« Je ne peux plus me taire. » Depuis plusieurs années maintenant, Sébastien Harscoat révèle la situation dramatique aux urgences du Nouvel hôpital civil (NHC) à Strasbourg. Dès décembre 2021, avec plusieurs collègues, il initie la minute de silence en hommage à la mort annoncée de l’hôpital public. Quelques mois plus tard, il prend la parole pour dénoncer un décès par défaut de prise en charge, survenu dans son service le 17 mars 2022.
Dans le documentaire Complément d’enquête diffusé jeudi 1er juin sur France 2, le médecin strasbourgeois va plus loin encore dans son rôle de lanceur d’alerte. Face au refus de la direction hospitalière d’autoriser le tournage au sein des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg (HUS), l’urgentiste a décidé de filmer ses propres images. « Jour après jour, il filme un hôpital au bord de l’implosion », commente une journaliste de France Télévision.
« Qu’est-ce que je fais ? Je lui donne sa chance ? »
Grâce à l’engagement de Sébastien Harscoat, il est possible d’observer en images et en son le quotidien d’un service d’urgences débordé. Un jour, il prévient le Samu qu’il est impossible d’accueillir des patients supplémentaires. L’autre, il filme les ambulances en attente devant l’entrée des urgences avant d’évoquer un patient resté sur un brancard pendant sept jours. Entre deux personnes âgées souffrantes, le Dr Harscoat se demande, face au manque de place : « Qu’est-ce que je fais ? Je lui donne sa chance ? Je lui donne pas sa chance ? »
La suite de l’émission Complément d’enquête révèle des échanges par mail au sein des urgences de l’hôpital strasbourgeois entre le 9 mars et le 19 avril. Des situations de débordement y sont décrites quasi-quotidiennement : « Point de situation – service plein », « capacité d’accueil prévisible dépassée », « pas de possibilité de prise en charge de nouveaux patients dans des conditions sûres » ou encore « des patients en attente d’hospitalisation depuis trois jours en médecine ou en gériatrie ». Le documentaire met des chiffres sur le manque de moyen du service : un soir apparemment banal, l’équipe des urgences doit prendre en charge deux fois plus de patients que de places. « Il va finir par y avoir des morts », affirme Sébastien Harscoat lors d’un appel téléphonique auprès de la directrice de garde.
Après l’affaire Naomi Musenga, une situation inchangée au Samu
Fin mars 2022, Rue89 Strasbourg révélait le décès d’un patient aux urgences strasbourgeoises le 17 mars 2022. Le médecin Sébastien Harscoat attribuait cette mort au manque de personnel et de lits d’hospitalisation. Complément d’enquête s’attarde sur un second décès suspect, survenu en août 2022 aux urgences du NHC. L’émission d’investigation révèle un rapport interne de la veille indiquant que le service faisait face à un taux de remplissage de ses lits de 168% et que le personnel paramédical se sentait alors « en danger ».
Le documentaire revient aussi sur le décès de Naomi Musenga, ignorée et moquée par une régulatrice du Samu en 2019. Un an et demi avant cet appel, la régulatrice avait évoqué lors d’un entretien interne :
« J’ai une attitude de personne qui fait de l’abattage. (…) Il est difficile de faire ce travail sans formation mais lorsqu’on en parle, c’est toujours la même réponse, il y a manque de moyens, en particulier un manque de personnel. »
Deux salariés ont accepté de témoigner anonymement de leurs conditions de travail, toujours extrêmement dégradés. L’un travaille actuellement pour le Samu sans le diplôme présenté comme obligatoire par la ministre de la Santé de l’époque, et l’autre indique : « On est beaucoup à être épuisés moralement. Je suis sur le point de tout lâcher. » Selon un rapport du Comité des conditions de travail (CHSCT) de novembre 2021 sur les risques psychosociaux au Samu, 97% des opérateurs ont l’impression de ne pas avoir les moyens de travailler correctement.
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