Vers 9h30 au Centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Flora Tristan, deux jeunes enfants jouent dans la salle de jeu, située face à la salle d’attente. Leur mère apprend le français à l’étage. Toutes les femmes qui ont recours aux services de l’association SOS Femmes solidarités, dont fait partie le CHRS, peuvent s’inscrire au cours. À droite de la salle d’attente se trouve la cuisine.
Inna (son prénom a été modifié) confectionne du khachapuri, une galette au fromage d’origine géorgienne. Elle a 40 ans et est ukrainienne. La mère de trois enfants a quitté son mari violent il y a un an. Ils vivaient ensemble depuis 20 ans. Désormais, elle loge en hôtel. Elle raconte :
« Quand un homme devient violent, verbalement et physiquement, on cherche des prétextes pour sauver la famille, et on reste. Mais je ne voulais pas que mon fils grandisse avec l’idée qu’on puisse être violent envers les femmes. Je ne voulais pas que mes filles pensent que face à de tels comportements, elles doivent se taire. »
Sa fille rentre dans la pièce, Inna interrompt la conversation. Quand la petite fille sort, la dame reprend :
« Maintenant, je dois me reconstruire. Le CHRS m’a aidée car on a besoin d’un regard extérieur. Sans l’association, je n’aurais pas osé partir, même si je travaille et que je suis indépendante. »
Aujourd’hui, Inna témoigne : « Il ne faut pas que les femmes restent silencieuses face aux violences de leur conjoint. Je suis fière de moi, car j’ai osé partir. »
Ainsi, à Strasbourg, l’association SOS Femmes solidarités a mis en place un accueil de jour départemental, dédié à l’écoute des victimes. Le service soutient les femmes à toutes les étapes de leurs décisions. Le CHRS Flora Tristan se spécialise dans l’accompagnement des femmes sur la durée.
Au total, 39 familles regroupant femmes et enfants sont hébergées sur une période de 18 mois. Les équipes aident les femmes dans leurs démarches, par exemple en cas de divorce. La maison relais « Les Forgerons » accueille des femmes en situation de grande précarité, avec un parcours de rue important, dans 17 appartements. Le dispositif d’intermédiation locative (IML) permet également de loger des femmes.
Une baisse de dotation, la perte d’un poste
Le président de la République Emmanuel Macron a annoncé le 25 novembre 2017 que l’égalité entre hommes et femmes serait la « grande cause du quinquennat. » Mais pour Thomas Foehrlé, directeur de l’association SOS Femmes solidarités à Strasbourg, les moyens pour lutter contre les violences conjugales ne sont « clairement pas à la hauteur ».
Depuis 2018, 57 millions d’euros d’économies sont réalisés sur quatre ans dans les crédits des quelque 780 CHRS de France. L’objectif du gouvernement est de mener une « réforme structurelle » visant à mettre la priorité sur l’accès au logement, alors que les dispositifs d’hébergement doivent « demeur[er] une solution temporaire de transition vers l’accès au logement ». Les moyens mobilisés pour cette réforme ont été de 22,89 millions d’euros pour l’année 2018, afin d’ouvrir 6 000 places d’intermédiation locative (IML) et 1 700 places de pensions de famille.
Le centre Flora Tristan affirme avoir fait les frais de cette politique. Selon le directeur de l’association SOS Femmes solidarités à Strasbourg, Thomas Foehrlé, la baisse de dotations a représenté une coupe de 6% dans le budget total, soit 30 000 euros en deux ans :
« On a perdu un poste d’accompagnant sur six. On en a donc plus que cinq, pour 39 familles, alors que la demande d’hébergement n’a pas baissé. »
Le directeur ajoute :
« À Strasbourg, SOS Femmes solidarités a obtenu un crédit non pérenne de 17 000 euros en 2019, grâce à la mobilisation des acteurs sociaux. L’équivalent du financement d’un demi-poste, mais à renégocier… on ne sait pas encore ce qu’il en sera pour 2020. Le manque de visibilité nous empêche d’embaucher quelqu’un à mi-temps ».
Thomas Foehrlé explique que dix à quinze familles victimes de violences conjugales attendent leur prise en charge par le CHRS. En attendant, elles sont hébergées par des pairs ou sont restées au domicile conjugal. Certaines ont obtenu des places d’urgence en hôtel ou en appelant en hébergement d’urgence, théoriquement réservé aux sans-abris. Il ajoute :
« Parfois, des associations reçoivent des fonds pour créer des places pour les victimes de violences conjugales. Mais ces associations ne sont pas toujours spécialisées dans la prise en charge de ce public. Ce qui serait intéressant, c’est une politique de logement dédiée aux femmes victimes et ne pas mélanger tous les publics comme les demandeurs d’asile ou les personnes sans-domicile… Chacun nécessite des accompagnements différents. »
Thomas Foehrlé, directeur de SOS Femmes solidarités à Strasbourg
« Le problème du confinement, c’est maintenant »
À gauche de la salle d’attente du CHRS Flora Tristan, on trouve le bureau des travailleurs sociaux. Pour Stéphane Maisch, éducateur spécialisé au CHRS Flora Tristan, les hébergements en hôtel ont été nécessaires. Cependant, « ils sont particuliers », estime-t-il :
« Il est difficile d’y élever des enfants en bas âge et il n’y a pas toujours de cuisine. Parfois, des femmes ne se sentent pas en sécurité, car elle sont recherchées par leur ex-conjoint. Lorsque cette alternative dure plusieurs mois, certaines femmes sont contraintes de retourner au domicile conjugal. »
Stéphane Maisch, éducateur spécialisé au CHRS Flora Trsitan »
L’enjeu à la sortie du confinement est de reloger toutes les familles. Thomas Foehrlé explique :
« Le problème, ce n’est pas le confinement, c’est maintenant. Pendant trois mois, les femmes et leurs enfants ont pu être logés. C’était presque miraculeux qu’on ait autant de places si vite. D’habitude on peine à trouver des hébergements d’urgence. Maintenant, on doit reloger beaucoup de personnes d’un coup. Nous proposons des projets. On verra si l’État les financera. »
Thomas Foehrlé, directeur de SOS Femmes solidarités à Strasbourg
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