Strasbourg (6ème) et l’Asvel (1er) s’affrontent à l’Astroballe de Villeurbanne dimanche 5 mai à 18h30. Un match de fin de saison aux enjeux limités, avant les phases finales en mai et juin.
Depuis la moitié des années 2010, les deux grandes villes ont développé une intense rivalité après s’être imposées sportivement comme les deux places fortes du basket français. Strasbourg a disputé cinq finales entre 2013 et 2017, sans l’emporter. L’Asvel, propriété de la superstar française Tony Parker a remporté le titre face aux Strasbourgeois en 2016. S’en était suivie une demie-finale rocambolesque l’année d’après, où la SIG l’avait emporté trois manches à deux, après avoir perdu les deux premières joutes en Alsace. Pour le printemps 2019, l’Asvel fait figure de favori de la fin de saison.
Mais cette lutte pour la suprématie française ne se joue pas que sur les lattes de parquet. Une autre bataille se trame dans des salons plus feutrés, où se négocient permis de construire et soutiens d’entreprises : celle de la future salle moderne de France ou « arena » en anglais. Un nouvel échelon jugé indispensable pour générer plus de revenus, asseoir sa domination nationale et se frotter aux sommets européens
Choix sportifs : Euroleague contre BCL
Quel que soit le champion en juin, l’Asvel est « invitée » à se frotter au gotha européen en 2019/2020 et idem la saison suivante en 2020/2021. Aucun club français n’avait participé à l’Euroleague depuis… Strasbourg en 2015/2016 (déjà invitée à l’époque). S’en est suivie une réforme de la compétition-reine, qui est en fait une société privée détenue par les clubs. « Tous les clubs ont une part, mais elle est phagocytée au 3/4 par le Réal de Madrid, le FC Barcelone et Maccabi Tel-Aviv, qui décident ce qui s’y passe », explique Pascal Legendre, journaliste spécialisé pour le site Basketeurope.
La SIG a pour sa part fait le choix d’une autre compétition, la mal-nommée Basketball Champions League (BCL). Peu de « champions » nationaux y concourent, mais plutôt les équipes de deuxième rang, comme son équivalent l’Eurocup (aussi détenue par l’Euroleague).
8 000 places à Strasbourg, 10 000 à Lyon
À Strasbourg, le projet est fixé. Le Rhénus Sport, inauguré en 2004 sera agrandi et deviendra le « Crédit Mutuel Forum », en passant de 6 000 à 8 000 places (voire 10 000 à moyen-terme) et avec des commerces ouverts toute l’année dans l’enceinte, bientôt au milieu du nouveau quartier d’affaires de Strasbourg (Archipel), face au Parlement européen. Le projet se chiffre à 40 millions d’euros, un quart étant apporté par les collectivités locales.
Annoncée depuis plus de 10 ans et relancée en 2016 après la reprise de l’Asvel par Tony Parker, la “M Arena”, une salle de 10 000 places assises (12 000 pour les concerts) est dans les cartons du club villeurbannais.
Cet immense complexe sportif devrait en plus du terrain de basket, accueillir : un hôtel, des bureaux (10 000 m² sur 7 étages), et plusieurs commerces (980 m²). Le tout à la place de l’ancien stade Georges-Lyvet à Villeurbanne. L’astroballe, actuelle salle de l’Asvel, qui affiche un taux de remplissage de 98% avec 5 600 places, ne sera pas détruite. Jean Paul Bret, maire socialiste de Villeurbanne, particulièrement attaché au club de basket de sa ville, explique :
“L’Astroballe n’est pas désuète malgré ses 23 ans d’existence, il n’est pas question de la désaffecter. Peu importe l’avenir sportif de l’Asvel, il y a tout de même des rencontres qui se dérouleront devant 6 000 spectateurs donc il y aura toujours besoin d’une deuxième salle. Elle pourra toujours accueillir certains matchs de l’ASVEL et d’autres événements.”
