À partir de mardi 3 octobre, la compagnie Dinoponera, de Strasbourg, débute au TAPS Scala à Neudorf sa « trilogie de l’État urgent », avec « Du Sang Aux Lèvres. » Rencontre avec son metteur en scène, Mathias Moritz (dont Rue89 Strasbourg vous avait déjà parlé ici et ici).
Rue89 Strasbourg : pourquoi avoir appelé cette trilogie , « trilogie de l’État urgent » ?
Mathias Moritz : En abordant l’urgence, nous travaillons sur le thème de l’état d’urgence dans le pays mais également sur l’état d’urgence dans lequel on doit se mettre au théâtre pour raconter un sujet d’actualité qui n’aura plus la même importance des années plus tard.
C’est ainsi que j’ai choisi de m’attaquer à un classique de Shakespeare : « Coriolan », d’une manière assez singulière puisque j’ai demandé à mon équipe technique de lire l’œuvre une fois puis de la jeter, afin de travailler uniquement sur le souvenir et l’urgence des thèmes qui leur ont semblé correspondre à notre époque. D’où la nuance dans l’intitulé de l’oeuvre : « Du sang aux lèvres » après « Coriolan » et pas d’après « Coriolan ». Une petite nuance à laquelle je tiens , c’est Coriolan mais ce n’est plus du tout Coriolan en même temps.
Des œuvres classiques revisitées
Chaque pièce de la trilogie correspond donc à une réécriture d’une pièce classique ? Une sorte de remise au goût du jour ?
Absolument ! La première pièce « Du sang aux lèvres » raconte la façon dont l’on peut se sentir rejeté par son pays, et revenir pour le mettre à feu et à sang, ce qui n’est pas sans rappeler le terrorisme d’aujourd’hui. Suivra, « La purge » d’après « La mort de Danton » de Georges Buchner qui aborde la République, un regard actuel sur la première République et une projection sur ce qu’aurait pu être la sixième. Enfin, « Assassin » revisitera « Massacre à Paris », œuvre initiale de Marlowe abordant la Saint-Barthélemy, le massacre des Protestants, la reine Margot ainsi que le grand thème cyclique des tragédies modernes et anciennes.
Ça m’intéresse de retravailler « Massacre à Paris » des années après car c’est ainsi qu’on pourrait appeler les attaques du Bataclan à notre époque.
Les trois pièces peuvent être vue indépendamment les unes des autres ?
Oui ces trois créations sont des créations isolées qui auront ensuite pour but de se rassembler en tournée. Elles ont été créées avec les mêmes six acteurs, la même équipe technique et le même décor qui sera simplement modifié. Les trois œuvres indépendantes se réunissent par leur thème central commun, l’état d’urgence.
Quelles ont été les difficultés rencontrées pour adapter Coriolan ?
L’auteur de la pièce, Riad Gahmi, n’a pas adapté Shakespeare. Il s’est servi des thématiques déclinées dans Coriolan, en essayant de leur trouver un écho très contemporain.
Pour développer un peu, les difficultés rencontrées tiennent beaucoup à mon choix de travailler sur le terrorisme, et le basculement de jeunes occidentaux dans le djihadisme. C’est un sujet vraiment complexe à traiter, histoire d’éviter les pièges, qui sont très nombreux… J’ai choisi de traiter le phénomène en sortant de la seule explication religieuse, mais en tenant compte de notre propre « culture populaire », notamment cinématographique : et de faire coïncider certaines aspirations avec celle d’un Coriolan, le gout de l’héroïsme, l’apologie presque pornographique de la violence et la virilité…
Trouver la beauté après avoir creusé dans le sol
Qu’est-ce que le « théâtre de l’exorcisme » ?
La Dinoponera c’est le mystère, c’est l’aveu. C’est l’exorcisme. Dans les films d’exorcisme, il y a toujours l’histoire d’un curé en perdition, qui n’y croit plus, et c’est seulement lorsqu’il voit le diable et qu’il conçoit le mal, qu’il redécouvre la foi en Dieu. Le théâtre qu’on peut appeler trash, c’est pareil. On considère qu’en ne croyant plus au beau, il faut peut-être qu’on aille au plus profond du sol et une fois qu’on voit quelque chose de vraiment sale et de terrible, à partir de ce moment là, on peut déclencher quelque chose de collectif et croire à nouveau en quelque chose de beau.
J’aime appeler cela, le théâtre de l’exorcisme et je pense qu’il faut passer par cet exorcisme là, tous ensemble dans une salle. Dans « Du sang aux lèvres, » il y a ce questionnement également. Peut-être que le terrorisme actuel ne vient pas des pays lointains, mais de notre civilisation, de notre culture à nous. Ça ne va pas plaire aux gens.
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