Ried est un terme d’origine alémanique qui signifie roseau et, par extension, tout espace couvert de ces plantes, entouré de prés humides, souvent inondés et exploités traditionnellement en prairies de fauche. En Alsace, de nombreux lieux-dits portent ce nom, même si aujourd’hui le caractère humide du lieu a parfois disparu. Actuellement, ce terme est employé pour désigner une vaste zone humide d’environ 200 km2, à savoir le grand ried de l’Ill situé au centre de la plaine d’Alsace entre Strasbourg et Colmar. Toutefois, il existe d’autres rieds comme par exemple le Bruch de l’Andlau, le Ried de la Zorn, du Seltzbach, de la Zembs, de la Bruche, de la Lauter ou de la Sauer.
La richesse biologique des rieds repose sur la présence de l’eau. En effet, tous ces milieux sont parcourus par un important réseau de cours d’eau. Dans certains d’entre eux, issus de résurgences de la nappe phréatique, coule une eau fraîche et claire. Les rieds sont aussi caractérisés par des inondations qui se produisent généralement après les pluies d’automne et lors de la fonte des neiges. Elles sont dues au débordement des cours d’eau comme par exemple celui de l’Ill, mais des remontées de la nappe phréatique peuvent maintenir les sols inondés après la décrue des rivières. Le rôle de ces zones inondables est très important pour l’écrêtage des crues, pour la recharge de notre propre ressource en eau et aussi pour l’apport régulier des nutriments qui stimulent l’activité biologique du sol. Ces prairies sont entrecoupées de boisements, de bosquets, ou de grandes forêts comme celle de l’Ill. Elles abritent une grande diversité animale et végétale dont le courlis cendré qui est devenu l’oiseau symbole du ried.
La menace continue de la monoculture du maïs
Le ried est un milieu semi-naturel façonné par les hommes, un paysage culturel selon l’expression allemande (Kulturlandschaft). Il est la rencontre harmonieuse entre culture et nature, à la fois prairie de fauche et zone humide, nourricière des vivants humains et des vivants non humains (oiseaux, mammifères, insectes), inondable et fertile, à vocation agronomique et écologique, bref de l’agro écologie à haute valeur biologique et culturelle. C’est la résultante moderne d’une longue histoire entre homme et nature à partir de l’implantation des peuples agro pastoraux du Néolithique dans cette sauvage vallée du Rhin de l’époque.
Mais voilà, la modernisation de l’agriculture et les choix économiques ont transformé ce paysage d’une grande beauté esthétique en une morne plaine dédiée à la monoculture industrielle, notamment celle du maïs. Le déclin des rieds s’est amorcé dès les années 60 et s’est poursuivi jusqu’à nos jours. Au final près des deux tiers des rieds ont été supprimés, faisant ainsi disparaître progressivement un des visages de l’Alsace. Certains oiseaux qui nichaient dans les rieds comme le busard cendré, la bécassine des marais ou le râle des genêts ont déserté les lieux. Le courlis cendré, oiseau facilement reconnaissable avec son bec recourbé vers le sol, est menacé de disparition. Il n’en existe plus aujourd’hui qu’une dizaine de couples en Alsace alors que l’on en comptait près de 250 dans les années 1970. Cet appauvrissement de la faune et de la flore est lié à la disparition des rieds mais aussi aux pratiques agricoles (précocité de la fauche, ensilage, utilisation d’engrais).
Une protection publique bien trop timide
Les actions menées à ce jour pour enrayer la disparition des derniers rieds ont montré leurs limites. Des parcelles de ried ont été acquises pour les protéger mais les superficies protégées, de l’ordre de quelques hectares, restent modestes. Des arrêtés préfectoraux de protection de biotopes ont été pris, comme par exemple dans le Bruch de l’Andlau, le ried de la Lutter et une partie du ried de la Zembs, et une réserve naturelle régionale de l’Illwald a été créée près de Sélestat, intégrant une partie de la forêt et les prairies attenantes. Mais ces sites protégés ne représentent que quelques centaines d’hectares.
Des mesures agro-environnementales ont été mises en œuvre pour encourager les agriculteurs volontaires à poursuivre la fauche afin de ne pas retourner les prairies et cultiver du maïs mais elles ne sont pas pérennes. À saluer aussi : des accords passés avec les agriculteurs et certaines communes propriétaires de prairies ainsi que des propositions concrètes élaborées par les associations de protection de la nature pour sauver les rieds encore intacts, en suggérant notamment la mise en place d’un programme d’envergure « Rieds vivants », à l’image de celui mis en place pour le Rhin et la bande rhénane, mais qui attendent d’être prises en compte. Enfin le Conseil départemental du Bas-Rhin avait promis de classer le ried noir (à l’est de Benfeld), l’un des plus riches, en Espace Naturel Sensible en 2018 mais la promesse est restée sans suite.
Les collectivités locales doivent réorienter les aides
La protection des rieds dépend intimement d’une agriculture écologique. Les actions pour enrayer le déclin de ces milieux nécessitent des mesures particulières et pérennes dans le cadre de la future Politique Agricole Commune, qui devrait être finalisée en 2023. Celle-ci prévoit un système des « écorégimes » proposé par la Commission pour rémunérer les services rendus à l’environnement par les agriculteurs. La future PAC propose aux États une plus grande liberté pour distribuer les aides. Ce serait donc à l’Etat Français en lien avec la Région Grand Est et la Collectivité européenne d’Alsace de définir ce nouveau système d’aides avec le monde agricole local pour bâtir une agriculture à la fois viable et respectueuse des richesses écologiques des rieds et de la qualité des eaux.
L’enjeu est de taille et il y a urgence car nous sommes face à deux défis majeurs du XXIème siècle : le réchauffement climatique et la sixième crise d’extinction de la diversité biologique. Or les rieds concernent à eux-seuls ces deux enjeux avec d’une part, le risque de disparition de tout un cortège d’animaux et de plantes, et d’autre part, le maintien des zones humides, au rôle fondamental en cas de sécheresse et qui garantissent une certaine qualité de la nappe phréatique, polluée notamment par les pesticides employés pour la culture du maïs.
Inscrite dans de nombreux documents sur la protection de la nature en Alsace et attendue par beaucoup citoyens, la préservation des derniers rieds est devenue une priorité absolue. Alors que la France s’est engagée pour la sauvegarde de sa biodiversité, il faut espérer que la protection des rieds sera prise en compte ou alors faudra-t-il un recours en justice des associations de protection de la nature, comme celle intentée par diverses ONG contre le gouvernement français pour inaction climatique, cette fois pour non-assistance à animaux et plantes en danger ou encore pour inaction face à la pollution de la nappe phréatique qui menace la santé des Alsaciens ?
Jean-Claude Génot
Remerciements à François Steimer pour ses précieuses informations qui ont permis la rédaction de ce texte.
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