Calendrier serré et rails de velours à Strasbourg
La demande de permis de construire à Strasbourg a été déposée fin janvier et devrait être délivré fin mai. Aucune velléité de recours n’a été annoncée. Le club est dans la phase finale du bouclage financier et attend les derniers votes des collectivités locales au printemps.
Ainsi, le dossier ne devrait pas s’inviter dans les joutes des élections municipales en vue des élections de mars 2020. Les premières démolitions du Rhénus Nord devraient intervenir en octobre. Comme le club continuera de jouer dans la salle, une partie du gros-œuvre ne peut être fait qu’à l’intersaison. Il faut ainsi compter deux ans de travaux.
Le président de la SIG, Martial Bellon, explique sa philosophie :
« L’Euroleague n’est plus la même compétition que celle que nous avons joué il y a quatre ans. C’est passé d’une coupe à un championnat. Là où il y avait 14 matches et de poule et une vingtaine jusqu’aux phases finales, il y en a désormais 34, à compléter avec un saison de France qui compte autant de rencontres, plus les phases finales et autres coupes. Cela fait des saisons à plus de 80 matches comme aux États-Unis en NBA, ce qui nécessite une équipe de 14-15 joueurs (contre une dizaine aujourd’hui).
À cela s’ajoute d’importants frais de déplacements à travers l’Europe. La question ne peut se poser qu’une fois l’Arena terminée. Nous pourrions passer d’un budget de 9 millions cette année si nous faisons un bon parcours final, à 12 millions d’euros. Ce discours peut passer comme un manque d’ambition auprès des supporters, mais nous n’avons pas comme à l’Asvel un actionnaire principal qui est en capacité de mettre au pot en fin d’année (le club est détenu par une trentaine d’entreprises alsaciennes, ndlr). Des clubs pourtant solides comme Bamberg (Allemagne) ou Gran Canaria (Espagne) ont eu de grosses difficultés après une saison d’Euroligue et je ne veux pas nous mettre dans cette situation. »
La M arena attendue pour 2022 à Lyon
Côté Asvel, c’est un peu plus compliqué. Le projet a pris du plomb dans l’aile, obligeant le club à revoir ses plans. La “M arena” devait sortir de terre en 2020, elle sera finalement livrée courant 2022. Un changement de calendrier, qui s’explique par le redressement judiciaire, en octobre 2018, de la société de construction choisie par le club. L’entreprise Floriot, sera finalement reprise, en mars 2019 par trois anciens cadres et onze de ses salariés, suite à une décision du tribunal de Commerce de Lyon.
Un temps mort administratif qui n’a pas provoqué pour autant l’arrêt total du projet. Même durant les péripéties de leur constructeur, les dirigeants de l’Asvel ont maintenu le cap d’un début de travaux début 2020. Et pour tenir cette promesse, Tony Parker peut compter sur le soutien des autorités de Villeurbanne. Si la commune ne subventionne pas le projet, financé uniquement par des fonds privés (le coût de celui-ci est estimé à entre 60 et 100 millions d’euros), Jean-Paul Bret, est très attaché au club. Et il tient à ce que la nouvelle salle soit sur son territoire :
« Il y a une histoire particulière entre ce club et la ville de Villeurbanne. C’est le club le plus titré de l’histoire du basket avec Limoges. Et la commune le rend bien : mes prédécesseurs ont toujours aidé les dirigeants de l’Asvel à se développer. Aujourd’hui, il y a même une association d’anciens joueurs internationaux de l’ASVEL qui sont restés à Villeurbanne. Le club s’inscrit dans l’histoire de la ville, il doit également y inscrire son avenir. »
D’un point de vue sportif, Pascal Legendre trouve aussi « plus réaliste » les ambitions strasbourgeoises, en pointant que le budget moyen des clubs d’Euroleague est de 25 millions, soit plus du double de Strasbourg ou de Villeurbanne.
