Lundi, 26 juin, le conseil municipal était enfin appelé à se prononcer sur le classement au patrimoine historique des Bains municipaux. Délibération complexe et lourde de conséquences car devant en outre fixer les bases du projet de rénovation. Cinq ans d’attente pour cette décision du maire : la pleine reconnaissance de la valeur historique de ce patrimoine si cher aux Strasbourgeois ! Cette soudaine « envie de classement » intervient juste avant la décision de l’Unesco à propos de la Neustadt, ce dimanche, et dont les Bains constituent l’un des fleurons, édifice emblématique de la politique sociale et hygiéniste de Strasbourg au début du XXe siècle.
Or, si l’importance patrimoniale de cet ensemble remarquable ne fait guère de doute, la question de sa protection semble décidément poser problème à l’exécutif municipal. Et la confusion règne toujours…
Inscription… n’est pas classement !
En présentation au conseil, l’adjoint au maire chargé du dossier, Olivier Bitz, confond les termes et dit que les Bains sont déjà « classés à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques ». Non, les Bains y sont inscrits. Certes, si la différence entre inscription et classement n’est pas à la portée de tous, l’erreur est inadmissible pour l’édile qui revendique, dans le traitement du dossier, une étroite collaboration avec la Direction des affaires culturelles (Drac). Mais peut-être s’agit-il seulement d’afficher une « collaboration » avec la Drac… comme il en fut de cette fumeuse « concertation », qui n’a jamais été un véritable dialogue public.
Contrairement à ce que pense la majorité des Strasbourgeois, les Bains municipaux ne sont pas classés. La désinformation à ce propos est importante, l’établissement étant souvent cité comme « classé monument historique », y compris dans des brochures éditées par la Ville !
La demande de protection de l’édifice date des années 1990. Une première étude dans ce sens a été réalisée entre 1994 et 1997, avec un diagnostic patrimonial et des propositions pour sa restructuration. Démontrant les qualités patrimoniales remarquables de cet ensemble, ce dossier a justifié le dépôt par la municipalité d’une demande de protection auprès des services du ministère de la Culture. Cette démarche a abouti à « l’inscription » des Bains municipaux à l’Inventaire supplémentaire des Monuments Historiques en octobre 2000. Il y a donc eu protection d’une partie des installations, mais pas du bâtiment en totalité.
Pourquoi Roland Ries a-t-il tant attendu pour donner l’accord au classement ?
Ensuite, au vu de l’importance de cet édifice, un dossier de classement très complet et bien détaillé a été instruit par la Drac. Un avis favorable au classement en totalité a été émis par la Commission nationale des monuments historiques (CNMH) réunie à Paris le 19 mars 2012. Mais l’arrêté de classement ne peut être soumis à la signature de la ministre qu’après le recueil de l’accord du propriétaire, c’est-à-dire la Ville de Strasbourg. Et le maire n’a toujours pas donné suite à cette demande.
Or, si pour le propriétaire l’opportunité de signer l’accord pour le classement d’un édifice peut dépendre, parfois, des travaux de rénovation prévus, dans le cas précis des Bains de Strasbourg, il est à craindre que le blocage du processus ne se trouve plutôt dans des desseins plus comptables.
Les Bains sont donc inscrits à l’inventaire, mais méritent d’être classés au titre des monuments historiques. Et, consultée en 2012 comme prévu dans la procédure, la commission nationale a suivi la proposition de la Drac, qui émettait alors un vœux de classement en totalité du bâtiment, justifié par la cohérence et l’intérêt d’ensemble. Depuis, la Drac aura sûrement relancé le maire, comme c’est habituel dans un processus de classement. Or il aura fallu cinq ans de tergiversations pour que Roland Ries en vienne à porter le sujet en délibération au conseil municipal. Mais, habile, le maire propose de restreindre le classement… aux seules parties déjà inscrites.
Pourquoi une telle résistance au classement en totalité ?
La réponse se trouve dans le projet qui prend forme de façon très claire. La première piscine de la ville, aujourd’hui plus que centenaire, sera finalement rénovée sur financements publics… par un opérateur privé. Qui, bien entendu, en assurera ensuite la gestion. Et compte bien évidemment en tirer profit, et vite ! Normal dans une logique privée. Moins normal dans un esprit de service public : les Strasbourgeois vont payer très cher cette rénovation, en ne gardant que l’accès aux deux bassins intérieurs et à quelques douches. Pour tout le reste, y compris le tant attendu bassin extérieur, aucune exigence de la Ville : le prix d’accès sera librement déterminé en accord avec l’opérateur choisi.
Cette question a provoqué de fortes réactions de la part de l’opposition – mais aussi le refus des élus écologistes de participer au vote.
