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Yves Zehr condamné à cinq ans de prison ferme

Le tribunal de Strasbourg a condamné Yves Zehr, l’ancien dirigeant de la Coop, à cinq années de prison ferme. Il est reparti du tribunal menottes aux poings, ses biens ont été saisis et il doit rembourser la Coop du montant des bons d’achats détournés, soit 1,4 M€.

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Yves Zehr a écopé d'une sanction "exemplaire" (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)

Yves Zehr a écopé d'une sanction "exemplaire" (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)
Yves Zehr a écopé d’une sanction « exemplaire » (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)

Ancien dirigeant de la Coop Alsace de 1999 à 2011, un groupe de distribution qui comptait alors 6 hypermarchés, 22 supermarchés, 144 magasins et 3500 employés, Yves Zehr a été placé en détention mercredi soir.

Le tribunal correctionnel de Strasbourg l’a reconnu coupable d’abus de biens sociaux, de blanchiment et de faux en écriture et l’a condamné à cinq années de prison ferme, assorties d’un mandat de dépôt. Sa femme Marie-Louise a été reconnue coupable de recel d’abus de biens sociaux et a été condamnée à 18 mois de prison, assortis d’un sursis simple. Tous les biens du couple, dont l’imposante maison à Dinsheim-sur-Bruche ont été saisis. En outre, le tribunal a condamné Yves Zehr à rembourser à la Coop Alsace 1,45 million d’euros de préjudice matériel, et à payer 45 000€ de préjudice moral et 15 000€ de frais de justice. Quant à la constitution comme parties civiles du comité central d’entreprise et de 301 sociétaires de la Coop, le tribunal ne les a pas reconnues.

Le procureur de la République, Brice Raymondeau-Castanet, n'a pas cru une seconde aux explication du prévenu (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)
Le procureur de la République, Brice Raymondeau-Castanet, n’a pas cru une seconde aux explication du prévenu (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)

Des réquisitions exceptionnellement sévères

Le jugement est sévère, d’après des avocats spécialistes des délits financiers. Mais déjà les réquisitions du procureur de la République,  Brice Raymondeau-Castanet, avaient étonné les observateurs. Il a requis six ans de prison ferme contre Yves Zehr pour avoir détourné pour 1,4 million d’euros de bons d’achats, convertis en espèces, de 2007 à 2012. Pourquoi une telle sévérité ?

D’abord, Yves Zehr a fait une très mauvaise impression au tribunal. S’il a reconnu, dès le début de l’enquête judiciaire, les détournements, il a toujours nié s’être personnellement enrichi. Mais il n’est pas parvenu à expliquer où tout cet argent serait allé. Des « relais d’opinion » agissant en faveur de la Coop ? Yves Zehr a refusé de donner des noms, ou même des pistes crédibles. Des clubs sportifs ? Yves Zehr n’a pu produire que des éléments très parcellaires, et encore très tardivement.

Cet argent est donc allé directement sur ses comptes personnels, qui étaient abondés chaque année pour environ 100 000€ de dépôts d’espèces depuis au moins 2003 comme l’a révélé l’enquête. Des dépôts qui doublaient ses revenus, déjà considérables. Et là encore, Yves Zehr a exaspéré le tribunal en tentant d’expliquer la provenance de cet argent par la vente d’objets d’arts, notamment de statuettes en terre cuite en provenance de Chine, qu’il achetait à bon prix à des Chinois dans le quartier du Sentier à Paris selon lui…

Me Arnaud Friederich, Yves Zehr, et Me Bernard Alexandre lors d'une suspension d'audience (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)
Me Arnaud Friederich, Yves Zehr, et Me Bernard Alexandre lors d’une suspension d’audience (Photo PF / Rue89 Strasbourg / CC)

Des témoins à double tranchant

Le tribunal n’a pas apprécié non plus de ne rien apprendre d’une dizaine de témoins supplémentaires cités par la défense, et dont l’audition a rendu nécessaire le report de l’audience initialement prévue le 6 juin sur une seule journée. Aucun d’entre eux n’a confirmé que la conversion de bons d’achats en espèces servait déjà à arroser tout un réseau d’influence à la Coop bien avant l’arrivée de Yves Zehr au sommet de la Coop.

Pire, ils se sont montrés « choqués » qu’une telle pratique puisse exister, voire ils ont démenti l’existence de ces détournements avant l’arrivée de Yves Zehr à la présidence de la Coop. C’est peu dire que Me Bernard Alexandre, conseil d’Yves Zehr, espérait mieux des témoignages de Michèle Heitz, ancienne secrétaire d’Yves Zehr, Denis Fischer, ancien éphémère PDG de la Coop, et de Serge Lorentz, ancien secrétaire général en charge, entre autres des partenariats et ami personnel du prévenu.

Mais rien n’est venu. Ni noms, ni confirmation d’un système ancien. Serge Lorentz a même enfoncé le clou :

« Les bons d’achats pour les partenariats, c’est moi qui les ai institués. Mais les clubs et les associations destinataires devaient les convertir en marchandises dans les magasins. L’idée était justement d’éviter les versements en espèces qu’ils auraient pu dépenser dans d’autres magasins. »

Pour le procureur, Yves Zehr s’est tout simplement servi dans la caisse :

« Vous seul vous rendiez au coffre de l’hypermarché de Geispolsheim pour y convertir en espèces des bons que vous seul avez créés. Même votre secrétaire personnelle le confirme. Personne ne vous a transmis cette pratique, comme l’a démontré le témoignage de la secrétaire du PDG qui vous précédait. Et vous-même, vous n’avez transmise cette pratique à personne à votre départ. Et d’ailleurs, les versements d’espèces sur votre compte ont cessé à partir du moment où vous avez cessé d’être PDG. »

En réclamant un mandat de dépôt, Brice Raymondeau-Castanet voulait prévenir un défaut du prévenu :

« Comme durant toute la procédure, toutes les décisions du magistrat instructeur ont été frappées d’appel, il est à craindre que cette décision le soit également. Je demande le mandat de dépôt pour être assuré de l’exécution de la peine. »

Me Bernard Alexandre: « Le système existait »

De son côté, Me Bernard Alexandre, conseil d’Yves Zehr, a rappelé que s’il n’avait pas réussi à expliquer tous les versements d’argent, il avait au moins prouvé que le système de sponsoring par des versements d’espèces existait :

« Des pièces ont été produites, et si elles n’expliquent pas tout, elles confirment qu’il existait bien un système de relais d’opinion et que l’argent des bons d’achats n’a pas servi à enrichir le couple Zehr. Le reçu de 1 000€ du club d’aviron d’Erstein montre que Yves Zehr remettait bien de l’argent liquide à des clubs, en plus des partenariats officiels, pour entretenir un réseau de bienveillance favorable à la Coop. Il n’y a donc pas eu d’abus de bien social, car l’argent de la société a été dépensé au service de la Coop. Et pour les dépôts d’espèce, nous avons montré de la même manière que l’activité de marchand d’art d’Yves Zehr était réelle. »

A l’énoncé du délibéré, Me Bernard Alexandre n’a pas caché sa volonté de continuer le combat pour faire reconnaître qu’Yves Zehr ne s’est pas enrichi:


#Coop Alsace

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