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Thierry Danet : « L’Ososphère, un supplément de perception pour habiter la ville »

Grand entretien – Thierry Danet, directeur de L’Ososphère, détaille les ambitions du festival, qui se décline cette fois sur une saison découpée en trois « districts. »

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Thierry Danet : « L’Ososphère, un supplément de perception pour habiter la ville »

Directeur de la salle des musiques actuelles de la Laiterie, Thierry Danet est aussi le responsable de L’Ososphère. Mais si le festival est surtout connu pour ses concerts de musiques électroniques, le rendez-vous se veut protéiforme et politique. Rencontré début septembre, Thierry Danet détaille les enjeux et les raisons de ce festival itinérant dans l’espace et le temps.

Rue89 Strasbourg : À quoi ressemble L’Ososphère cette année, alors que ce rendez-vous existe depuis 1998 ?

Thierry Danet : La grande nouveauté cette année, c’est qu’on aura toute une saison de L’Ososphère, répartie en trois districts, de septembre à mai. Le premier de ces districts, c’est les Nuits électroniques, du 13 au 22 septembre. Et c’est notre grand retour puisqu’on habite à nouveau l’ensemble du quartier Laiterie, comme entre 2006 et 2009. Et je dis bien « habiter ». On transforme complètement un morceau de ville vivant avec une « ultra rue, » on ouvre un parc, on installe des espaces pour que les gens se retrouvent, des œuvres, etc.

« À L’Ososphère, il y a ce moment magique où tu te perds »

Tous ceux qui connaissent les Nuits de l’Ososphère savent que c’est un moment où tu perds tes repères, tu te fais un programme et tu changes d’avis parce qu’il y a plein de choses à voir en même temps, tu rencontres des amis qui t’emmènent ailleurs… Il y a ce moment magique où tu te perds.

Le deuxième temps s’appellera Art District, du 10 au 21 janvier et ce sera plutôt centré sur l’architecture augmentée… Il y aura un restaurant d’artistes, des rencontres avec les Cafés conservatoires et aussi un peu de musique.

Un troisième mouvement aura lieu du 7 au 17 mai, il s’agira de Cosmos District et on traitera de l’espace depuis le lieu peut-être le plus chargé d’histoire de Strasbourg, place du Château. L’idée est de décentrer le regard, de reprendre une position capable d’interroger la vision, le mouvement…

Pourquoi être revenu à la Laiterie après le départ sur l’axe Deux-Rives en 2009 ?

Souvent, je m’amuse avec le tissus de la ville de Strasbourg, je regarde les lignes de forces, les quartiers, les réseaux, etc. Je superpose plusieurs calques sur un plan et j’essaie d’en détecter le sens de l’histoire urbaine. C’est pour ça qu’Ososphère a accompagné tout ce mouvement vers le Rhin, avec des éditions au Môle Seegmuller et à la Coop. Et en travaillant sur l’édition 2019, il m’est apparu comme évident qu’il fallait revenir à la Laiterie.

Thierry Danet : « C’est pas un coup, nous sommes de retour au quartier Laiterie et pour un moment ». (Photo PF / Rue89 Strasbourg / cc)

C’est pas un coup. Nous y sommes et pour un moment, il y a un peu comme un mouvement en spirale… Au-delà de l’ellipse, la Laiterie s’interface avec le centre-ville dans une forme de nouvelle excroissance, c’est une Neustadt qui s’ignore. Ça peut avoir l’air d’un « retour » pour certains, mais pour la majorité du public de L’Ososphère, qui a 25 – 30 ans, c’est une première.

Ne fallait-il pas créer un nouvel espace complet, mêlant concerts, expositions, performances pour recoller au concept original de L’Ososphère ?

Je dis souvent que L’Ososphère est une bulle de ville, c’est une expérience, pas juste une proposition de spectacles. C’est un ensemble qui fonctionne aussi avec ce que les gens y apportent. Chaque spectateur est aussi acteur d’un grand film en direct.

Il y aura beaucoup d’œuvres et d’installations aux Nuits électroniques, avec l’ultra-rue, des messages aux fenêtres, une création sur la vidéo-surveillance…

« Si tu veux rencontrer Strasbourg, il faut vraiment y habiter. La cathédrale, c’est extraordinairement beau mais c’est aussi tellement plus que ça ! »

Mais depuis 2009, l’ambiance a changé… Comment L’Ososphère s’est adapté ?

On n’a pas le choix, on est obligé de se conformer à des impératifs de sécurité qui se sont multipliés. Tu ne peux plus rien faire en 2019 comme tu faisais en 2009. Fort heureusement, on arrive à y répondre grâce à toute l’expérience qu’on a depuis 20 ans ! Là, on s’est bien amusés avec la bétonnière qui sert à barrer la rue du Ban-de-la-Roche, elle nous est imposée pour des questions de sécurité, on la recouverte de miroirs pour en faire une boule à facettes géante. Même chose avec les longrines, on les a transformés en bancs publics. Le coût de la sécurité a pris une place très très importante dans le budget du festival et en temps consacré à son organisation.

« Aux débuts de L’Ososphère, faire une vidéo en direct était une performance »

Et puis il y a la question du numérique… Évidemment, aujourd’hui l’environnement numérique est partout alors qu’aux débuts de L’Ososphère, l’informatique était encore balbutiante… On avait encore des modems 56K, on faisait d’une vidéo filmée à un endroit et transmise ailleurs en direct une performance ! Aujourd’hui, le public de L’Ososphère est né avec le numérique, ils ne conçoivent pas que ce fut différent… Mais les fondamentaux du festival ne changent pas : de multiples propositions et un lieu à habiter.

« Persister pour augmenter le regard »

Mais si L’Ososphère sert à questionner la ville, est-ce à dire que la ville n’est pas assez questionnée ?

Ososphère est un objet pop, une petite chose qui peut avoir des effets importants. C’est une fête mais avec une proposition artistique de poids. Or le geste artistique nous donne un supplément de perception. Or on en a besoin pour questionner notre environnement immédiat. Le danger serait que la ville ne soit qu’un dispositif d’agréments pour usagers, qu’une succession de services répondant à des besoins. Si on ne voit la ville qu’ainsi, on se retrouve immédiatement dans des contradictions : on veut sortir mais on veut une ville sans bruit, on veut faire ses courses près de chez soi mais sans camion dans les rues, etc.

La tentative de L’Ososphère, c’est persister pour augmenter le regard des gens sur la ville pour qu’ils l’habitent vraiment. Comment on fait une ville ensemble ? Il faut voir comment les jeunes interrogent aujourd’hui, alors qu’ils se demandent non pas quel futur ils auront mais s’ils auront un futur ! C’est une responsabilité partagée et c’est tout le sens de nos interrogations.


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