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Un policier condamné à 18 mois de prison avec sursis après avoir matraqué une Gilet jaune à l’arrière du crâne

Le 12 janvier 2019, lors d’une manifestation de Gilets jaunes, un gardien de la paix assène deux coups de matraque à l’arrière du crâne de Marlène Lutz. Dans la matinée du 23 juin, Éric V a été condamné à 18 mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Strasbourg. Il lui est aussi interdit de porter une arme pendant 5 ans.

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Un policier condamné à 18 mois de prison avec sursis après avoir matraqué une Gilet jaune à l’arrière du crâne

Gilet jaune de la première heure et victime de violences policières, Marlène Lutz est soulagée en cette fin de matinée du 23 juin. Vers 11h30, le tribunal correctionnel de Strasbourg a condamné Eric V., policier, à 18 mois de prison avec sursis pour « violences avec arme par personne dépositaire de l’autorité publique suivie d’une incapacité n’excédant pas 8 jours ». Le fonctionnaire de police est aussi interdit de port d’arme pendant cinq ans. En fumant une clope devant le palais de justice, la femme de 63 ans espère que « cette condamnation sera un exemple pour les autres violences policières. »

Les images : deux coups dans la rue du 22 Novembre

Dans la salle 201 du tribunal judiciaire, peu après 8h30, Marlène Lutz est au premier rang. Après quelques questions du juge à Eric V., deux vidéos des caméras de surveillance strasbourgeoise sont projetées. Elles montrent les images de la rue du 22 Novembre ce samedi 12 janvier, aux alentours 17h.

Plusieurs dizaines de Gilets jaunes courent. Un fourgon de police arrive à vive allure en direction des manifestants. Au volant du véhicule, Eric V. contourne deux pots de fleurs géants qui gisent par terre. Quelques mètres plus loin, le conducteur braque à nouveau le volant et manque de renverser un manifestant. Cette scène s’explique selon Eric V. par un ordre de ses supérieurs : « Ma hiérarchie demandait de disperser les personnes qui commettaient des exactions et de faire affluer les manifestants vers la place Kléber. »

La camionnette à l’arrêt, Eric V. sort, cagoulé. Sept secondes plus tard, Marlène Lutz, Gilet jaune et retraitée de 63 ans reçoit un premier coup de matraque à l’arrière du crâne. Elle tombe. Puis un second coup s’abat sur elle. La sexagénaire aura 11 points de sutures sur le crâne et 24 heures d’incapacité temporaire de travail (ITT).

Un policier stressé et des agissements contradictoires

Depuis cette scène de violence, Eric V. n’a jamais écopé de sanction disciplinaire. Pour se défendre, l’homme affirme avoir eu peur des projectiles lancés par les manifestants lors d’une précédente manifestation. Le président du tribunal réagit :

« – Pourquoi ne pas avoir mis le casque dans ce cas ? Vous aviez envie d’en découdre ?

– Je suis père de famille… Je n’avais pas envie en découdre.

– Est-ce que vous reconnaissez ici un dérapage ?

– Oui, depuis cette affaire, je suis resté en retrait et j’étais plus souvent au bureau (que sur le terrain, ndlr)

– Pourquoi vous êtes-vous dirigé sur le trottoir à gauche de la camionnette au lieu d’aider vos collègues ? Vous êtes sorti comme un diable de sa boîte.

