Au quai Jacoutot à la Robertsau, le projet n’est plus le même. L’association EurOasis devait réaliser d’important travaux pour y réhabiliter les trois villas inhabitées depuis 15 ans et même 25, pour l’une d’entre elles. Le lieu devait accueillir des activités autour des « transitions écologiques, démocratiques et personnelles » et devenir une référence en Europe. Un hébergement type « auberge de jeunesse », de la restauration, une micro-crèche, une école alternative, de la permaculture, du yoga, des séminaires ou encore du coworking étaient envisagés. L’association estimait devoir réunir environ 3,5 millions d’euros de financement et faisait part de promesses de financements par divers organismes et même des personnalités (Pierre Rabhi, Cyrille Dion, Mathieu Ricard, Isabelle Delannoy).
Le 31 mars 2021, aucun de ces grands chantiers n’a débuté. Ainsi, la municipalité écologiste n’a pas renouvelé la convention d’occupation précaire attribuée depuis l’été 2019. Seul l’espace permaculture continuera à vivre au moins jusqu’au 31 décembre 2021. Ainsi se termine l’appel à projet ambitieux attribué par la Ville de Strasbourg avec peut-être un peu de légèreté et d’utopie en 2018.
Accumulation de difficultés
Un conflit juridique avec le voisin, un changement d’équipe à Euroasis suite à un conflit interne, des confinements et un état des maisons plus dégradé que prévu… Les difficultés se sont accumulées pour l’association fondée dans l’unique but de transformer cet espace aussi verdoyant qu’abandonné. Dans ce contexte, les partenariats et importants financements espérés ne sont jamais venus.
L’avenir du quai Jacoutot revient à un modèle bien plus classique. C’est finalement la Ville de Strasbourg qui conduira et financera les travaux sur ces villas qui lui appartiennent. Elle déverrouillera ainsi une situation devenue inextricable. Le calendrier est encore approximatif et la municipalité se donne comme objectif une ouverture pour « la fin du mandat (durant l’été 2026, ndlr) ».
La Ville assurera le financement
Face à la stagnation de la situation, Marc Hoffsess, adjoint à la maire en charge de la transformation écologique et élu-référent du quartier Robertsau-Waken, estime que la municipalité « a pris ses responsabilités » :
« EurOasis poursuit un projet de contenu, pas un projet d’ingénierie immobilière et de montage de dossiers pour rénover des villas. Ce n’est pas un promoteur. Les villas sont dans un état qui devient dangereux, ne serait-ce que pour y entrer. Il faut faire les travaux le plus vite possible. »
Dans les trois villas de 250 mètres-carrés, la première « rénovation légère » – avec un complexe système de bénévolat en échange de parts dans la future société coopérative – prévue à l’automne 2019 n’a jamais démarré. Quelques mois plus tard, l’association n’a plus eu accès aux bâtiments, où des problèmes d’amiante dans les murs et de mercure dans les sols ont été révélés.
Dès le départ, Euroasis s’est aussi heurté à un recours en justice. Le voisin, qui estime avoir été lésé dans l’appel à projets (Rue89 Strasbourg l’expliquait en septembre 2020, parmi les multiples difficultés que rencontrait déjà l’association) a attaqué la décision du jury de la précédente municipalité. « Il y avait toujours la menace d’une sanction qui aurait anéanti tout le travail accompli », décrit Marc Hoffsess. Comme l’appel à projets n’existe plus, le recours qui le concerne s’éteint par la même occasion. Pratique.
Vers un lieu d’éducation à la nature
Pour autant, la municipalité ne coupe pas les ponts avec EurOasis. Bien au contraire. Au crédit de l’association, Marc Hoffsess cite le développement du jardin de permaculture, la construction d’une hutte en terre cuite ou la tenue d’un camp Climat fin août 2020, qui « témoignent d’une volonté respectable ». Depuis avril 2020, l’association accueille par ailleurs un point de retrait de commandes de « La Ruche qui dit Oui », qui permet à des agriculteurs locaux de vendre leur production. On est loin des grandes ambitions initiales, mais le lieu vivote avec quelques événements.
Avec le changement de maître d’ouvrage, les parties prenantes changent aussi. EurOasis ne sera plus seule à avoir les clés. Elle sera associée à différentes associations naturalistes comme Alsace Nature, l’Office des Données Naturalistes (Odonat) du Grand Est ou France Nature Environnement, qui cherchent depuis les années 1990 un lieu commun d’envergure pour y installer leur siège, mais aussi des activités de formation et à destination du grand public.
Adjointe à l’urbanisme, Suzanne Brolly aimerait que la nouvelle version du quai Jacoutot propose « une approche familiale » sur l’éducation à l’environnement. Le lieu serait complémentaire de la Ferme Bussière au parc de Pourtalès à la Robertsau dont les activités sont « plus scolaires ». Ces ateliers pourraient dès lors bénéficier des financements de l’Eurométropole, compétente dans ce domaine.
Soulagement pour EurOasis
Du côté d’Euroasis, la nouvelle équipe accueille cet engagement financier par la Ville avec soulagement. À la rentrée, elle devrait trouver un point de chute temporaire au quartier du Heyritz à travers un partenariat avec Sikle, une entreprise strasbourgeoise qui ramasse et composte les déchets organiques de professionnels.
« Savoir que la Ville accompagne est un signe positif », estime Somhack Limphackdy, une des co-présidente de l’association et arrivée avec la nouvelle équipe d’EurOasis. Elle trouve le nouveau projet « tout aussi enthousiasmant » :
« La situation a montré les écueils du système actuel. Elle renforce la certitude qu’il y a un besoin d’une volonté politique pour accompagner ce changement. Tout seul, ce n’était pas possible. »
Selon la bénévole, l’association bénéficie encore « d’avances financières de personnes membres » qui datent de l’amorce du projet. Elles lui permettent d’envisager sereinement ce déménagement. Mais la structure devra ensuite se positionner sur les futures activités pédagogiques, via des conventions et en nouant de nouveaux partenariats financiers.
L’association EurOasis a désormais deux ans pour mettre au point le projet détaillé avec les autres associations environnementales de Strasbourg. De ces besoins précis dépendront les aménagements dans les maisons et la programmation des travaux, qui devraient également nécessiter deux années.
Enfin dans son communiqué en avril, l’association EurOasis disait espérer également « l’obtention d’un nouveau lieu en adéquation avec [s]es projets structurants » imaginés à l’origine. Encore un autre chantier d’envergure… où tout recommence à zéro.
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