L’eurodéputé français Yannick Jadot passe l’ensemble des Journées d’été de l’écologie à Strasbourg, où il lance sa campagne pour les élections européennes pour lesquelles il sera la tête de liste d’Europe Écologie – Les Verts (EELV).
Après son discours où il a notamment déclaré que « seule [sa] liste est sincèrement, radicalement, positivement européenne, parce qu’elle seule a l’ambition de révolutionner l’Europe de l’intérieur », Rue89 Strasbourg a pu poser quelques questions à l’ancien directeur des programmes de Greenpeace, qui ambitionne un score de 15% en mai 2019.
Rue89 Strasbourg : Lors de votre discours, vous avez notamment insisté sur l’action du maire de Grande-Synthe, Damien Carême, qui a été très applaudi. C’est important pour les écologistes de mettre en avant l’action d’élus locaux ?
Yannick Jadot : Bien sûr. Damien Carême c’est un maire qui, dans le contexte social difficile de sa ville, a mis en œuvre un programme extrêmement ambitieux sur le logement social, la mobilité avec la gratuité des transports à partir de septembre, les cantines bio… Et puis il est le maire qui a démontré qu’on peut accueillir des réfugiés. Ce sujet, à la fois il inquiète nos concitoyens et en même temps il est là, on ne peut pas le contourner. Il l’a accueilli avec responsabilité, sans démagogie et de manière opérationnelle du point de vue de la dignité.
Quand on parle d’écologie on entend souvent le slogan « Penser global, agir local ». Est-ce que cela vous parle ?
Oui et non. On vit dans un monde où on est informé quasiment en temps réel de ce qui se passe de l’autre côté du monde. Les combats que l’on mène, le climat ou la biodiversité, sont des problématiques mondiales, donc on doit agir à cette échelle. Mais ce sont aussi des enjeux locaux sur lesquels on peut reconstruire une société plus démocratique et solidaire.
« Quand les citoyens s’impliquent, ils deviennent moins manipulables »
Quand on se bat sur des enjeux contraignants pour les accords de Paris de la Cop21, cela se traduit à l’échelle locale par des coopératives ou des PME d’énergies renouvelables, une agriculture paysanne, d’autres formes de mobilité, la réduction des consommations d’énergie notamment dans les logements. C’est donc ni « tout est global », ni « tout est local ». On ne peut pas penser que tout se règle au niveau local, sinon on se referme.
Mais il y a cet enjeu essentiel aujourd’hui, de redonner du pouvoir aux citoyens à l’échelle locale, sur des sujets essentiels de leur vie. Quand les citoyens sont amenés à s’impliquer pour des panneaux solaires sur une école, pour les cantines bio, contre des barquettes en plastique comme à Strasbourg, c’est comme cela qu’on créé de la citoyenneté. Ces citoyens deviennent moins manipulables par les forces qui leur disent que tout ce qui leur reste c’est de détester les autres, surtout s’ils viennent d’ailleurs. On a besoin d’agir à tous les niveaux.
« Il faut parler au cœur avant de parler à la tête »
C’est une chose de se mobiliser pour contre un projet au niveau local comme le Grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg quand on estime que cela atteint son environnement proche, mais il est plus difficile de se mobiliser pour une autoroute similaire à Rouen…
Les luttes écologistes ont toujours un côté Nimby (Not in my backyard en anglais pour « pas dans mon jardin »). C’est aussi une façon pour plein de gens de rentrer dans le combat écolo. J’ai vu plein de monde devenir écologiste car telle rivière était polluée, telle infrastructure allait se construire… Le GCO évidement, c’est aussi une façon de découvrir ce qui va perturber son environnement. Et souvent les gens, pas tous, vont faire le lien entre « mon environnement » et l’Environnement en général. L’Environnement c’est d’abord une émotion, c’est se sentir scandalisé. Et cette émotion, la colère de la destruction, va amener à construire une réflexion. Il faut parler au cœur avant de parler à la tête.
