Notre-Dame de l’Immaculée conception, rue Kléber à Schiltigheim. Il est 13h30, la cérémonie démarre dans 30 minutes. Noël Kutz gare sa voiture à proximité de l’entrée de l’église et pousse un « ouf » de soulagement en apercevant le corbillard devant la grande porte. « Ils sont là, c’est déjà ça. » Son angoisse : « Que les porteurs soient coincés dans les bouchons, que la famille arrive avant le cercueil, que les fleurs ne soient pas livrées au bon endroit, qu’il y ait un couac et que la famille s’en rende compte… » Heureusement, c’est très rare. Sous pression à l’approche de chacune des célébrations qu’il organise, Noël ne laisse rien passer, rappelle trois fois, vérifie tout tout le temps, est « dans le stress ». Son leitmotiv :
« Dans les pompes funèbres, on n’a pas le droit à l’erreur. Pour certaines familles, les obsèques sont « la dernière chose » qu’ils font pour le défunt. Elles nous le disent. Et cette « dernière chose » repose sur nos épaules. Il faut que ce soit parfait. »
Originaire du sud de l’Alsace, Noël est conseiller funéraire depuis deux ans à Schiltigheim. Diplômé en sociologie et passé par l’hôtellerie, il travaille aujourd’hui pour les Pompes funèbres et marbrerie Erb, une « marque » des Pompes funèbres générales (PFG), première entreprise du secteur en France, l’une des cinq principales enseignes de la branche dans la Communauté urbaine de Strasbourg, avec Muller (Krutenau), Aubry (Neudorf), Acker (Forêt-Noire) ou Roc Eclair. Ces entreprises et quelques autres se partagent un marché de 3 600 décès par an à Strasbourg, dont 70% à l’hôpital, 20% en maison de retraite et 10% à domicile.
Un Strasbourgeois sur deux est incinéré après sa mort
Parvis de l’Immaculée conception. Noël Kutz s’assure que tout se déroule normalement auprès de l’équipe de porteurs des PFG venue de Colmar en renfort ce vendredi, jour d’affluence dans les cimetières, comme au crématorium. A Strasbourg, 40 à 50% des défunts sont incinérés, contre 25% au plan national. Les porteurs sont cinq, dont un « maître de cérémonie ». C’est lui, Raymond Fritsch, assisté de Thomas Ancel, qui transporte le cercueil jusqu’au cœur de l’église. Les trois autres porteurs eux, étant en charge qui des fleurs, qui de la table pliante où sont disposés « registre du souvenir » et boîte à cartes de condoléances, qui du placement des gens dans l’église.
Une fois la famille présentée au maître de cérémonie, Noël retourne à la boutique, route de Bischwiller à Schiltigheim, en face de la mairie. Là, l’espace est divisé en deux, une pièce d’accueil à l’avant avec un canapé, quelques fleurs en plastiques et autres plaques, un comptoir derrière lequel le conseiller gère les formalités administratives – nombreuses – pour chaque funérailles. Et à l’arrière, un petit salon avec une table et des chaises confortables, une machine à café et un meuble sur lequel sont disposés de nombreux dépliants. Le tout dans une ambiance feutrée, « zen ». Philippe Ogé, le patron de Noël explique :
« Avant, au temps du monopole, auquel l’Etat a mis fin en 1993, les familles devaient se plier à un service unique proposé par un opérateur de pompes funèbres choisi par la commune. Aujourd’hui, les familles font jouer la concurrence et font faire des devis, notamment sur internet. Ce profond changement nous a obligé à repenser le service autour de ce que veut la famille.
