Longtemps hors les murs, les faubourgs de Saverne, National et de Pierre intègrent l’enceinte de Strasbourg lors d’un nouvel agrandissement de la ville à la fin du XIVème siècle. C’est alors que le quartier dit « du Marais Vert », devient proprement strasbourgeois.
Si les trois artères principales du quartier (les trois rues qui portent le nom des faubourgs), ainsi que certaines rues comme celle du Marais-Vert, ont bien résisté au passage du temps, « le bâti ancien [du secteur] a énormément souffert des bombardements, des démolitions, des constructions industrielles et commerciales », note le Dictionnaire historique des rues de Strasbourg (Le Verger, 2012, dirigé par Maurice Moszberger).
Le président Bonaparte inaugure la gare en 1852
Et pour cause, le quartier a connu trois grosses mutations. D’abord, ce sont les constructions de la première gare de Strasbourg (1845) et de la synagogue (1898), sur les décombres du quartier semi-villageois du Marais Vert. Ensuite, ce sont la désaffection de la gare (1884), puis l’incendie de la synagogue (1940). Enfin, c’est l’édification d’un complexe commercial et tertiaire en 1978, sur les décombres des halles, installées dans l’ancienne gare entre 1884 et 1973.
Retour en arrière. Alors que la première gare de Strasbourg, située à Kœnigshoffen et exploitée par la Société de chemins de fer d’Alsace-Lorraine, permet de relier Strasbourg à Bâle dès 1841, la gare installée en 1845 dans les murs, à l’emplacement actuel du complexes des Halles, est inaugurée en 1852 par le prince Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III alors président de la deuxième République.
Strasbourg – Paris en 11 heures seulement !
Ses trains desservent Paris en… 11 heures, puis, après la construction du pont sur le Rhin en 1861, tout le réseau allemand. La ruelle située à l’arrière des Halles porte d’ailleurs le nom de rue de l’Ancienne-Gare.
Un marché ouvert tous les jours dans la gare désaffectée
Dans le livre de Roger Forst, « Il était une fois Strasbourg, vestiges disparus après 1870 » (Coprur, 2010), l’on apprend :
« L’ancienne gare fut installée en 1845 derrière la porte de Saverne. Elle occupait l’ancien Marais Vert, où se trouvait des fermes que la ville incorpora entre 1374 et 1390. Trente-deux ans après son inauguration par le futur Napoléon III, elle fut désaffectée car on avait élevé une grande gare de style wilhelminien près de la porte Nationale [ndlr, où elle est toujours]. De 1884 à 1974, l’ancienne gare abrita des bureaux, bistrots, magasins et un pittoresque marché des quatre saisons. Les anciens hangars de marchandises abritèrent jusqu’à la fin l’économat des cheminots. »
Au tournant du XXème siècle, la gare désaffectée reste donc très vivante, avec son estaminet, ses commerces et le tramway qui passe juste devant. Le marché des quatre saisons est ouvert en permanence, comme la Markthalle à l’Ancienne douane, à la même époque.
Autour de la gare, s’installent par ailleurs les bureaux de Gaz de Strasbourg (aujourd’hui Réseau GDS) en 1933, à l’emplacement de la première usine à gaz de la ville (construite en 1839 et détruite en 1932), au coin de la rue des Bonnes-Gens et de la place des Halles. Le siège d’Électricité de Strasbourg, au bout de la rue du Marais-Vert, avec son entrée boulevard du Président-Wilson, est plus récent, puisque l’entreprise ne s’y installe qu’en 1994.
