Le ciel a recouvert fleurs et bougies d’un manteau blanc dimanche matin sur la place Kléber. Un millier de personnes ont quand même bravé le froid pour se rassembler entre la statue du général Kléber et le Grand sapin, cinq jours après l’attentat du 11 décembre. Les cloches des églises environnantes se mêlent aux notes de Franck Georges, des Weepers Circus, pour les accueillir. Le collectif d’associations Strasbourg ensemble et solidaire, constitué au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, a appelé à ce rassemblement spontané.
« Nous aurions préféré être ailleurs ce matin », lâche au micro sa porte-parole Christine Panzer, présidente de l’Astu et institutrice dans le quartier de la Meinau. Son discours est sobre, depuis la scène installée au pied du sapin.
« Nous réaffirmons que nous refusons tout discours de haine et que nous chercherons toujours et encore à unir nos forces pour trouver des pistes sociales, éducatives, culturelles pour lutter contre les forces obscures. Nous ne lâchons rien de nos valeurs et de notre engagement à vivre ensemble. Nous réaffirmons toutes et tous ensemble que les valeurs républicaines de liberté, de justice, de démocratie et de solidarité ne sont pas négociables. N’ayons pas peur, résistons pour continuer à vivre unis. »
« Notre combat est juste ! »
À sa suite, le maire de Strasbourg Roland Ries, remercie la foule pour sa présence nombreuse et rappelle le professionnalisme des forces de l’ordre et des professionnels de santé lors de cette semaine « extrêmement difficile » :
« Le rassemblement d’aujourd’hui montre que notre diversité de croyances et d’opinions non seulement n’est pas un handicap mais est un atout qui nous permet de résister ensemble pour éradiquer l’obscurantisme, la violence, l’extrémisme dogmatique, l’antisémitisme et toutes les forces d’exclusion et de racisme. Notre combat est juste, il faut le poursuivre ! »
Pour panser la douleur, beaucoup d’artistes locaux ont répondu présents. Dans la foule, l’émotion est intense à l’écoute de Franck Georges qui reprend Imagine de John Lennon. Les enfants sur les épaules de leurs parents observent émerveillés leur premier matin de neige. Les adultes tentent de contenir leurs larmes. Tous n’y parviennent pas. Musiques et poésie libèrent les cœurs après une semaine éprouvante. En milieu de concert, les noms des quatre victimes décédées des balles de Cherif Cherkatt sont prononcés au micro dans un silence recueilli. La lecture d’un poème de l’écrivain franco-algérien Yahia Belaskri suit l’émouvante interprétation de Quand on n’a que l’amour de Jacques Brel par la chanteuse alsacienne Léopoldine HH.
La petite Sophia monte ensuite sur la scène pour lire son texte. La fillette exhorte avec ses mots d’enfants :
« Nous devons vivre ensemble dans la paix, se respecter les uns les autres avec nos différences qu’elles soient religieuses, culturelles ou de couleurs de peau (…) J’aimerais que les méchants deviennent gentils et que les gentils restent gentils (…) Vive l’amour, vive la liberté ! »
Une minute de bruit après le silence
Un anonyme joue ensuite une ode poignante aux victimes à la flûte arménienne, le duduk, interprété par Vardan.
Pour conclure cette cérémonie d’hommage, Christine Panzer rappelle qu’il est « temps de passer à la vie qui continue ». Après cinq jours de silence, elle invite la foule à une minute de bruit avant de se disperser. Sifflets, applaudissement et cris se lèvent alors de la place Kléber.
Parmi les anonymes, Nathalie, coiffée d’un bonnet rouge à l’effigie de Strasbourg, confie les yeux encore humides :
« J’avais besoin d’être là ce matin, d’être ensemble avec mes amis. Je voulais rendre hommage à ma ville et ne pas rester chez moi. C’était émouvant sans être triste ni morbide. »
« Cette ville, c’est la nôtre »
Son ami Rigoberto, argentin et strasbourgeois d’adoption depuis six ans poursuit :
« Ça m’a fait du bien au corps. C’est une fierté d’appartenir à cette communauté. »
Florencia, mexicaine et depuis 17 ans à Strasbourg, abonde :
« Cette ville c’est la nôtre à tous. »
Plus loin, Sabrine explique être venue avec son fils Nadhir, 7 ans et demi, « pour être solidaire » :
« En tant que musulmane je ne suis pas du tout d’accord avec ce qui a été fait. J’habite aux Poteries, pas très loin de là d’où habite la famille du tueur. Je suis en colère quant aux défaillances de la justice dans l’accompagnement de ce jeune, qui avait 27 condamnations. J’ai lu qu’il a commis son premier vol à 10 ans. Il doit y avoir des solutions à trouver pour ces jeunes. Il est loin d’être seul. On a un gros travail à faire avec nos enfants. »
« Strasbourg va vivre encore plus pleinement »
Pour Sidi, c’était « un devoir » d’être ici ce matin :
« Quand on veut vivre, l’unique façon de montrer de notre compassion c’est de se rassembler. Je connaissais le journaliste italien décédé ainsi que Bartek. J’avais donc un devoir supplémentaire à être là pour ceux qui sont partis et ceux qui luttent encore. Et je n’oublie pas que ceux qui ont fait ça sont issus de la même humanité que nous. Maintenant Strasbourg mérite de continuer à vivre. C’est ça qui va nous maintenir. Et d’ailleurs je crois que Strasbourg va vivre, et même encore plus pleinement. »
L’imam Saliou Faye, du quartier de la Meinau, félicite le rassemblement :
« Ce qu’il faut c’est ça : marquer la solidarité de tout le monde. Être mains dans la main contre la violence. Elle n’a pas sa place dans cette ville, ni ailleurs. Strasbourg est et restera une ville modèle de dialogue et de vivre ensemble. »
« Pas tombés dans le piège »
Le religieux musulman cite le pasteur Martin Luther King :
« Nous vivrons ensemble comme des frères ou nous mourrons comme des fous. »
Dans la foule des anonymes, Harold Avraham Weill est venu ce matin en « simple citoyen. » Le grand rabbin de Strasbourg, natif de Strasbourg et en poste depuis un an, a vécu de front l’attentat de Toulouse en 2012 :
« J’ai déjà connu ce jour où tout bascule et où l’on tombe dans la perte d’insouciance. Je crois que les Strasbourgeois ne sont pas tombés dans ce piège. Leur réaction est exceptionnelle depuis mercredi dans leur volonté d’aller de l’avant. »
Déjà, les associations caritatives des chalets de la place se mettent à revendre leur vin chaud. La patinoire se remplit d’enfants.
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