Notre rôle est de leur expliquer tout ce qui existe, tout ce qui est possible. Elles sont souvent plus seules face à la mort, moins préparées que dans le temps. Nous devons faire un maximum de propositions et les aider à choisir de qui est adapté à leur cas, à leur budget aussi. »
Car les obsèques sont chères. Entre 1 700 et 5 400€ chez PFG. « Mais ça peut aller beaucoup plus haut, comme les mariages… » note un collègue de Noël. En fonction des forfaits, cette addition comporte plusieurs lignes, parmi lesquelles, les formalités administratives, les soins du corps (en option, réalisés par un thanatopracteur), le cercueil, le creusement de la tombe et la concession (voir ci-dessous les prix des concessions dans la CUS), la célébration, etc. Autant d’éléments à détailler avec les familles à l’occasion d’un premier contact, qui peut durer entre 45 minutes et deux heures. Noël raconte :
« On découvre le défunt et ses proches. Ils viennent souvent à trois ou quatre. En fonction de qui ils sont, on ne propose pas les mêmes choses, mais notre hantise, c’est qu’ils reviennent en disant : « Vous ne m’avez pas parlé de ça ». Alors on explique beaucoup. On est à la fois des psychologues et des professionnels de l’événementiel. Avec aussi la dimension commerciale, mais ce n’est pas ce qui prime. »
On ne fait pas de l’or avec la mort
Surtout que les salariés de chez PFG ne gagnent pas des mille et des cents. Surtout les porteurs, ceux qui transportent les corps d’un lieu à un autre, les habillent, garnissent les cercueils, assurent l’accueil aux enterrements. Souvent, ils combinent ce travail avec un autre, agent de propreté dans une collectivité, agent de sécurité, ou cumulent ce revenu proche du Smic avec une retraite. C’est le cas de Michel Neubert, ex-policier de 57 ans, qui a épousé cette profession atypique depuis 6 mois seulement. Maître de cérémonie ce matin-là sur des obsèques prévues à la chapelle des Diaconnesses, pas très loin de l’Hôpital civil, il est parfait dans son rôle : élancé et discret, le costume tiré à quatre épingles, souriant… uniquement au moment opportun. « Ça peut parfois être très mal interprété », prévient-il.
Au « dépôt » de Schiltigheim, où PFG a son propre funérarium, dès 8 heures du matin, Michel rassemble son équipe de porteurs, parmi lesquels Loïc Rothhut, 23 ans et quatre ans de métier, et Clément Piquard, 33 ans et porteur depuis 10 ans. Alors que ce dernier dit avoir « le métier dans la peau » et ne se voit pas faire autre chose, Loïc lui ne compte pas faire ça toute sa vie. Il a entamé une formation de graveur… sur pierre tombale. Il raconte :
« Ce que j’aime dans mon boulot, c’est que ce n’est jamais la même chose. Un jour, on fait va dans une maison de retraite, un autre on est appelé pour une réquisition de police chez quelqu’un mort depuis 15 jours, pour un pendu, un accident de la route… Il faut aller chercher le corps dans un endroit improbable, parfois c’est vraiment pas beau. Et puis on s’occupe aussi des défunts, on peut coudre la bouche ou glisser une pastille sous les yeux (des parties du visage qui s’affaissent très rapidement). Mon premier maquillage, la dame ressemblait à Cléopâtre ! Le truc le plus ennuyeux : quand on doit descendre un corps de 100 kilos sur 17 étages sans ascenseur. C’est vraiment physique par moment. »
La clé, c’est la distance
Pour Loïc, la clé pour « faire le croque-mort », c’est la distance. Lui affirme en avoir à revendre. « Je ne dis pas que je ne suis jamais touché, mais c’est important de se rappeler que ce n’est pas quelqu’un de sa famille qu’on enterre tous les jours… » Pour d’autres, comme Françoise Wagner, conseillère funéraire chez PFG à Kœnigshoffen, « c’est parfois dur ». « Heureusement, on a un numéro à appeler pour avoir un soutien psychologique, et on se parle beaucoup entre collègues ».
Certains sont mus par « le respect des corps et des défunts » (Clément Piquard), jusqu’à lire des textes et chanter autour de la tombe d’un indigent enterré « sans personne ». D’autres par « le soutien à apporter aux familles, le relationnel avec les personnes âgées » (Noël Kutz). D’autres encore par un travail accessible sans diplôme, dès lors qu’on « présente bien et qu’on est costaud » (Loïc Rothhut). Tous évoquent les réactions parfois négatives de l’extérieur quand ils parlent de leur métier. En général « deux minutes, pas plus », note Noël. Parce que pour beaucoup, la mort est contagieuse et la profession de croque-mort, un peu déshonorante. « C’est en train de changer, lentement ».
Les concessions des cimetières de la CUS
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