C’est terriblement efficace. Les spectateurs vont sans doute faire la queue à la billetterie du théâtre, comme les petits épargnants des années 20 à la Securities Exchange Company. Même ceux qui n’aiment pas le théâtre, même ceux qui n’auraient jamais pensé investir. Car il est séduisant et diabolique, ce Système de Ponzi.
Charles Ponzi, c’est le père spirituel de Bernard Madoff (et d’autres avant et après lui). Au tournant des années 20, cet Italien émigré aux États-Unis devient millionnaire en quelques mois en montant une escroquerie financière en spéculant sur les coupons réponse internationaux (on vous expliquera tout dans le spectacle). Il promet des profits mirifiques et lance le système financier pyramidal : les bénéfices des premiers investisseurs sont financés par la mise des seconds. Et ainsi de suite. On sait tous comment ça finit : tout le monde perd son argent et Ponzi/Madoff atterrit en prison. Mais ça ne nous empêche pas, semblerait-il, d’y retourner.
Auteur, metteur en scène et compositeur du spectacle, David Lescot fait de Charles Ponzi un personnage de roman et de son histoire une épopée. « Ah, Ponzi, avec toi on s’amuse ! », lui répète-t-on sans cesse. Arrivé à Boston sans le sou, flambeur fauché et traîne-misère, il ne renonce jamais à son rêve de fortune. Et il ne manque pas d’idées. Sa pyramide ne sera ni la première ni la dernière de ses trouvailles.
Le spectacle est aussi inventif et virevoltant que la figure centrale. Une galerie de personnages truculents défile en musique dans une scénographie astucieuse où des tables figurent tour à tour l’entrepont d’un bateau, la chaire du juge et les bureaux de la société d’investissement où s’accumulent les billets. Les comédiens sont d’une folle drôlerie : Elisabeth Mazev est hilarante, Jean-Christophe Quenon tonitruant et Céline Milliat-Baumgartner délicieusement décalée (petit bémol pour Scali Delpeyrat en Ponzi, qui disparaît presque face à eux). En toute insouciance et frivolité, l’histoire de la vie de Charles Ponzi, de sa fortune et de sa chute défile à un rythme effréné.
Pris dans le tourbillon de ce cabaret de la finance où tout le monde rêve de fortune, il est impossible de prendre du recul, impossible de réfléchir à ce qui est en train de se jouer réellement. D’autant moins que David Lescot ne pose sur son personnage (presque) aucun jugement, ne donne aucune leçon de morale. Et ce Système de Ponzi nous enthousiasme. Tellement qu’on y retournerait bien une seconde fois.
C’en est finalement un peu troublant. Car le fond de ce qu’on nous raconte est terrifiant. Et plus c’est gros, plus ça passe. Serions-nous aussi naïfs et désinvoltes, aurions-nous la vue aussi courte que ceux qui se sont laissé abuser par leur désir immédiat de fortune ? Comme eux, ce n’est qu’une fois que tout est terminé qu’on réalise ce qui vient de se passer. Et qu’on mesure la portée du spectacle. Vous avez cru que Le Système de Ponzi, c’était la fête ? Faux ! Il est diabolique.
Y aller
Le Système de Ponzi, jusqu’au 26 avril à 20h au Théâtre National de Strasbourg (les dimanches à 16h). Tarifs : de 5,5€ à 27€. 03 88 24 88 24 – www.tns.fr
Cabaret sur le thème de l’argent avec les comédiens du spectacle et ceux de la troupe permanente du TNS, le samedi 14 à 22h45 au café du TNS, entrée libre (réservation conseillé au 03 88 24 88 00)
Théâtre en pensées, rencontre avec David Lescot, le lundi 16 avril à 20h au TNS (Salle Gignoux). Entrée libre.
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