenant un fusil et chacune portant un brassard rouge, posent fièrement devant le drapeau de la République Populaire de Chine. Imaginée par les commissaires d’exposition François Cheval et Audrey Hoareau du collectif The Red Eye, l’exposition Zhu Xianmin invite à faire un bond dans le passé au cœur de la Grande révolution culturelle prolétarienne. Le photographe chinois observe un pays en mutation profonde conciliant son amour du peuple avec l’idéologie du moment.
Entre réalité et propagande
L’exposition est organisée autour de plusieurs thématiques (le rôle du parti dirigeant, la défense de la patrie socialiste, la danse de la loyauté) qui donnent à découvrir l’ampleur du projet révolutionnaire planifié et orchestré par le « Grand Timonier », Mao Zedong lancé en 1962 jusqu’au début des années 1980. Une photographie donne à voir un groupe de jeunes femmes qui marchent en rythme, d’un pied ferme et impérial dans les champs.
L’idéologie politique marque l’ensemble de la vie sociale. Au champ, à l’usine ou à l’école, les photographies de la vie quotidienne semblent mises en scène, de la même manière que les images de propagande. Les visages heureux aux sourires figés et abondants révèlent une composition soignée et pensée. Mais, ce caractère artificiel interpelle et intrigue. L’exposition ne s’accorde pas à définir de manière explicite les productions de l’artiste qui sèment le doute. S’agit-il d’une pure imagerie de propagande ?
« L’œil de la vérité »
Photographe officiel de la République populaire de Chine, Zhu Xianmin (né en 1943 à Pucheng, dans la province de Shangdong) travaille à l’époque sur commande, avec la mission de magnifier le grand récit national. Prenant ses distances avec la photographie occidentale « bourgeoise », l’artiste chinois veut développer une esthétique populaire et révolutionnaire. Même mises en scène, ses images présentent la banalité du quotidien : les travaux agricoles, une scène de liesse entre des ouvrières du textile, un repas de famille.
En 1987, le photographe français Henri Cartier-Bresson confiait à Zhu Xianmin : « Tu es pourvu des yeux de l’intelligence du cœur, capables de discerner le vrai ; l’œil de la vérité est éternellement tourné vers la vie. » L’artiste valorise la simplicité des petites gens de l’arrière-pays chinois, dont lui-même est issu. Son grand talent est de saisir avec finesse une atmosphère, une émotion, un instant.
Le portrait d’une petite fille aux yeux malicieux, à hauteur de spectateur, renforce le sentiment de proximité et d’identification. La scénographie favorise l’immersion dans les photographies en variant les formats et les modalités d’accrochage. Si les images de l’artiste, à la charnière de l’idéologie et du réel, restent ambiguës, les filtres politiques s’atténuent souvent, laissant transparaître son regard singulier et chaleureux.
Au-delà de la simple illustration historique, l’exposition donne à découvrir un moment décisif de la photographie chinoise, très peu connue en Occident. Sous contrôle politique, les marges de liberté du photographe sont minces. L’inventivité visuelle de Zhu Xianmin est d’autant plus remarquable. L’exposition s’arrête à l’orée des années 1980 et des réformes économiques. À l’ouverture du pays par Deng Xiaoping, l’artiste abandonne la narration nationaliste et s’engage alors dans la photographie documentaire en révélant une réalité sans fard, et miroir de sa propre sensibilité.
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