La Collectivité européenne d’Alsace (CeA) porte et soutient un « Projet de modernisation et de reconversion à l’année, du domaine nordique et pédestre du site du Champ du Feu », pour un montant d’environ huit millions d’euros de fonds publics, dont quatre millions seront consacrés à la création d’un stade moderne de biathlon.
Ce projet est présenté comme une modernisation du domaine vosgien, pour une attractivité touristique et sportive à l’année, avec une accentuation du développement des activités hivernales et de l’hébergement.
Nous, signataires de cette tribune, considérons ce projet comme anachronique et inopportun à plusieurs titres. Il perpétue un modèle socio-économique et touristique d’un autre temps au regard de l’évolution des conditions de la vie humaine sur notre planète, et de la pression dégradante qu’exercent les activités humaines sur l’ensemble du monde vivant.
Aucun besoin réel
Pour la construction d’un stade moderne de biathlon, avec une trentaine de postes de tir, nous n’avons pas connaissance d’études étayant l’utilité réelle énoncée. La CeA explique qu’il répond à des besoins, sans les avoir mesurés, évalués, ni justifiés.
Ce projet est démesuré au regard de la dimension confidentielle de cette discipline, qui n’a que 28 licenciés dans le Bas-Rhin (environ 800 en France), et impose des règles de pratique contraignantes (un encadrement sécurisé dans un cadre strictement associatif).
Par ailleurs, la discipline bénéficie déjà d’infrastructures, à La Bresse en zone sud-vosgienne, où elle est davantage implantée. Et pour sa pratique, l’élite sportive de la discipline s’éloigne davantage, vers des massifs français plus enneigés.
La pratique hivernale du biathlon nécessite un enneigement suffisant et régulier. Or celui-ci n’est plus au rendez-vous et le sera de moins en moins. De nombreuses stations de skis ferment ainsi régulièrement en France, et ce mouvement va s’accentuer dans les années à venir.
L’implantation supplémentaire de canons à neige dans la station n’est pas prévue, décision dont nous nous réjouissons bien sûr. Mais ce double handicap ne fait que révéler davantage l’aberration de la construction d’un tel ouvrage qui mettrait plusieurs hectares de forêts en péril.
La programmation de compétitions nationales ou internationales pour rentabiliser l’investissement est ainsi caduque, les conditions à garantir pour la bonne tenue de ces manifestations (la neige encore !) étant très contraignantes.
Cette activité ne pourra donc pas se pratiquer spontanément par le grand public hors du cadre associatif. C’est pourtant cette pratique tout public à vocation « 4 saisons » qui est espérée par les promoteurs du projet pour favoriser la découverte et l’initiation à la discipline et améliorer l’offre de loisir de la station.
Comment ? En pratiquant du ski à roulette « à sec » sur un tracé goudronné, qui s’imposerait dès lors après des tailles franches de la forêt et en artificialisant une importante surface de celle-ci.
L’offre « 4 saisons » en cause
Relevons aussi que la pratique du ski à roulette est compliquée et dangereuse sur des surfaces humides, verglacées, ou encombrées de débris apportés par le vent, les arbres du couvert du tracé, et les conditions météo tumultueuses d’altitude. Seuls les rares licenciés aguerris à la discipline, biathlètes comme skieurs de fond, seraient susceptibles d’en profiter.
Quelles sont par ailleurs les perspectives de développement du biathlon qui justifieraient cet investissement ? Quelles garanties le comité du Bas-Rhin de ski est-il en mesure de présenter ? Comment l’association compte-t-elle accroitre le nombre de ses licenciés et les cadres pour assurer une animation permanente du stade ?
Une offre « 4 saisons » nécessiterait en effet des animateurs sportifs qualifiés, pour louer les skis et les carabines, ainsi que pour encadrer à l’année les pratiquants novices s’initiant à la discipline. Qui financera ces charges ? Comment envisager l’accès, l’usage, et l’entretien de cette infrastructure à l’année ? Y aura-t-il des utilisateurs en dehors des vacances scolaires et des week-ends ? Peut-on espérer une fréquentation en journée sur le temps scolaire ? En soirée sans éclairage ? Sans canons à neige ? Hors période d’enneigement ?
Nos deux propositions alternatives
Nous proposons deux solutions alternatives à la construction d’un nouveau stade de biathlon :
- Premièrement, la rénovation du stade actuel de biathlon nous semble être la solution à privilégier sur son terrain naturel actuel, sans y réaliser de pistes « en dur ». Puisqu’il existe, utilisons le pour les quelques licenciés bas-rhinois.
- Deuxièmement, la construction d’une installation en basse altitude (plaine ou contrefort des Vosges) pourrait être une solution alternative ou complémentaire à la rénovation du stade existant ; elle pourrait s’envisager sur un espace en friche ou à réhabiliter, sans nouvelle artificialisation de terres.
Grande densité d’habitants et de communes dans le Bas Rhin ; temps de déplacements réduits (par rapport à la durée d’un déplacement vers le Champ du Feu), proximité géographique de nombreux clubs de ski et de tir dans le département… sont autant de conditions réunies qui pourraient favoriser la découverte et l’initiation à la discipline ; ainsi qu’une continuité d’entraînement pour les compétiteurs. L’accès des établissements scolaires à cette installation est une autre piste qui ne manquerait pas d’apporter des opportunités supplémentaires d’initiation et de découverte de ces sports. L’ouverture à d’autres disciplines sportives compléterait l’offre, tel le roller, démunies à ce jour d’installation permettant leur développement.
De telles conditions seraient propices à une « continuité quatre saisons » de la pratique de cette discipline, à la fidélisation de nouveaux pratiquants, ainsi qu’à un usage continu d’un nouveau stade plus en cohérence avec les moyens financiers que la Collectivité d’Alsace envisage d’investir aujourd’hui.
Nous appelons le président Frédéric Bierry et la collectivité alsacienne dans son ensemble à revenir sur les options actuellement à l’étude, en considérant nos observations et propositions. Ce projet, comme de nombreux autres, arrive trop tard dans sa phase de discussion, occultant tout débat sur son opportunité, ses caractéristiques et son coût.
La seule consultation des promoteurs et demandeurs d’aménagement, et des acteurs économiques qui voient dans le projet un intérêt personnel ou économique, ainsi que le format très publicitaire et valorisant des temps d’information de la CeA, ne sont pas satisfaisantes.
Pour un partenariat de qualité, où l’autorisation et l’acceptation du dissensus est le meilleur garant de la démocratie, nous déplorons la non reconnaissance de l’apport singulier et citoyen des associations et collectifs que nous représentons, des habitants des communes environnantes non consultés pour ce projet, des associations environnementales, des chercheurs en sciences sociales et environnementales, avec leurs idées, leurs dynamiques et initiatives et leurs compétences respectives.
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