Partout en France, des élus écologistes locaux se questionnent quand même sur leur rôle dans une majorité locale non-écologiste. Ils font basculer les élections mais ne sont pas toujours très suivis sur les dossiers stratégiques…
Nous avons des élus investis. En Occitanie, une de nos vice-présidente (Agnès Langevine) veut créer la première région « à énergie positive ». Il y a des choses qui se font partout, c’est au niveau local que se mettent en place des contrats qui aident les agriculteurs à sortir des pesticides, des contrats sur la mobilité, sur les énergies renouvelables… Au fond, c’est plutôt sur les élections nationales que nous avons des difficultés. Sur les élections locales et européennes, les électeurs reconnaissent notre action.
« On a besoin de mieux valoriser nos actions »
C’était le sens de mon discours à Strasbourg : aujourd’hui tout le monde parle d’écologie, mais à l’évidence, les Français s’aperçoivent qu’il y a ceux qui en parlent et ceux qui la font. Il faut arriver à montrer que, nous, on fait la différence, c’est vrai. Nos élus sont tellement investis qu’on ne prend pas le temps de valoriser nos actions. Comme s’il était évident que les écologistes sont à l’origine de plus de bio dans les cantines… Or les gens le savent assez peu. Au bout du mandat, l’élu est content parce qu’il a agi, mais ce n’est pas forcément reconnu.
À Strasbourg, on a un grand quartier qui se construit vers le Rhin, les Deux-Rives et un adjoint à l’urbanisme écologiste, mais il ne saute pas aux yeux que ce quartier a été construit différemment de tout ce qui s’est construit ailleurs…
Nous n’avons pas toutes les manettes, nous ne sommes pas majoritaires – ce qui peut faire la différence – et les collectivités n’ont plus beaucoup d’argent. C’est une discussion que l’on a eu dans un atelier : Strasbourg dans son contrat avec l’Etat n’a pas exclu, comme le font d’autres villes, les fonds européens du pacte financier qui limite les hausses de budget. Ça n’a plus d’intérêt d’aller les chercher ces financements…
Les militants écologistes sont parfois désabusés par la politique et préfèrent se tourner vers l’action associative où ils se sentent plus efficaces.
Je sais, c’est la politique en général qui déçoit. Mais chez nous, les militants sont souvent investis dans les deux. Il n’y a pas une lutte locale où il n’y a pas de militants écologistes. Les jeunes sont très déçus et préfèrent un engagement local. À nous de leur redonner confiance. Je viens de l’associatif et je fais de la politique, car je crois dans le courage politique.
« La santé est devenue un sujet majeur de préoccupation »
En tant qu’eurodéputé, sur quels sujets êtes-vous le plus souvent interpellé ?
Aujourd’hui ? (Sans hésiter). La Santé. On est quand même le pays de la gastronomie et voit que la question tourne autour de la « malbouffe », aussi dans le sens sanitaire. C’est devenu un sujet majeur de préoccupation. La biodiversité aussi, de plus en plus, avec d‘espèces d’oiseaux ou d’insectes qui disparaissent trop vite. C’est finalement assez concret. La question du climat est toujours plus difficile, car elle reste presque abstraite, malgré quelques images ou les chaleurs l’été. Y compris pour les solutions au dérèglement, qui apparaissent comme technologiques. Le citoyen a plus de mal à s’en saisir.
Nicolas Hulot de l’Écologie est-il un ministre à encourager ou à attaquer ?
Il faut toujours l’encourager ! J’aimerais qu’il gagne plus d’arbitrages. Le bilan du gouvernement, ce n’est pas le bilan de Nicolas Hulot. C’est un écologiste convaincu, qui se bat. Le problème c’est que l’écologie de ce gouvernement, quand il s’agit de communication c’est Nicolas Hulot, quand il s’agit d’action c’est Stéphane Travert (le ministre de l’Agriculture), c’est la FNSEA, EDF, Total… C’est ça le problème.
Aujourd’hui, Nicolas Hulot part en guerre contre les pesticides, mais vous vous souvenez d’un Nicolas Hulot actif à l’Assemblée nationale pendant les débats sur la loi agriculture et alimentation quand on était dans le dur ? Non, c’était Stéphane Travert la voix du gouvernement.
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