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Un ras-le-bol de tous bords, rencontres avec des « gilets jaunes »

Dans le Bas-Rhin, la mobilisation du 17 novembre a fédéré des mécontents de tous bords politiques et de toutes conditions. Ils sont jeunes ou retraités, précaires ou aisés, de gauche ou pro-RN. Rencontres.

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Un ras-le-bol de tous bords, rencontres avec des « gilets jaunes »

Anaïs, d’un village près des Vosges, agent de fabrication en intérim, 29 ans

Anaïs, d’un village près des Vosges, agent de fabrication en intérim, 29 ans. (Photo Guillaume Krempp / Rue89 Strasbourg / cc)

C’est le grand jour pour Anaïs. Pour la première fois, cette mère de deux enfants organise un mouvement de contestation. Au cours des deux dernières années, elle a manifesté contre la loi Travail et la réforme de la SNCF.

Samedi, cette habitante d’un village près des Vosges coordonne la mobilisation des gilets jaunes dans tout le Bas-Rhin. Au volant, elle enchaîne les appels téléphoniques : « C’est un bordel mais on essaye quand même d’organiser tout ça. »

Seule source de revenu de la famille, Anaïs galère à boucler les fins de mois. Elle travaille en tant qu’agent de fabrication intérimaire. Le mois dernier, son entreprise a fermé pendant trois semaines. Alors elle s’en sort en « mangeant des pâtes » et en « se privant de sorties avec les enfants. » « J’avais prévu d’acheter les cadeaux des enfants pour Noël, mais je ne peux pas me le permettre », souffle-t-elle.

Interrogée sur ses opinions politiques, Anaïs évite la question. Elle s’explique : « C’est justement parce qu’on ne parle pas de partis que le mouvement est un succès. » L’organisatrice admet tout juste : « Je ne suis clairement pas de droite. » Sur les suites à donner au mouvement, elle réplique par un classique des manifestations de gauche : « On lâche rien. »

Classe moyenne des alentours de Geispolsheim, 60 ans

Au volant de son 4×4 Suzuki, il se décrit comme un privilégié et ne veut pas communiquer son prénom. À 61 ans, il a eu plusieurs métiers, à la fois dans le public et le privé. Mais l’homme au gilet jaune tient à relativiser son aisance financière : « On n’est pas riche à partir de 4 000 euros par mois pour un couple. »

Il tire son mécontentement d’un « président de la France de très haut, qui protège la finance mondialisée. » Il fustige la « dictature du politiquement correct » avant de discourir sur « le problème de l’immigration économique. » Après avoir voté pour Christine Boutin, puis Nicolas Sarkozy, « par défaut », le manifestant ne croit plus en aucun parti politique. Cet adepte de la démocratie participative apprécie l’absence d’organisation syndicale dans le mouvement. Il ne se souvient plus de sa dernière manifestation : « C’était quand j’étais étudiant, dans les années 80 contre la loi Devaquet peut-être. »

Carine et Cyril, Benfeld, ouvrier dans le bâtiment et animatrice dans une crèche, 27 et 31 ans

Carine et Cyril, Benfeld, ouvrier dans le bâtiment et animatrice dans une crèche, 27 et 31 ans.

Chaque jour, Carine et Cyril font plus de 100 kilomètres. Le couple vit à Benfeld. Le matin, Cyril démarre son pick-up pour se rendre sur des chantiers dans toute l’Alsace : « Je suis obligé d’avoir un 4×4, je ne peux pas me rendre à certains endroits avec une voiture normale. » Il gagne près de 1 500 euros par mois en travaillant dans le bâtiment. Carine tire 1 200 euros de son emploi d’animatrice en crèche. Avec l’augmentation du prix de l’électricité, du gaz et du carburant, ils ont dû faire des sacrifices : « On a vendu du mobilier récemment. Mais ce qui me fait le plus mal, c’est d’avoir vendu ma tronçonneuse alors que je suis un passionné du travail du bois. » Pour s’approcher de leurs lieux de travail, ils déménagent bientôt : « On passe d’un quatre pièces à un deux pièces et on s’éloigne de nos familles », râle le conducteur.

