Sylvain est rentré de l’hôpital après y avoir séjourné pendant 2 mois. On a dit à sa femme qu’il n’avait qu’à aller en maison de retraite . Sylvain à un cancer qui est en phase terminale avec des métastases jusque dans la tête . Il ne peut plus bouger un côté de son corps et ne réfléchit plus bien. On lui a fait des traitements très lourds chimiothérapie, radiothérapie. Mais un matin il a été paralysé. Sa femme a du trouver une solution et la seule a été le retour à domicile. Sylvain est rentré sans aucun courrier au médecin traitant ni aucun plan de soins infirmiers. Éjecté…
Il sera rentré douze heures et réhospitalisé aux urgences pour douleurs aiguës. Retour à domicile sans aucun courrier à nouveau. Ah au fait , Sylvain a quand même un carton de rendez-vous pour une chimiothérapie dans trois semaines alors qu’il est mourant…
Une débauche d’énergie pour un scanner
Mario s’est blessé en faisant un sport violent, il est footballeur américain. Il a eu très mal au dos lors d’un placage dangereux . Il consulte à l’issue du match aux urgences, le doc du match (moi) a prévenu, c’est une sciatique traumatique sévère, un scanner est nécessaire. Mario va passer la nuit aux urgences et sera renvoyé chez lui avec une simple radio du dos. Pas de scanner. Pas de courrier au médecin de Mario.
La course à l’échalote va commencer pour le médecin libéral (toujours moi), qui va passer sa matinée tout seul dans son coin à essayer de faire jouer tous les leviers possibles pour obtenir une IRM lombaire devant l’atteinte neurologique. L’IRM sera réalisée en ambulatoire grâce à la compréhension du radiologue libéral (merci à lui) qui acceptera de le rajouter à son planning. Mario sera réexaminé à l’issue de l’examen et hospitalisé pour être opéré très vite d’une très volumineuse hernie discale en CHU.
Quelle débauche d’énergie, quels détours compliqués et quels aller-retours pour le patient pour obtenir juste le normal, le nécessaire… Tout ce temps passé en gérant en même temps la consultation et les autres patients du samedi n’est évidement pas rémunéré ni valorisé. L’impression de pédaler dans la… choucroute, alors que le diagnostic avait été posé dès le début.
Un appel, et tout le monde s’organise
Marie est âgée , elle a fait une chute de son lit et s’est cassé le col du fémur. Marie n’avait pas toute sa tête avant tout ça déjà et elle a perdu le peu d’autonomie qu’elle avait avant de tomber. Elle sera hospitalisée en traumatologie, puis en gériatrie . Son Doc traitant sera prévenu de son retour à domicile une semaine avant, par l’interne du service pour pouvoir organiser les soins et commander le matériel. Marie va avoir un lit médicalisé, une infirmière deux fois par jour, une auxiliaire de vie et un Kiné pour pouvoir s’occuper d’elle. Ses enfants vont pouvoir s’organiser pour l’accueillir.
Quel rapport entre toutes ces histoires ?
Aucun, si ce n’est la communication de l’hôpital ou son absence avec un interlocuteur pourtant essentiel pour le malade : son médecin traitant.
Pour une histoire qui se passe bien avec une communication de l’hôpital vers l’extérieur (ici la gériatrie), combien de cas où l’on se moque totalement de toute communication, voire pire où l’on prend le médecin traitant pour l’imbécile heureux de service, pour la quantité négligeable ?
La non communication est devenue tellement la règle aujourd’hui que lorsqu’un médecin hospitalier m’appelle pour me donner des nouvelles d’un patient ou m’annoncer son retour, (et je ne parle même pas de la possibilité de concertation pour les choix thérapeutiques , ne rêvons pas), je n’en reviens pas et je remercie chaleureusement mon interlocuteur.
Entre le CHU et les cabinets : un mur de Berlin
Le plus drôle c’est de voir la réaction de mes internes stagiaires de médecine générale (qui ont été formés et mal formés à la non communication et au mépris de ce qui n’est pas l’hôpital) lorsqu’ils se rendent compte de ce qu’il y a de l’autre côté de la frontière, que dis-je du mur de Berlin, dressé entre le CHU ou les services de cancérologie privés et la médecine de ville.
Une de mes internes a même eu la surprise de reconnaître une patiente qui avait été hospitalisée dans un service où elle avait été stagiaire, et de se rendre compte de la non prise en compte des conditions de vie de celle-ci à sa sortie de l’hôpital. Pour une fois elle avait été confrontée à un avant -après. Et le choc a été rude. D’une patiente décrite autonome (aheum) dans la lettre de sortie, on en avait fait le temps d’un trajet en ambulance une grabataire totale incapable du moindre transfert entre son lit et un fauteuil…
Depuis presque 20 ans je m’oblige pour chaque patient que j’adresse à mes confrères hospitaliers à faire un courrier motivant l’hospitalisation en y détaillant la clinique et le mode de vie et j’y ajoute son plan de traitement et un résumé de son dossier médical. J’ai juste l’impression que tout le monde s’en tamponne , voire comme l’autre jour de me rendre compte que les documents avaient été classés verticalement et n’avaient pas passé le cap des urgences vers le service de cardiologie.
Comment plaider pour que cette communication se fasse ? Comment te dire à toi le Grand Docteur du Grand hôpital de regarder ce qui se passe vraiment dans la vraie vie en dehors de ton service ? Comment te convaincre que prendre ton téléphone est utile pour ton patient ? Comment te dire que tes internes ont une formation déficiente, pleine de clichés et hospitalo-centrée ?
Mais faisons un rêve… Celui d’une relation où le médecin traitant ne serait pas le crétin de base pour toi le grand spécialiste, mais un interlocuteur qui a l’expérience de ce que tu ne connais pas : la médecine de proximité et de premier recours du patient. Et je pourrais encore te parler du carré de White (pdf), mais je ne le ferai pas pour ne pas insulter ton intelligence.
Et tu sais il y a encore un truc que j’ai encore envie de te dire quand tu m’ignores : « et la politesse bordel ! »
Aller plus loin
Sur Rue89 Strasbourg : le blog de Doc Arnica
Chargement des commentaires…