Deux voix, un homme et une femme, s’élèvent dans un clair-obscur. Ce sont deux narrateurs qui, dans la langue dense, gouailleuse, tantôt lyrique, tantôt cynique, de Dylan Thomas, plantent le décor. Nous sommes au Bois Lacté. Un petit village gallois tranquille, encore endormi. Par ces deux voix, sortes de narrateurs omniscients, nous perçons la nuit, plongeons au cœur des maisons, plantons un regard indiscret dans les rêves de leurs habitants. Le voyage dans les âmes du village commence. Bientôt le soleil va se lever, la bourgade s’éveiller, les vies se raconter.
Un jour, une vie
Le Bois Lacté ressemble à une île. Tous les comédiens y sont présents durant la pièce. Personne n’entre ni ne sort de ce microcosme. On est là, parce qu’on y est, comme dans l’existence, qui se peint ici par touches délicates.
Sur scène, onze comédiens seulement, et la vie a pourtant ici – sacré tour de force – soixante-dix visages : celui d’un savetier, d’un révérend poète, d’un simplet, d’un soulard, d’un bon à rien, d’une maniaque, d’une coquette, d’une fille de joie, d’une épouse tyrannique… Un mari rêve d’empoisonner sa femme, la femme du facteur ouvre le courrier des autres, d’autres pleurent des amours mortes, les morts hantent la mémoire des vivants, les vivants dans leur routine rêvent d’un meilleur. On est aigri, naïf, psychopathe, malheureux ou enthousiaste. On est jeune ou vieux, plein d’espoir ou de regrets. Un peu de temps avec des « petites gens », avec juste assez de caricature et de silence pour dire leur pudeur, leur mesquinerie, leurs désirs et leur beauté.
Ces vingt-quatre heures partagées avec les habitants du Bois Lacté, de la lenteur du réveil à l’abandon du soir, leurs quelques mots où s’expriment surtout ce qui se tait, déploient avec une simplicité désarmante toute la palette de l’existence. La vieillesse ressemble à l’enfance, le crépuscule à l’aube. L’avenir est un long passé…
Défi théâtral
Au Bois Lacté n’est pas une pièce, c’est un poème. Une pièce radiophonique comme on l’a appelée, écrite par l’auteur américain Dylan Thomas dans les années 1950. C’est dans le Brown Hotel du village de Laugharne, sur la côte galloise où il vit avec sa femme, qu’il rencontre cette multitude de personnages. Des gens simples, des vies simples, qu’il croise au quotidien et qu’il fixe par quelques mots sur des bouts de papier. C’est sans doute ce qui confère à la pièce son extrême simplicité, son percutant sans prétention.
La « première voix » du Bois Lacté fut Richard Burton en 1954, lors d’un enregistrement pour la BBC. C’est encore lui qui tint ce rôle, donnant la réplique à Elizabeth Taylor dans la version filmique d’Andrew Sinclair, Under Milk Wood. Ce fut ensuite au tour d’Anthony Hopkins d’être le narrateur, dans la version discographique de George Martin, sur une musique d’Elton John. Beau parcours…
Sur les planches françaises, le texte connaît sa quatrième version scénique. Un défi pour le metteur en scène américain – mais vivant et travaillant en France depuis 1970 – Stuart Seide, animé de la volonté de « faire théâtre de tout », et surtout de ce qui n’a pas été écrit pour le théâtre. « La mission du théâtre aujourd’hui plus que jamais me semble être de raconter des histoires, avec des personnages, tous porteurs d’une grande richesse de vie et d’incarnation », explique-t-il dans un entretien donné à Lille en 2011.
Mission accomplie. Le résultat s’apprécie comme une gourmandise, débordante d’honnêteté et de naturel. La mise en scène, la scénographie, le travail du son et de la lumière, le jeu et les voix, tout est sobre, efficace et intelligent. Au Bois Lacté ne se résume pas, mais se déploie, impalpable, avec la fluidité de l’écoulement du jour. 1h50 de plaisir qu’on aimerait voir durer plus longtemps. Au Bois Lacté, nous y serions bien resté…
Y aller
Du 13 au 21 décembre à 20h, dimanche 16 décembre à 16h, relâche le lundi 17. Durée 1h50. Séance spéciale en audiodescription le vendredi 21 décembre et bord de plateau à l’issue de la représentation le mardi 18 décembre. Tarifs : de 5,50 à 27€.
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