Au-dessus du village de montagne de Wangenbourg, la communauté de communes de la Mossig et du Vignoble (CCMV) compte investir près de 2 millions d’euros pour construire un « Trail Center ». Il s’agit d’aménager la prairie dite du Langacker, sur huit hectares, avec des petites bosses goudronnées, des obstacles et un tapis roulant pour remonter les pentes à VTT. Un bâtiment regroupera l’accueil, la location et réparation de matériel, des salles pour séminaires et fêtes, des bornes de recharge électriques ou une offre de petite restauration.
À cet espace s’ajoutent 21 kilomètres de pistes de VTT dans la forêt pour les usagers un peu plus aguerris. Les travaux doivent débuter en 2022 pour une ouverture en 2023. Les prix ne sont pas encore fixés, indique Daniel Acker, maire de Wangenbourg. Dans une présentation du projet, la CCMV table sur des tarifs de location de 10 à 35 euros la demi-journée selon le modèle. L’entrée serait facturée autour de 10 euros les 2 heures. Le fonctionnement serait subventionné à hauteur de 94 720 euros par an.
Pas d’étude environnementale
« Pour moi, il est totalement inenvisageable que le projet se fasse à cet endroit », déplore Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature :
« Bien-sûr, nous ne sommes pas contre la pratique du vélo. Mais on ne peut plus se permettre d’artificialiser les sols, de détruire des milieux naturels. La priorité, dans toute construction et aménagement, doit être de trouver des sites déjà urbanisés. Pourquoi ne pas mettre ce Trail Center dans une zone industrielle ? »
Interrogé, le maire esquive. La demande de permis de construire a été déposée le 19 octobre. Aucune étude environnementale n’a été réalisée. La communauté de communes avait demandé une dérogation, accordée par la préfecture le 6 avril 2020. Cette dernière a estimé que le site ne présentait pas de « sensibilité environnementale notable ». « Mais justement, comme il n’y a pas d’évaluation, on ne connait pas vraiment l’écosystème. Une étude complète, c’est le minimum que l’on puisse faire », s’insurge Rolande Einsetler, du groupe local d’Alsace Nature. Selon elle, le merle à plastron, des oiseaux migrateurs et des cervidés sont régulièrement observés dans cette prairie ou la forêt voisine.
Un contexte de grande tension entre les différents usagers du massif des Vosges
Le Trail Center a été imaginé par Alp’evasion, un bureau d’étude basé près de Grenoble, spécialisé dans le tourisme de montagne. « C’est aussi ce que nous reprochons », explique Paul Lutz, du collectif de défense du Langacker de Wangenbourg, créé en mai 2021 : « Nous estimons qu’un projet touristique, avec autant d’investissement public, devrait émaner d’initiatives locales. » Depuis 2018, les élus du coin ficellent ce plan. « Nous voulions développer le tourisme sur le territoire. C’est ce programme que nous avons choisi », défend Daniel Acker, qui est aussi le président de la communauté de communes :
« Cela participera au dynamisme économique du secteur. Des séances d’initiation aux pratiques respectueuses de l’environnement seront proposées, et nous pourrons accueillir des sorties scolaires. »
Pour le maire de Wangenbourg, l’objectif est aussi de « pacifier les conflits entre les différents usagers du massif ». Il estime que la création de lieux encadrés et spécifiquement dédiés à certaines activités peut aider à apaiser les tensions entre randonneurs et vététistes. Cette pratique est en essor depuis les confinements et le développement des VTT à assistance électrique. Et les conflits qui vont avec.
La communauté VTT des Vosges a dénoncé mi-septembre, dans une lettre ouverte, la pétition de l’association SOS Massif des Vosges, qui souhaite limiter cette pratique. Elle évoquait aussi l’installation de nombreux pièges destinés aux vélos. C’était quelques jours après l’accident de Gaétan Brouda, 18 ans, grièvement blessé par une planche cloutée lors d’une sortie VTT dans la vallée de la Doller. Une enquête est en cours mais les criminels et leur appartenance à un groupe d’usagers de la montagne ne sont pas déterminés.