Autres événements : surtout du sport à Strasbourg
Le Crédit mutuel forum, géré par le club via un bail emphytéotique mais propriété de l’Eurométropole, devrait pouvoir être configuré pour accueillir d’autres événements. Mais pas de spectacles, à la demande de la collectivité, pour ne pas faire concurrence au Zénith, le dernier de France, inauguré en 2008. Le président Martial Bellon, qui a toujours dit s’inspirer avant tout des modèles allemands, a évoqué la possibilité d’accueillir des matches de la coupe du monde de handball en 2023.
En mars, la mairie de Villeurbanne a largement communiqué sur le contrat d’exploitation signé avec la société Legends, qui devrait ainsi gérer la partie culturelle et artistique de la future salle. Un partenariat qui garantit, selon la municipalité, « le financement et la prise en compte du cahier des charges posé par le club. »
Mais pour certains observateurs cette annonce n’est pas neutre, il s’agirait pour Villeurbanne de prouver, aux dirigeants du club la viabilité du projet. En effet, la presse spécialisée fait état de discussions entre Tony Parker et Jean Michel Aulas.
Et pour cause, le président de l’Olympique Lyonnais en foot, planche depuis quelques mois sur son projet de salle multifonction au Groupama Stadium, dans l’Ouest lyonnais. Un projet qui vient directement concurrencer la “M Arena”.
Le 20 mars, Jean-Michel Aulas, président de l’OL, explicite ces échanges à nos confrères à l’Équipe :
« On peut probablement entrer au capital, mais de manière minoritaire. »
Contacté à ce sujet, l’Asvel n’a pas souhaité donner suite à notre demande d’entretien. Si le maire de Villeurbanne confirme l’existence de négociations, l’équipe affirme que la commune n’y participe pas. Au contraire, Jean Paul Bret ne semble pas être partisan d’un rapprochement entre Lyon et l’Asvel et presse les dirigeants du club de clarifier la situation :
« L’arrivée éventuelle de Jean Michel Aulas pose un certain nombre d’interrogations. Les sites sur lesquels il veut construire sa salle ne sont pas opérationnels, aucun ne sont conforme au Plan Local d’Urbanisme, il faudra attendre au moins 5 ans. Si l’Asvel met son destin dans les mains d’Aulas, elle met en péril le projet qu’elle avait retenu en devant une sorte d’OL-Basket. On a besoin que le club sorte du flou et nous donne des réponses précises et une position claire : la collectivité ne peut pas rester dans une attitude dilatoire. Au-delà des déclarations d’amour à Villeurbanne de la part club, il faut déposer un permis de construire avant juillet. »
Dans deux ans, à qui le tour ?
Pour Pascal Legendre, journaliste à Basketeurope, le développement des deux salles ne fige pas tout à fait l’avenir du basket français au-delà de 2021 :
« Par rapport aux autres pays d’Europe, la France a un grand retard au niveau des salles multi-sports. Un rapport en 2008 expliquait cela très bien et rien n’en est sorti . Après les deux ans d’Euroligue de l’Asvel, c’est normalement une participation pour 10 ans qui doit être attribuée. Tout le monde va observer l’Asvel qui devra avoir de bons résultats pour garder du public, passé l’effet de curiosité. Mais pour un club d’envergure européenne, la ville la plus adaptée serait Paris. La capitale concentre les richesses économiques et l’impact médiatique y est plus fort, comme on le voit avec les résultats du PSG en foot et en handball. Il y a certes Bercy, mais qui est avant tout une salle de spectacles. Pour l’instant, le projet de salle Porte La Chapelle qui n’est que de 7 000 à 8 000 places alors que la moyenne en Euroleague est de 8 500 spectateurs. »
Et autre détail, pour l’instant aucun club parisien ne brille régulièrement, hormis quelques coups d’éclats de Nanterre (champion en 2013, vainqueur de coupes européennes de second rang en 2015 et 2017). En dépit de la récente U Arena de la Défense où elle a joué une fois contre… l’Asvel (15 200 spectateurs), cette banlieue ouest n’est peut-être pas prête à être fondue dans un grand club de la capitale. Et la vérité du terrain dans tout cela ? Dimanche elle sera secondaire et cela pourrait le rester à l’avenir.
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