Fin mars, une étrange réunion a eu lieu dans un amphi du Palais Universitaire de Strasbourg. Une cinquantaine d’étudiants sont venus écouter non pas un professeur ou un intervenant, mais un agent commercial : le « n°1 français » de Vemma, Aurélien Brest venu au volant d’une scintillante BMW blanche, un cadeau de la firme. Vemma vend des boissons énergisantes aux fruits exotiques, principalement à destination des jeunes, mais uniquement par le biais d’un réseau de clients transformés en distributeurs rémunérés à la commission.
Chaque membre du réseau doit acheter chaque mois au minimum pour 60€ de ces boissons en passant par le site web de Vemma. C’est ce que Vemma appelle « l’opportunité » car la promesse de la firme est que s’ils se débrouillent bien, ces personnes peuvent rembourser leurs dépenses et gagner de l’argent. Comment ? En recrutant de nouveaux distributeurs ! Aux accusations de réseau de vente pyramidal, les recruteurs de Vemma répondent qu’il s’agit d’un réseau de vente multi-niveaux (multi-level marketing, ou MLM), tout à fait légal comme le serait celui de Tupperware.
Aux États-Unis, Vemma a été lancé en Arizona il y a plus de neuf ans et la question de la légalité du système de vente n’a toujours pas été tranchée. En France, une enquête des services de la Protection des personnes est en cours mais elle se heurte à l’absence de siège en France. Pour les marchés européens, tout se traite depuis Kildare en Irlande.
Transformer des étudiants en agents commerciaux indépendants
Car aucun des quelque 3 000 distributeurs / clients (que Vemma appelle des « brand partners » ou affiliés) français n’est salarié de Vemma. Tous sont des indépendants. Vemma fournit la documentation nécessaire aux brand partners pour qu’ils deviennent autoentrepreneurs ou gérant d’une SARL unipersonnelle, en mettant en avant qu’il suffit d’être malin et actif pour rapidement bien gagner sa vie, voire très bien. Tout un système de 15 grades, de Bronze, Silver, gold à Pinnacle Leader, en passant par Star Platinium ou Royal Executive, invitent les affiliés à progresser dans l’échelle du réseau.
À Strasbourg, plusieurs réseaux ont été lancés ces derniers mois. Le plus important serait celui de Romain Songuesa, 23 ans, étudiant en prépa infirmier. Lui est Silver, « bientôt Gold » et revendique entre 55 et 60 affiliés dans son réseau dont 35 à 40 à Strasbourg. Selon lui, après quatre mois de travail, sa rémunération mensuelle se situe entre 400 et 500€ :
« J’ai investi les 60€ nécessaires dans les premiers mois et je suis assez vite devenu rentable. J’enregistre quasiment une inscription par jour. Chaque semaine, je reçois un état de la performance de mon réseau, et je suis payé deux semaines plus tard. Pour l’instant, j’y consacre environ une heure par jour, j’en parle à des amis, j’organise des rencontres, j’utilise Facebook ou Skype, etc. »
Des propos impossibles à vérifier, Romain Songuesa n’a pas souhaité communiquer le récapitulatif qu’il mentionne. Il prévoit de finir ses études avant de décider s’il continue ou non. Mais d’autres ont passé ce cap depuis longtemps, comme Benjamin Richard, étudiant en BTS paysagiste de 21 ans. Lui est de rang Diamond (4e rang) après sept mois, et vise beaucoup plus :
« Actuellement, je gagne environ 1 200€ par mois. J’ai 150 affiliés dans mon réseau mais mon objectif est d’atteindre le rang Executive (7e) fin juin. Et là, je gagnerai près de 3000€ mensuels. Fin 2014, je ne serai plus étudiant, je sera à plein temps pour Vemma et je recevrai environ 10 000€ de commissions mensuelles. »
Cette BMW sportive hors de prix, c’est cadeau !
Ce rêve de l’argent facile est entretenu par Vemma qui met en avant les têtes de réseau, des primes et des cadeaux comme des bolides BMW ou des Mercedes pour ses meilleurs éléments, ses vraiment meilleurs et très rares éléments. Le web est inondé de témoignages de brand partners, plus ou moins déguisés, qui tous répètent qu’il suffit d’aimer travailler pour devenir riche. Ainsi Aurélien Brest, 20 ans, affirme dépasser les 10 000€ de revenus mensuels avec son grade Ambassador (11e) :
« Je compte environ 3 000 consommateurs fidèles dans mon réseau. Le marché français a cru de 10 826% en un an ! On a eu la progression la plus importante du groupe et j’y suis pour quelque chose… Quand j’ai débuté avec Vemma, on devait être moins d’une centaine d’affiliés en France et aujourd’hui, on est plus de 4 000. Pour l’instant, je suis le seul Ambassador français, mais dans quelques mois, il y en aura quatre ou cinq. »
Des accusations d’arnaque récurrentes
Évidemment, pour qu’un tel réseau fonctionne, il faut que toute une base d’affiliés continuent de recevoir chaque mois, automatiquement, ses caisses de canettes… Pour certains, Vemma pratique la vente forcée. Mais comme pour les accusations sur le système pyramidal, aucune procédure n’est encore allée à son terme même si Internet regorge de propos d’anciens affiliés témoignant qu’ils ont perdu des milliers de dollars dans les boissons Vemma…
Selon Truth In Advertising (Tina), une association de consommateurs américains, 70% des affiliés de Vemma n’ont enregistré aucun gain en 2013 et le système de rémunération est revu à la baisse au sommet. Le fondateur de Vemma, Benson K. Boreyko, a été condamné par le régulateur du commerce américain (FTC) pour avoir prétendu que ses produits pouvaient guérir les troubles de l’attention.
À l’université de Strasbourg, on se demande encore comment une telle organisation a pu réserver un amphi pour sa promotion auprès des étudiants. Selon les premiers éléments, la salle aurait été réservée en utilisant le nom de la présidente de l’association des étudiants en histoire pour une « conférence sur le marketing ». Avec même des travaux pratiques !
Aller plus loin
Sur VemmaEurope.com : le plan de rémunération (PDF)
Sur YPR Pariah.com : le problème du système binaire (utilisé par Vemma, en anglais)
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