Question qui montre, surtout, combien la privatisation proposée impacte directement le choix du périmètre de classement. Car pour mener à bien son projet, l’heureux attributaire de ce « marché public global de performances » ne devrait supporter qu’un minimum de « contraintes ». Ainsi, un classement en totalité n’est pas du goût de ceux qui aiment construire vite et dans un objectif de rentabilité court-termiste ! Pourtant, la rénovation du Palais des Fêtes prend son temps, elle, car elle doit se faire dans « les règles de l’art ». Le rythme des nouveaux Bains semble suivre le tempo électoral. Faut-il que cette rénovation soit achevée avant la fin du mandat de Roland Ries ?
Erreur… remarquable !
Selon Olivier Bitz, si le « classement en totalité n’a pas été choisi », c’est parce que « tout n’est pas remarquable à la même valeur ». C’est donc l’adjoint aux finances qui se permet de juger ce qui doit ou non être préservé – et ce malgré l’avis étayé des membres de la Commission Nationale des Monuments Historiques !
Cette vision étriquée induit la solution de l’éclatement du projet. Seul le bâtiment principal sera, dans un premier temps, concerné par la rénovation confiée au privé. La reconversion de la chaufferie sera prise en charge par le service de la construction de la Ville. Mais le devenir de l’aile médicale reste dans le plus grand flou. Ce qui semble incompréhensible… sauf à penser que cette surface importante (environ 1 500 m², sur 4 étages, plus la partie de la cour attenante) pourra constituer la « carotte » transmise par la suite au même opérateur. Pour y implanter une activité fortement lucrative, type résidence hôtelière ou clinique de luxe ?
Tous ces détails historiques qui vont gêner la rénovation… ou pas
Et la municipalité ose nous dire que l’avenir de l’aile médicale « n’est pas encore décidé » ! Voyons, si tel est le cas, c’est vraiment grave : un programme incomplet qui intervient sur des espaces protégés (classés), d’autres non-protégés, avec toutes les embrouilles relatives aux différents régimes d’autorisations, dans un contexte de protection mixte…
En premier lieu, l’intervention de différents architectes – sans la perspective d’un projet d’ensemble – est un facteur de risque. Par exemple, pour les façades : un traitement différent dans le temps et par divers intervenants est à craindre (et forcément à éviter).
L’amateurisme peut se déchaîner à l’intérieur de la chaufferie, qui semble devoir être transformée assez rapidement. Et que dire du bâtiment des Bains médicaux, dont les intérieurs ne sont pas protégés (mis à part les bassins et la robinetterie d’origine de l’actuel sauna) ? Dans ce bâtiment, jamais mis en avant, l’architecte Fritz Beblo a conçu de magnifiques espaces qui risquent alors d’être dénaturés, selon des exigences d’un programme qui reste mystérieux.
Autre incohérence de cette délibération : le « programme de l’opération » prévoit « l’agrandissement des plages » autour des bassins. Mais le périmètre de classement inclut les cabines/vestiaires. Or nos Bains sont parmi les seuls en Europe ayant conservé leurs cabines d’époque en totalité. Comme il n’est certainement pas question de rétrécir les bassins, compte-t-on supprimer les cabines ?
Pourquoi ne pas en faire le bâtiment du sport-santé ?
Pourquoi ne pas concéder ce bâtiment à l’installation du dispositif « Sport-Santé » – et notamment, en enrichissant la vocation initiale de cette aile dite médicale, par d’autres activités liées à la santé (kinésithérapie et ostéopathie sont déjà présentes dans les lieux). Pourraient ainsi être adjointes des médecines alternatives de plus en plus recherchées, et ayant un rapport direct avec la prévention. Qu’en pense le Dr Alexandre Feltz, adjoint au maire en charge de la santé ?
Les locaux de la chaufferie ne seront sûrement pas suffisants à l’évolution de ce beau projet, qui participe pleinement au si cher « rayonnement de Strasbourg ». Prenez donc de l’espace dans ce bâtiment, historiquement concerné ! Une rénovation soigneuse pourrait même intégrer les actuelles installations du sauna (ancienne salle d’hydrothérapie) au dispositif « Sport-Santé ».
Pour conclure, nous n’avons aucune opposition de principe aux investissements privés. Si un nouvel équipement aquatique devait être construit dans l’Eurométropole, pourquoi ne pas compter sur les investisseurs privés ? Mais, de grâce, livrer nos Bains municipaux à ce commerce sournois en dépossédant les Strasbourgeois de la doyenne de leurs piscines… voilà qui caractérise un affreux délit de non-assistance à patrimoine en danger !
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