Après 60 jours de grève, le dialogue est toujours rompu entre les syndicats et la direction de Sénerval, l’opérateur de l’usine d’incinération du Rorhschollen. Pour la CGT, l’usine est polluante car vétuste, et Sénerval, une filiale du groupe Séché Environnement, n’a pas réalisé les investissements nécessaires. La direction dément toute pollution atmosphérique par les rejets produits de la combustion des déchets de l’agglomération.
Mais la CGT est allée fouiller dans le « PC Dreal », un ordinateur collectant les données issues des capteurs installés dans l’usine et produisant des rapports destinés à la Direction régionale de l’environnement (Dreal). Installation classée pour la protection de l’environnement, l’usine doit respecter de très nombreuses normes et procédures, et elle est régulièrement inspectée par l’Inspection du travail et les agents de la Dreal.
Mais selon les données recueillies sur le PC Dreal, les dépassements de seuils sont bien plus importants qu’annoncés initialement comme l’explique Atef Labben, délégué syndical CGT :
« En 2013, les installations ont cumulé plus de 600 heures d’arrêt technique, qu’on appelle “NOP” pour “non opérationnel”. C’est normalement interdit d’avoir autant d’heures NOP. Mais surtout, pendant ces heures NOP, le four est chaud mais les mesures des polluants extraits ne sont pas envoyés à la Dreal, les valeurs sont mises à zéro. Pourtant, ils sont bien relâchés dans l’air ! Selon nos calculs, les seuils ont été dépassés pendant 119 heures rien qu’au mois de décembre pendant les NOP. Et ce chiffre est à ajouter aux 42 heures de dépassement hors-NOP, qui elles ont été déclarées ! »
Les capteurs au sein du « processus de valorisation » des déchets surveillent les émissions de HCl (acide chlorhydrique), CO (monoxyde de carbone), NOx (ozone), SO2 (dioxyde de souffre), NH3 (ammoniac), poussières… Ainsi le 17 décembre, vers 7h du matin, l’usine a rejeté 181,5 mg/m³ de poussières quand le seuil maximum autorisé est de 30 mg/m³. Au même moment, 314,5 mg/m³ d’azote ont été envoyés dans l’atmosphère quand le seuil maximum instantané est de 150 mg/m³. Des dépassements de ce genre, les grévistes en ont relevé des dizaines et des dizaines.
Autre sujet de préoccupation, le guide de la Fnade (Fédération nationale des activités de dépollution et de l’environnement) recommande que le four soit arrêté et vidé lorsque le seuil de « CO sur 10 mn » est dépassé sept fois mais, indique Atef Labben, « on ne le fait jamais ». Rassurant.
« Des cendres envoyées sur des dizaines de kilomètres »
Mais il y a encore plus inquiétant, selon la CGT, des dépressions fortes ont été appliquées sur le silo à cendres, qui concentre les déchets ultimes. Ces dépressions ont pour effet d’envoyer les cendres dans l’air, avec un rayon de pollution proportionnel à la puissance appliquée. Et selon des mesures relevées par les grévistes, une dépression de 550 millibars a été appliquée le 7 février. Atef Labben :
« Avec une telle pression, des poussières ont été envoyées à des dizaines de kilomètres… On n’a aucune manière de savoir où, mais elles sont allées bien plus loin que les études officielles voudraient nous le faire croire, certainement bien plus loin que la forêt du Neuhof côté français. »
Jeudi, les salariés grévistes ont brièvement barré la route du Rorhschollen au Port du Rhin avant de se faire déloger par les forces de l’ordre. Ils tiennent toujours un piquet de grève devant l’usine, empêchant les salariés de Sénerval non grévistes de venir travailler. À la suite de ces nouveaux éléments, une mission d’information sur l’usine d’incinération est prévue à la CUS vendredi avec les syndicats, ainsi qu’une réunion à la Dreal lundi. Par ailleurs, les salariés grévistes indiquent être sans nouvelle de l’arrêté soumis au Coderst (comité départemental sur l’environnement) le 7 mai demandant au groupe Séché l’installation de mesures de sécurité supplémentaires à l’usine d’incinération.
Quant au dialogue avec la direction, il est au point mort alors que les salariés entament leur troisième mois de grève. Contactée, la direction de l’usine n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur le conflit à Sénerval
Chargement des commentaires…