Le Trail Center va promouvoir le VTT dans les Vosges
Stéphane Giraud estime de son côté que le Trail Center n’est pas une solution à ce type de problème. Au contraire, selon lui, il pourrait l’amplifier :
« L’infrastructure est prévue pour accueillir jusqu’à 1 000 personnes en même temps. Surtout, elle va promouvoir le VTT dans les Vosges. Ces pistes ne sont pas destinées aux VTTistes qui ont l’habitude de rouler sur des sentiers, mais à un nouveau public familial et débutant. Aujourd’hui, il faudrait penser à limiter la fréquentation du massif. »
Les cyclistes plaident pour un équilibre
C’est effectivement le public visé, d’après un document de présentation du projet consulté par Rue89 Strasbourg. Francis Buchwalter, président du comité départementale du cyclisme du Bas-Rhin, dit ne pas connaitre le cas de Wangenbourg et ne se prononce pas dessus. De manière générale, il considère aussi que « les VTTistes qui ont l’habitude de rouler dans la nature ne seront pas attirés par des pistes encadrées ».
Alors que son mandat vise entre autres à « développer la pratique » du VTT, il encourage de manière générale les infrastructures « qui vont dans ce sens ». Mais en même temps, il plaide aussi pour une prise en compte des enjeux environnementaux, pour limiter au maximum les impacts des sports de nature.
Philippe Lambert, son homologue Haut-Rhinois spécialiste des questions liées au VTT pense avoir trouvé une solution et plaide pour un dialogue approfondi avec les randonneurs :
« De manière systématique, tous les acteurs doivent se mettre autour d’une table et discuter de l’occupation de la montagne. Nous avons de plus en plus d’accords avec le club vosgien localement pour des circuits communs entre les marcheurs et les randonneurs, avec des déviations pour les uns et les autres. C’est par exemple le cas à Saint-Amarin. »
Mais c’est là que ça se complique, c’est justement la création d’une piste commune pour le vélo et la randonnée à Saint-Amarin qui avait poussé SOS Massif des Vosges à se mobiliser. Le problème est encore loin d’être réglé.
Pistes sauvage et impact sur la nature
Ce que les écologistes reprochent régulièrement aux cyclistes, c’est l’apparition de pistes sauvages tracées illégalement dans la nature. Elles perturbent les animaux et favorisent l’érosion du sol. Philippe Lambert, du comité du cyclisme ne nie pas le problème : « C’est une réalité, et nous la combattons au niveau de la Fédération. Nous appelons les VTTistes à rester sur les pistes qui leur sont dédiées. »
Pour Stéphane Giraud d’Alsace Nature, il faut de manière général s’interroger sur l’afflux massif de touristes dans les Vosges, qui impacte ses animaux :
« En hiver, cela peut conduire à leur mort, car ils sont obligés de mobiliser de l’énergie pour fuir alors qu’ils sont censés l’économiser. Au printemps et en été, leur reproduction peut-être perturbée. »
La communauté de communes veut « débaliser » 102 km de pistes de VTT existantes
Dans une tentative d’équilibrer les pratiques entre randonneurs et cyclistes, la CCMV prévoit en contrepartie d’enlever les panneaux d’indication pour VTT sur 102 km de pistes qui leur sont dédiées, dès le jour où le Trail Center sera inauguré. Ce « débalisage » est une aberration pour Paul Lutz, du collectif de lutte contre le projet :
« Il faut que les circuits soient balisés. Sinon la pratique sera plus archaïque. On risque d’avoir plus de circuits illégaux. Là, on va se retrouver avec une infrastructure qui accueillera un nouveau public, qui sera potentiellement important, et en plus, les cyclistes qui étaient déjà là n’auront plus de pistes balisées. C’est tout sauf un progrès. »
Pour le collectif de défense du Langacker, l’association Alsace Nature a mis en ligne une pétition pour demander une « évaluation sérieuse de l’impact environnemental et économique » et « d’impliquer les acteurs du tourisme et les associations locales plutôt que de reproduire des concepts élaborés par des industriels du tourisme ». Début novembre, près de 1 000 personnes ont signé dans l’espoir d’un « moratoire » décidé par les élus locaux. « Cela doit être l’occasion de réfléchir les sports de nature, pour que ceux-ci ne la détruisent pas. » conclut Stéphane Giraud. L’association plaide pour que les nouvelles activités proposées en montagne soient douces et non invasives, comme la randonnée d’observation.
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