La synagogue 1900, incendiée en 1940
A côté de la gare désaffectée vers 1880, Strasbourg propose à la communauté juive de construire un lieu de culte de grande taille. Les faits sont ainsi évoqués dans le livre de Roger Forst :
« En 1870, la communauté juive de Strasbourg comptait 4000 âmes et représentait 5% de la population. L’ancienne synagogue rue Sainte-Hélène ne pouvait plus contenir ces fidèles. Strasbourg et son département lui accorde 260 000 reichmark et le terrain du Marais Vert. Le 8 septembre 1898, [la nouvelle synagogue] fut inaugurée. Le 10 septembre 1940, les nazis l’ont incendiée. Début 1941, elle fut rasée au sol. »
La halle aux blés, avant la Place des Halles
Pour construire la synagogue, la partie avant d’une halle, construite entre 1827 et 1830 à la suite d’une disette à Strasbourg en 1817, doit être détruite. Cette halle aux blés était située en bordure du canal du Faux-Rempart, le long du côté droit (en venant du quai) de la rue du Marais-Vert d’aujourd’hui, la ville disposant là de vastes terrains inoccupés. La halle est achevée en 1829 et ouverte au commerce en 1830. Utilisée jusqu’en 1852, elle sert ensuite de douane jusqu’en 1895.
Sa partie avant est démolie, donc, pour construire l’édifice religieux, tandis que la partie arrière conserve ses fonctions commerciales. Plus tard, la communauté juive achète ce qui reste de la halle aux blés désaffectée pour en faire des dépendances de la synagogue. Elle est incendiée en même temps que l’édifice religieux en 1940. Sur cet espace, s’élève la partie ouest du centre commercial Place des Halles (côté restaurant Vapiano), dont l’appellation semblait toute trouvée.
Le Marais Vert, lieu d’exécutions devenu square mémoriel
Au Moyen Âge, l’espace occupé plus tard par la halle aux blés et la synagogue est un lieu d’exécutions capitales. Alors que jusqu’à la Révolution, le Marais Vert conserve un peu de son caractère rural, avec ses jardins et ses constructions clairsemées (voir le plan Morant de 1548 et le plan relief de 1727 ci-dessous), une potence, structure en bois utilisée pour les pendaisons, s’y trouve encore.
Le nom de Marais Vert (ou Grüne Bruch) remonte à 1419. Pour désigner ce quartier, on trouve aussi le nom de Wüste Bruch, qui veut dire « Marais à l’abandon » ou « Marais désert ». Tout un programme…
À cet endroit toujours, entre l’immeuble construit en 1974 par la Caisse d’Epargne et l’actuel quai Kléber, ancien quai de la Station (1858), est aménagé en 1956 le square de l’Ancienne-Synagogue. Dans l’allée des Justes qui le traverse, une stèle du souvenir a été disposée en 1994, en « hommage aux victimes des persécutions racistes et antisémites et des crimes contre l’humanité commis sous l’autorité de fait dite gouvernement de l’Etat français 1940-1944 ».
Dans ce square, un mât s’élève vers le ciel, avec une femme marchant dessus. Cette œuvre, signée par un artiste américain, a également été installée en 1994, à l’occasion de l’inauguration du nouveau tram.
Les Halles de 1978, déjà obsolètes
Le bâtiment de la Caisse d’Epargne n’est pas un cas isolé. Entre 1975 et 1979, le projet de centre commercial, résidentiel et tertiaire de la Place des Halles voit progressivement le jour. Depuis la restructuration du quartier en 1963, la place des Halles (espace public à l’arrière du complexe privé) est reconfigurée. Les rails des trains et du tramway sont « déposées » (supprimées) et la place devient une gare routière, qui accueille aujourd’hui les cars du Réseau 67.
En discussions depuis plusieurs années, des travaux de rénovation importants (entre 10 et 20 millions d’euros injectés) devraient donner un nouveau visage à ce quartier, dont l’urbanisme, imaginé sur et autour d’une dalle, avec ses souterrains et ses parkings, est déjà dépassé. Le projet, attendu par le groupe Hammerson, propriétaire des lieux, et imaginé par la ville de Strasbourg, devrait apporter un peu d’ouverture et de verdure au « bunker » des Halles, forteresse moderne qui peine à rester attractive.
Autant la place des Halles, actuelle gare routière, que la rue du Marais-Vert, aux façades bien peu engageantes, qui font face aux murs aveugles en béton nu du centre commercial, devraient bénéficier de cette restructuration du secteur. À suivre.
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