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Tribune : « Il faut réformer le cumul des mandats »

Pour Stéphane Bourhis, conseiller municipal UMP de Hoenheim, le cumul des fonctions électives doit être limité, même s’il l’estime justifié par des raisons politiques ou économiques. En contrepartie, il défend l’idée d’un « statut de l’élu », le protégeant pendant et après son mandat, et assurant le retour à l’emploi « civil ».

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Tribune : « Il faut réformer le cumul des mandats »

Stéphane Bourhis à la tribune, lors de la campagne des élections législatives de juin 2012 (Document remis)

Tribune

Il faut mettre fin au cumul des mandats ! Ceci dit, on se croit autorisé à jeter en pâture les élus qui cumuleraient sans s’interroger. Cela détend en période de crise ! Pourtant, il convient de se poser les questions fondamentales à savoir les origines du cumul avant d’envisager les réformes impératives pour mettre légitimement fin aux éventuels abus.

La première approche est d’analyser les origines du cumul en France, qui n’est pas une nouveauté. Dès 1846, sous la Monarchie de juillet, on constate que la Chambre des Pairs de France comporte 54 % de députés qui sont aussi maires et/ou conseillers généraux.

La 3ème République n’échappe pas à la règle, puisque pendant toute sa durée, elle comporte entre 25 et 35 % de députés-maires et entre 40 et 50 % de députés-conseillers généraux. Le cumul touche tous les partis politiques et cela permet à Guillaume Marrel, Maître de Conférences en Science Politique à l’Université d’Avignon, d’affirmer que le cumul s’institutionnalise progressivement en commençant par les partis républicains les plus conservateurs jusqu’aux communistes à partir des années 1930.

Les raisons du cumul : stratégie, conquête du pouvoir et niveau de vie

Se pose naturellement la question des causes du cumul. La première est incontestablement stratégique et vise à accumuler des mandats pour exercer des pouvoirs plus grands ou complémentaires. La seconde peut être socio-économique puisqu’elle vise à permettre à des élus d’exercer un ou plusieurs mandats à temps complet en cumulant également des indemnités compensant leur implication pour la « vie de la cité », la politique.

Tout d’abord, étant donné le caractère progressif de l’acquisition des mandats, on ne devient pas député et encore moins sénateur sans avoir exercé d’autres mandats antérieurs. On peut le regretter, mais ce sont ces mandats successifs ou cumulés qui légitiment à la fois l’investiture par des partis politiques, mais aussi la reconnaissance par le corps électoral et la notoriété personnelle. Content de l’exercice d’un mandat, l’électeur envoie alors le candidat, souvent déjà élu par ailleurs, à l’Assemblée ou au Sénat.

Ensuite, les Trente Glorieuses étant passées, l’exercice d’un mandat est plus délicat à assurer en complément d’un métier. Le cadre, le salarié de 2012 doivent être impliqués, la multiplication des absences pour exercer un mandat passe moins. En même temps, les mandats se sont complexifiés et nécessitent une implication totale souvent chronophage. S’additionnent à cela l’absence de couverture sociale, les faibles retraites concernant les mandats globalement non parlementaires.

L’ensemble peut donc paraître légitimer un certain cumul de mandats et de revenus issus de ceux-ci. On peut alors comprendre qu’un élu à temps plein demande à pouvoir voir son engagement compensé à hauteur de celui-ci. Reste que naturellement, la loi a déjà limité ce cumul en mandats et en indemnités.

Faut-il aller plus loin ? L’idée d’un mandat unique est parfois posée. On notera qu’il peut sembler absurde de couper un élu national d’a minima une attache locale. On ne peut d’un côté prétendre que les élus nationaux soient éloignés des préoccupations des Français et les empêcher de s’en rapprocher. La réforme de fond est ailleurs.

Pas de réforme sans statut de l’élu

Pour limiter le cumul, il convient d’abord de doter l’élu d’un statut social et économique le protégeant lors de l’exercice du mandat et accompagnant la transition que peut être la fin de mandat et le retour à l’emploi « civil ». II convient ensuite de différencier les mandats et fonctions rémunérés ou non.

Cette réforme s’imposerait d’abord donc aux 36 000 maires, et globalement aux adjoints des villes de plus de 10 000 habitants et aux conseillers municipaux des grandes villes et aux membres des communautés urbaines et communautés de communes). Pour des raisons budgétaires et politiques induites ( l’éventuel regroupement de communes, le poids financier), on comprendra que rares seront les politiques à oser l’entamer ou l’évoquer.

Pourtant, c’est ce statut de l’élu qui est la pierre angulaire d’une éventuelle limitation des cumuls à imaginer dans le temps et dans le nombre. Sans cela, on pourra naturellement limiter le cumul entre un mandat parlementaire et l’exercice d’une présidence ou de la magistrature d’une collectivité de plus de 20 000 habitants. Mais cela restera insuffisant.

On aura bien compris que toutes les réformes intermédiaires – diminution du nombre d’élus, fusion région/département – ne seraient qu’un cautère sur une jambe de bois. On aura bien compris aussi que, de facto, les 3 900 conseillers généraux et 1 757 conseillers régionaux pèsent comptablement peu dans l’adoption ou non d’un statut de l’élu.

Un corps électoral paradoxal

La question de la volonté profonde de changement et de la capacité à la mener est donc posée. Au-delà des vœux pieux, c’est sans doute à une réforme de l’ensemble des institutions de la Vème République qu’il faut appeler si l’on veut revoir le rôle et les devoirs de l’élu.

Enfin, il y a une réalité électorale à prendre en compte. L’électeur, celui-là même qui dit ne plus vouloir d’élus cumulant des mandats, sanctionne-t-il les élus qui cumulent lorsqu’ils réclament ses suffrages ?

Généralement non, car il se fonde sur l’expertise de l’élu, sa réputation et ses idées pour voter en connaissance de cause. L’expertise et la réputation étant généralement, en France, fondée sur des cumuls de mandats intermédiaires, la vox populi est donc plus que jamais paradoxale.

Pour le reste, il serait temps d’oser réformer plutôt que de débattre dans le vide. Nous en sommes loin. Pendant ce temps, nos compatriotes attendent de leurs élus des solutions à des problèmes bien plus importants, des problèmes qui les touchent dans leur quotidien et dans leur qualité de vie.

Stéphane Bourhis


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