À Wasselonne, petite ville d’Alsace entre Kochersberg et Vosges, la vie s’écoule tranquillement, agrémentée du chant des oiseaux et d’une vue qui oscille entre les bâtiments historiques et les collines verdoyantes alentours. Ce jeudi 19 mai, les agents communaux sont occupés à changer les géraniums qui ornent chaque coin de rue du centre-ville, des asperges sont annoncées à midi au bar Le Bouc où deux retraités sont attablés. En sirotant leur demi, ils se promettent une « sieste approfondie ».
Dans ce décor qui semble idyllique, 1 483 Wasselonnais ont glissé un bulletin Marine Le Pen dans l’urne le 24 avril 2022. Ce qui fait que cette commune d’environ 5 700 habitants a voté majoritairement (50,56%) à l’extrême-droite à l’élection présidentielle pour la première fois.
Pas un traumatisme pour les Wasselonnais croisés jeudi 19 mai. Comme Stéphanie, 30 ans, qui promène son chien, un Jack Russel docile et attaché à ses coins favoris. Responsable d’une boutique de vêtements à Strasbourg, elle prend le bus 230 chaque matin, ce qui l’amène à Strasbourg en 40 minutes. Un service cadencé toutes les 10 minutes et qui évite à la commune d’être déconnectée des villes, malgré l’absence d’une gare. Stéphanie ne s’intéresse pas à la politique, elle n’a pas voté à l’élection présidentielle et reproche surtout à Wasselonne une vie nocturne inexistante : « Ici c’est mort après 21 heures… On vit bien, mais c’est surtout pour les jeunes que c’est problématique. »
Une riche vie festive et associative
Pourtant, il y a bien une vie culturelle à Wasselonne. Une fête foraine a occupé la place du village quelques jours auparavant et l’espace Saint-Laurent accueille une pièce d’Éric-Emmanuel Schmitt, « La vengeance du pardon ». La petite ville se prépare surtout pour son gros rendez-vous annuel, la course de caisses à savon, dimanche 5 juin.
Cet événement, qui se termine par un feu d’artifice, est organisé par la dynamique association des commerçants et professionnels du bourg, l’Asca. Les Wasselonnais lui doivent une dizaine d’événements par an, à Noël, à Pâques, etc. « On veut que les gens se sentent bien à Wasselonne, assure Philippe Wohlgefarth, l’un des membres actifs. On ne parle pas de politique à l’association. La mairie est sans étiquette et c’est ce qu’on aime. »
« Tous pareil »
Maire depuis 2014, Michèle Eschlimann s’est effectivement présentée sans étiquette, mais elle a été soutenue par « Les Républicains ». Vice-présidente de la Collectivité d’Alsace, elle est bien dans une majorité politisée et à droite. Mais la politique, c’est un gros mot à Wasselonne, les habitants rencontrés préfèrent dire qu’ils ne s’en mêlent pas ou que « les politiques sont tous pareils », un ressort classique du vote contestataire.
Logan, 31 ans, est de ceux-là. Employé dans le secteur de la sécurité, il vient d’Obernai et s’est installé à Wasselonne pour suivre sa compagne. Il ne regrette pas : « Il se passe pas un mois sans qu’il y ait un truc, messti, braderie, foire… C’est très vivant ici et pour les gamins, c’est super. Ils font beaucoup d’activités et qui, en plus, sont prises en charge. » Dans ces conditions, pourquoi voter à l’extrême-droite alors ? Logan met ce vote sur le compte des vieux : « Il y a beaucoup de personnes âgées ici. Elles ont connu l’époque industrielle et maintenant, y’a une ambiance de friches… ».
C’est vrai que Wasselonne a eu son heure de gloire économique, avec des activités dans les tissus, le papier… En 2018, il restait une douzaine d’établissements industriels de plus de 10 salariés selon l’Insee. Mais le territoire va bien, le taux de chômage y est résiduel, l’un des plus bas d’Alsace. La situation économique ne peut donc pas non plus expliquer la progression du vote d’extrême-droite. Contrairement à Sainte-Marie-aux-Mines (lire ici) ou Sarre-Union (à paraître), les questions de pouvoir d’achat ne reviennent d’ailleurs guère souvent dans les arguments des électeurs RN rencontrés.
Le pass sanitaire, nouveau ressort du vote RN
Rencontrée sur le circuit des emblèmes et métiers d’autrefois, Sylvie, 57 ans, ne fait pas de tourisme. Elle se hâte pour un rendez-vous avec son assistante sociale. Veuve depuis quelques temps, elle a du mal à trouver un emploi, ayant été toute sa vie femme au foyer. Elle a voté Jean Lassalle au premier tour et Marine Le Pen au second : « Le passe sanitaire, c’est quoi ces conneries ? » Emmanuel Macron, elle ne peut plus le voir.
C’est aussi le cas de la mère de Mélina, commerçante qui a voté blanc au second tour. Pour elle, « les gens d’ici, comme ma mère, ne sont pas devenus plus racistes. C’est plutôt la politique libérale du gouvernement qu’ils ont mal vécue ». Elle évoque des « groupes d’entraide » qui se sont créés entre personnes ayant refusé les vaccins contre le Covid-19 : « Ça démarre sur les petits coups de main entre voisins, mais ça dérape vite sur la politique et l’extrême-droite », se désole-t-elle.
La télé allumée sur CNews
Comme Daniel par exemple. À 66 ans, il attend son petit-fils devant l’impressionnant groupe scolaire de Wasselonne. Il ne « dira pas pour qui il a voté » mais « tout est fait d’avance », selon lui. « On nous raconte que des mensonges. » Cindy, 42 ans, attend aussi ses enfants. Mère au foyer isolé, elle trouve que Wasselonne « commence à devenir chère. » Elle a voté Marine Le Pen : « Oui elle est un peu d’extrême-droite mais Macron c’était pas possible, après ce qu’il nous a fait avec les vaccins. » Même discours d’Emmanuelle, 52 ans, assistante maternelle qui espère qu’après avoir envoyé un coup de semonce à Emmanuel Macron, celui-ci prendra mieux en considération les classes moyennes.
Au bar Le Bouc, la patronne se prépare pour l’apéro. Pour elle, le vote RN à Wasselonne s’explique par la trop forte proportion de personnes étrangères. Invisibles en ville ou devant l’école, où sont-ils donc ces étrangers ? « Ah ça, on les voit pas mais il y en a beaucoup », assure-t-elle en desservant quelques verres. De retour derrière son comptoir, elle a une vue directe sur une télé accrochée en hauteur et allumée en permanence sur CNews.
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