Carine manifeste pour la première fois. Petite-fille d’une ancienne femme de ménage, elle se désole de la situation des retraités : « Ma grand mère a une retraite de 400 euros par mois. Heureusement, mon grand père gagnait un peu plus. Ça lui permet de percevoir une pension un peu plus élevée. » La femme de 27 ans explique son opposition à l’actuel président : « C’est le président des très riches, même Hollande le dit. » Cyril ne cache pas ses opinions politiques :

« Je suis Le Pen, et j’ai toujours été Le Pen. Elle, (Marine Le Pen, NDLR) elle a compris ce qu’il faut faire pour que les gens puissent vivre. »

Christian, Lipsheim, retraité, 61 ans

Christian, Lipsheim, retraité, 61 ans.

Ancien cadre dans une filiale de Siemens, Christian n’est pas là pour son pouvoir d’achat. Il préfère parler d’injustice : « Macron supprime l’impôt de solidarité sur la fortune et en même temps il prend de plus en plus aux classes moyennes. » Questionné sur ses principales préoccupations politiques, il se lâche volontiers sur l’immigration : « Les Roumains nous pillent tous. Quand ils volent du cuivre dans les câbles de la SNCF, c’est le contribuable qui paye. » Alors l’Alsacien vote pour le Rassemblement national : « C’est le seul parti qui ose dire ce qui ne va pas. »

L’écologie? Très peu pour Christian : « C’est une préoccupation secondaire quand les gens se demandent comment trouver du boulot ou comment bouffer à la fin du mois. » L’autre ennemi de cet habitant de Lipsheim, c’est le libéralisme. Le retraité en vient à désirer un régime autoritaire :

« Parfois, je me dis que je préférerais un Poutine. Il n’en a rien à foutre des autres. C’est un peu une dictature en Russie, mais si tu marches droit, tu n’as pas de problème. »

Stéphane, Eckbolsheim, informaticien, 36 ans

Stéphane (au premier plan), Eckbolsheim, informaticien, 36 ans.

« C’est toujours le plus bas de l’échelle qui trinque. » Chez Stéphane aussi, un sentiment d’injustice prédomine. L’informaticien a vu sa facture d’essence monter à 100 euros par mois. Cet habitant d’Eckbolsheim regrette de devoir se serrer la ceinture : « Depuis quelques mois, on fait moins de sorties au restaurant ou au cinéma. » Adhérent du syndicat CFDT, il n’en est pas à sa première manifestation : « L’année dernière, j’avais rejoint des amis infirmiers pour protester contre leurs conditions de travail. » Au second tour des élections présidentielles, Stéphane s’est abstenu : « J’étais plutôt dans l’optique de Mélenchon. Ses idées me plaisaient. »

Maïté et Thomas, Lampertsloch, informaticien et salariée d’une maison d’accueil spécialisée pour les handicapés, 24 ans

Maïté et Thomas, Lampertsloch, informaticien et salariée d’une maison d’accueil spécialisée pour les handicapés, 24 ans.

Les enceintes de la voiture diffusent un son mêlant électro et reggae. Thomas et Maïté enchaînent les clopes. « Fumer est devenu un luxe. On pourrait pas se le permettre si on allait pas chercher nos clopes au Luxembourg », assure l’informaticien au volant. La méthode est la même pour les courses et le carburant : « On achète presque tout en Allemagne », ajoute-t-il. Récemment, le coût du carburant est devenu une nouvelle contrainte pour le couple. Ensemble, ils gagnent près de 3 000 euros par mois.

« On a déménagé de Bischheim pour payer moins de loyer et de taxe d’habitation. On s’est éloigné de nos lieux de travail alors avec la hausse des tarifs, la facture pour le gasoil a explosé. Chaque mois, on dépense plus de 300 euros pour se déplacer… »

Au premier tour de l’élection présidentielle, Thomas a donné son vote aux Verts. Maïté s’est exprimé en faveur du parti animaliste. Elle aimerait vivre plus en accord avec ses convictions écologiques :

« J’aimerais consommer plus de produits bio et issus de circuits courts. Mais le problème derrière tout ça, c’est le pouvoir d’achat. Pour l’instant, tout ce qu’on peut faire, c’est trier et avoir un compost. »

Si le mouvement continue, Thomas sera parmi les gilets jaunes dans la journée de dimanche. Maïté assure qu’elle prendra le relais lundi. Leurs attentes ? La remise en place de l’ISF et un meilleur traitement des retraités. Mais pour elle, il y a encore un autre sens à cette mobilisation : « Que le gouvernement voit enfin à quel point les Français galèrent. »


#Gilets jaunes

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