C’était un moment attendu dans la vie politique mouvementée et militante autour l’arrêté anti-mendicité adopté le 25 avril (voir nos articles). L’audience devant le tribunal administratif, jeudi 4 juillet, a vu l’avocat de la Ville de Strasbourg proposer des arguments juridiques assez différents des justifications politiques développées par le maire Roland Ries (PS) et son adjoint à la Sécurité Robert Herrmann (PS). Du côté des opposants, cela a permis d’en savoir plus sur les chiffres et les justifications de cet arrêté qui a fracturé la majorité municipale.
Deux individus appuyés par un collectif
Deux particuliers s’estimant visés par le texte ont porté ce recours : Steve Le Faou, présent à l’audience mais à qui aucune question n’a été posée et Lucie Bon, non-présente. Le premier, sans emploi, a vécu dix ans à la rue entre 2006 et 2016 et participe comme bénévole aux tournées de deux associations de solidarité. La seconde indique vivre à la rue, mais peut justifier d’une adresse à l’association l’Étage. Fournir une pièce d’identité et une adresse est une condition pour se pourvoir devant la justice administrative, ce qui de fait exclut plusieurs personnes à la rue.
Ils ont été appuyés par le Labo citoyen Strasbourg, un club de réflexions sur les politiques locales fondé notamment par le conseiller municipal et vice-président de l’Eurométropole, Syamak Agha Babaei (majorité, divers gauche). Comme il s’agit d’un collectif informel, il n’a pas d »‘intérêt à agir » telle une association Une cagnotte a été mise en ligne pour financer l’action.
La délicate question de l’urgence
Il y a-t-il une urgence à se prononcer sur la légalité de cet arrêté ? Oui, selon Me François Zind qui estime que l’été est une période plus difficile pour les personnes à la rue. Plusieurs associations de solidarité arrêtent leurs tournées et certaines structures ferment en raison des congés. De plus, seule la place du Marché-Neuf, visée par l’arrêté, est « végétalisée et avec un point d’eau » poursuit celui qui a travaillé deux ans pendant ses études dans « un centre d’accueil pour grand précaires ».
Pour la défense, Me Antoine Marcantoni a rétorqué que l’intérêt public était supérieur, car le texte est proportionné : « Je n’ai jamais vu une mesure aussi limitée dans l’espace ». Si le tribunal n’est pas sensible à cette notion d’urgence, il n’a pas à s’intéresser aux autres arguments développés et ce cas sera étudié au fond, dans une dizaine de mois.
Les SDF ne sont pas visés…
Concernant la légalité de l’arrêté, Antoine Marcantoni a pour sa part plaidé que ce texte ne cible « pas de catégorie de personnes ». Une défense juridique pour parer les critiques faisant été d’une « discrimination ». Il a insisté sur le fait que le texte pointait l’occupation prolongée de l’espace public qu’elle soit « accompagnée de mendicité ou non ».
L’argumentation contraste avec celle du tandem Ries-Herrmann qui a toujours défendu un arrêté « anti-mendicité agressive » (le dernier adjectif étant peu repris, les articles de l’arrêté étant assez vagues sur la notion d’agressivité). François Zind a tenté de retourner l’argument « est-ce que l’on pourrait verbaliser les lycéens d’un établissement réputé qui déjeunent parfois sur la place ou les pratiquants qui sortent du temple ? »
Pour Antoine Marcantoni, il faut différencier cette mesure (qui entraînerait donc en théorie des PV de 38 euros) de police administrative, différente de celles de la police judiciaire qui peut déjà sanctionner actes violents, un des axes d’attaque principal des détracteurs du texte. « Le but est de prévenir des actes pas forcément répréhensibles par le code pénal ». Il a comparé cet arrêté à celui qui interdit aux cyclistes de rouler rue d’Austerlitz, entre la place éponyme et la place du Corbeau, qui vise « à prévenir les accidents ».
Analyse fine des courriers et PV
Pour la procédure, la Ville a produit 27 courriers et e-mail de plaintes diverses pour les années 2016 à 2019, sans qu’il n’y ait d’augmentation au fil des années selon les requérants (2 en 2016, 5 en 2017, 12 en 2018 et 5 en 2019), les plaintes étant parfois hors secteur. Concernant les interventions, la Ville de Strasbourg a indique que 194 procès verbaux ont été dressés sur les 3 places et rue concernées entre le 1er janvier 2018 et le 25 avril 2019. Mais en se plongeant dans le détail, François Zind ne voit pas de justification chiffrée pour motiver l’arrêté.
En se limitant aux 61 interventions de la police municipale, seules 21 des 61 interventions (34%) concernent la période de l’arrêté (25 avril au 30 septembre et du 23 novembre au 31 décembre), la majorité concernent des musiciens (50% en hiver et 66% en été) et qui ont débouché sur 1 seule interpellation de personnes à la rue, pour non-tenue de chiens en laisse. En comptant toutes les 194 mains courantes, c’est-à-dire y compris celles établies depuis le centre de supervision, 106 concernent la période de l’arrêté et ont mené à 10 interpellations. « S’il y a un problème, la situation se résorbe d’elle-même quand la police vient », en conclut François Zind.
Au passage, Me François Zind soulève aussi que l’association de commerçants qui a réclamé cet arrêté depuis des années, les Vitrines de Strasbourg a son siège au croisement des trois places.
Pour la Ville, Me Anoitne Marcantoni a ajouté que l’arrêté n’est pas une expérimentation, contredisant là encore les dires de Roland Ries qui a plusieurs fois promis une évaluation « avant l’été ». Les requérants demandaient sur quels critères serait évalué un tel test.
Décision sous deux semaines
La décision du tribunal, qui présentait une rare formation collégiale de trois juges, est attendue dans un délai de 15 jours maximum.
Questionné à la sortie du tribunal Me Marcantoni ne donne pas de durée pour expliciter ce qu’est une « occupation prolongée » de l’espace public, mais parle « d’une utilisation pérenne et répréhensible de l’espace, ce qui n’est pas le cas d’un piéton ». Notons que pour les groupes de musique, la durée pour jouer avant une intervention de la police est de 20 minutes.
« C’est à cause d’une dizaine de mecs bien identifiés qu’on en prend plein la gueule. Il n’y a jamais eu de problème pendant 10 ans. », s’agace pour sa part le requérant Steve Le Faou.
« On a laissé le temps à Roland Ries de revenir sur cet arrêté avant de déposer ce recours. », ajoute pour sa part Me François Zind selon qui la notion d’urgence est la plus difficile à justifier. Sur le fond, le tribunal peut censurer certaines phrases ou certains articles. Mais cette décision-là pourrait intervenir après les élections municipales de mars 2020.
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