Il a fallu une affaire (malheureusement loin d’être isolée) pour mettre en lumière l’incohérence qui règne dans la politique migratoire française. Depuis dix ans, sous couvert de fermeté et pour soi-disant ne pas prêter le flanc aux critiques d’une droite radicale de plus en plus virulente, les gouvernements successifs ont durci la législation en matière d’immigration et d’asile.
336€ par mois, moins que le RSA
L’« affaire Leonarda » qui a généré tant de commentaires ces dernières semaines n’est en effet qu’une illustration parmi d’autres des dérives de la politique migratoire française. Elle a ainsi révélé au grand jour la durée extrêmement longue de traitement des demandes d’asile dans notre pays (deux ans en moyenne), durée pendant laquelle les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler et ne disposent d’aucun autre moyen de subsistance que l’allocation temporaire d’attente (336€ par mois, moins que le RSA).
Il serait regrettable que l’émotion légitime qu’a pu susciter la situation de la jeune collégienne kosovare ne s’accompagne pas en même temps d’une réflexion de fond pour clarifier non seulement la législation, mais aussi le débat public autour des questions migratoires en France.
« Sanctuariser l’école », improductif
Se contenter de « sanctuariser l’école » ou de réformer à la marge le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) serait non seulement improductif, mais surtout extrêmement dangereux et ouvrirait la brèche aux positions les plus extrêmes. Il a ainsi suffi de quelques jours pour que l’UMP profite du cafouillage gouvernemental autour de l’affaire Leonarda et des propos de Manuel Valls sur les Roms pour remettre en cause le droit du sol, fondement du pacte républicain.
Au-delà de l’absurdité de cette proposition (qui ne ferait que créer des apatrides), on ne peut que constater les glissements d’un débat qui conduit encore et toujours à désigner les immigrés et étrangers à la vindicte populaire, à traiter cette question sous un angle exclusivement sécuritaire et identitaire.
Invasion migratoire fantasmée
Ces dérives ne se limitent pas à la France. Les autres Etats européens, paniqués à l’idée d’une invasion migratoire largement fantasmée, ont ainsi plus facilement réussi à s’accorder pour surveiller et verrouiller leurs frontières que pour mettre en place une politique d’asile et d’immigration commune qui garantirait les droits fondamentaux des migrants. Qu’ils soient des milliers à mourir chaque année dans les eaux de la Méditerranée ne change malheureusement rien à l’affaire.
Désastreuse sur le plan humain, cette politique de fermeté excessive est également inefficace (le taux d’étrangers et d’immigrés en France est stable depuis les années 1970, autour de 13 à 14%) et absurde sur le plan économique : 400 millions d’euros sont dépensés chaque année en France pour reconduire à la frontière des personnes qui sont souvent présentes sur le territoire depuis des années.
A Strasbourg, respect des droits
Il faut s’interroger non seulement sur les réponses « techniques » à apporter à ces questions, mais aussi sur le sens et les orientations que l’on souhaite donner à la politique migratoire française et européenne. A considérer l’étranger comme un danger potentiel, on ne fera qu’accroître la stigmatisation et exacerber les extrémismes et le communautarisme. Il est urgent d’introduire de la sérénité dans ce débat afin de mettre en place une autre politique d’asile et d’immigration et de changer enfin d’approche.
La politique menée en la matière par la Ville de Strasbourg (création d’un Conseil des résidents étrangers, interculturalité, lutte contre les discriminations…) illustre parfaitement que dès lors que l’on respecte ses droits, l’étranger devient non pas une menace, mais une chance et un atout au sein de la communauté. Il serait bon que les responsables politiques s’inspirent de ces exemples et se détachent de leurs positions idéologiques, au risque de fragiliser le pacte républicain de manière irréversible.
Pernelle Richardot
Adjointe au maire de Strasbourg en charge de la citoyenneté
Présidente du Cofracir, Conseil français de la citoyenneté de résidence
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