L’air penaud, le gardien de la paix répond :

« Je n’avais pas identifié Marlène comme une dame, mais plutôt comme le groupe qui jetait des projectiles. J’avais moi-même reçu un projectile lors d’une autre manifestation. C’est une accumulation. »

Eric V., gardien de la paix

« Vous frappez par plaisir »

Maître Bettcher, l’avocat de la victime dénonce un homme « qui ne mérite pas d’être policier ». Il rappelle des affaires de violences policières, dont celle de Lilian qui a eu la mâchoire fracturée à cause d’un tir de LBD, ce même jour, alors qu’il ne participait pas à la manifestation. Maître Bettcher accuse le gardien de la paix, ainsi que l’institution policière :

« Vous frappez par plaisir. Une cagoule est destinée à ne pas être reconnu. Ce qui est incroyable, c’est de dire que vous vous en êtes dotés depuis les attentats de Strasbourg. Comme si vous étiez en ligne de mire avec des terroristes. Les policiers ne sont pas racistes ou violents ? Mon œil. »

Maître Bettcher, avocat de Marlène Lutz

« Vous avez persisté dans l’erreur »

Suite à la plaidoirie de Me Bettcher, le procureur de la République rappelle qu’il ne s’agit pas du procès de la police, mais bien d’un homme. Sachant qu’Eric V. exerçait dans l’unité d’intervention et de maintien de l’ordre depuis 2002, le procureur estime que le gardien de la paix était en mesure de gérer cette situation. Le policier reconnait sa faute et le caractère illégitime de la force ce jour-là. Le procureur l’interroge :

« Vous avez persisté dans l’erreur.(…) Pourquoi avez-vous porté ces coups ? Un manifestant devait payer pour tous les autres ? »

Pour le procureur, l’usage de la force était légitime étant donné l’ampleur des dégradations et des lancés de projectile. En revanche, il juge que les coups n’étaient pas nécessaires au maintien de l’ordre : « Vu que les manifestants se dirigeaient vers la place Kléber, il ne servait à rien de porter des coups de matraque à deux reprises. » Le procureur parle ainsi de violence disproportionnée. Il requiert 12 mois de prison avec sursis et une interdiction de port d’arme de cinq ans.

« Je suis une citoyenne en colère »

Puis Marlène Lutz s’exprime à la barre. Elle s’insurge contre les violences policières dont elle a été victime. Elle en a aussi été témoin lors d’autres manifestations dans toute la France :

« Je suis une citoyenne en colère. Je suis à chaque manifestation à cause des violences policières. Manifester est un droit et l’expression de la démocratie. Le coup aurait pu être porté sur un enfant. Je me battrai jusqu’au bout contre les violences policières. Que justice soit faite. »

Marlène Lutz
Marlène Lutz, victime de violences policières, avant d’entrer au Tribunal correctionnel de Strasbourg

L’avocate de l’accusé rappelle des tensions extrêmes lors des manifestations

Selon l’avocate d’Éric V., les faits se sont déroulés dans un « contexte chaotique ». Me Christine Meyer rappelle que son client « devait travailler presque chaque samedi. » « Il a craqué », ajoute-t-elle, expliquant la violence du policier par le contexte : « Les forces de l’ordre ont subi des insultes, des jets de projectiles, ça n’en reste pas moins des être humains qui peuvent faillir ».

Dans sa plaidoirie, Me Christine Meyer a demandé au président d’éviter cette peine de 12 mois de prison avec sursis. Car le policier a besoin d’un casier vierge pour évoluer au sein de son institution. L’avocate a également demandé de ne pas interdire le port d’arme à Éric V. pour lui permettre de continuer d’exercer une grande partie de ses fonctions, notamment « sur le terrain ».

18 mois d’emprisonnement avec sursis

Après délibération, le président prononce une peine de 18 mois de prison avec sursis et une interdiction de port d’arme de cinq ans. Le 22 novembre 2020, Marlène Lutz devrait être fixée sur les dommages et intérêts qu’elle pourrait percevoir.

Peu avant midi, Marlène sort du tribunal. La retraitée est accueillie par ses soutiens, des Gilets jaunes. La sexagénaire rappelle qu’elle comparaîtra prochainement pour outrage, et assume :

« Il faut qu’on gagne contre ces violences policières. Les Gilets jaunes n’y arriveront pas seuls. En manifestation, assurez-vous que quelqu’un filme, car en cas de violences, ça constitue une preuve. »

Marlène Lutz

#violences policières

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