« On est tous rentrés en bonne santé, on ressort tous claqués ! », martèle Abdelmalik, employé de l’usine Clestra depuis bientôt 29 ans, présent sur le piquet de grève du jeudi 10 août. Depuis début juillet, il est mobilisé avec ses collègues pour sauver son emploi, après la reprise de l’entreprise fin 2022 par le groupe Jestia.
Opéré trois fois de la colonne vertébrale en six ans à cause d’un tassement des vertèbres, Abdelmalik a échappé de peu à la paralysie. Ce n’est malheureusement pas le seul problème de santé dont il est victime. Souffrant d’une double hernie abdominale, une nouvelle opération est prévue dans les prochains mois. Des problèmes d’usure, dus au port de charges lourdes, auxquels de nombreux employés de Clestra sont sujets. Âgé de 54 ans, il trouve difficile de suivre le rythme désormais :
« On n’a plus 20 ans. Donc, quand la charge de travail augmente et qu’on doit bosser du lundi au samedi midi, on prend un sacré coup. Quand on revient le lundi suivant, on est encore éclatés. On n’a pas le temps de se reposer et le corps ne récupère pas. »
Abdelmalik, en pantalon malgré le grand soleil et les fortes chaleurs, confie : « Il y a de ça 10 ans, je me suis planté une agrafe d’environ 8 cm dans le tibia. Depuis, ça n’a toujours pas cicatrisé. Je pense que c’est lié aux nombreux chocs pendant le travail. Il arrive régulièrement que je me remette à saigner. » Il conclut, inquiet : « J’ai peur d’attraper une gangrène et de devoir me faire amputer… »
Marc, 44 ans, est employé de Clestra depuis 18 ans. Il ironise en annonçant qu’il détient « le record d’accidents du travail dans l’entreprise ». Contraint de porter des broches et des vis dans la cheville et dans l’épaule, il déclare : « Je vais avoir des problèmes de santé toute ma vie, sur le long terme. J’ai des douleurs fréquentes, quand je porte trop, ou que je marche trop, tout simplement. » Cheville écrasée entre une machine et des palettes, poignet agrafé, pied cassé… Après cinq accidents du travail, il ne reste plus grand chose d’indemne chez Marc.
Forcés d’exécuter des gestes répétitifs toute la journée, plusieurs salariés de Clestra souffrent de tendinites au sein de l’entreprise, selon les ouvriers. « Il y en a plein partout dans l’usine », affirme Bertrand (prénom modifié), qui s’est justement fait opérer de l’épaule le 20 juillet, suite à une tendinite : « J’ai des vis dans l’épaule car elle se déboitait tout le temps. Je suis foutu, j’aurai des problèmes toute ma vie. »
« C’est trop, on nous en demande trop »
Chez Clestra, d’après les employés, les accidents du travail sont fréquents. Selon Abdelmalik, en 2018, il y a eu trois accidents du travail sur un même poste, dans la même semaine. Un problème qui viendrait, selon les employés, de la charge de travail : « C’est trop, on nous en demande trop », balaye-t-il. Les grévistes font également part d’un problème de sous-effectif fréquent, notamment Abdelmalik, qui témoigne :
« À la base, on nous impose le travail en binôme pour des questions de sécurité. Mais ça arrive souvent qu’on se retrouve seul sur un poste. Il y a deux ou trois ans de ça, je suis resté une semaine entière à travailler tout seul. Le responsable passait et je lui disais que j’avais besoin de quelqu’un pour travailler avec moi, je ne m’en sortais pas tout seul. Mais il n’a rien fait. »
Face aux licenciements et démissions récentes suite au rachat de l’entreprise par le groupe Jestia, les grévistes craignent que ce sous-effectif ne s’aggrave encore. Par exemple, les ouvriers assurent qu’ils étaient « huit dans le secteur de l’emballage il y a quelques années », contre seulement « deux ou trois ces derniers mois, pour assurer la même charge de travail ». « Déjà que c’était dur avant, maintenant qu’ils veulent supprimer des emplois, ça risque d’être encore pire », souffle Abdelmalik, dépité. Le groupe Jestia, mutique depuis le début de la crise début juillet, n’a pas répondu aux sollicitations de Rue89 Strasbourg.
Selon les ouvriers présents au piquet de grève, dès son arrivée au sein de l’entreprise, la direction a supprimé le poste d’infirmerie. Aujourd’hui, seul un secouriste est présent sur le site, qui n’est ni infirmier, ni médecin. Les ouvriers se retrouvent donc obligés de prendre cette responsabilité en cas de problème. Il y a quelques semaines, alors qu’un des employés s’était planté un clou dans le doigt, un de ses collègues a été forcé de prendre sa voiture personnelle pour l’emmener à l’hôpital, sur ses heures de travail, racontent plusieurs grévistes.
« Changer de métier, j’y pense tous les jours »
Pour la plupart pères de famille, certains ouvriers de Clestra se disent contrains de continuer dans cette entreprise pour des questions financières. « Je suis presque handicapé mais je travaille encore. J’ai besoin de cet argent… », confie l’un des grévistes. Père de six enfants, Abdelmalik poursuit, désabusé :
« Changer de métier, j’y pense tous les jours. Mais il y a les factures derrière, le loyer, la pension alimentaire… Il y a tellement de choses à payer. »
« À chaque arrêt suite à mes accidents, je suis revenu au travail plus tôt », déclare Marc. Et il n’est pas le seul à avoir fait ce type de concession. « Je ne compte plus les fois où je suis venu travailler alors que j’avais mal partout. Je ne voulais pas me mettre en arrêt », raconte Bertrand, agacé. « Si on pousse autant, c’est pour faire gonfler le salaire. Avec les heures supplémentaires, on a des primes d’activité. Sans ça, on serait au Smic », explique Abdelmalik. Des primes non négligeables pour les ouvriers, que la nouvelle direction aurait pour objectif de supprimer, selon les grévistes.
Face à la gestion de la nouvelle direction, nombre de salariés regrettent d’avoir mis leur santé en danger pour l’entreprise. « Au vu de ce qu’il se passe aujourd’hui, je regrette d’avoir autant donné. Si je devais recommencer, je me poserais deux fois la question… », confie Marc. Un avis partagé par son collège Abdelmalik : « Si je devais le refaire, avec toute la connaissance d’aujourd’hui, jamais je le referais », déclare-t-il. Après une courte réflexion, il conclut : « Franchement, j’ai foncé droit dans le mur… »
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