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Tale of Tales, le conte est bon mais pas vraiment fantastique

Dans ce film à grand spectacle, trois histoires mettent en scène des souverains dévoyés, rongés par leurs préoccupations subjectives, bien davantage que par le bien-être de leur royaume. Point de bonnes fées pour sauver les hommes, mais des monstres et des sortilèges générés par des désirs exorbitants, la bassesse ou la débauche.

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Les rois et les reines comme archétypes de toutes les dérives de l'humanités

Les rois et les reines comme archétypes de toutes les dérives de l'humanités
Les rois et les reines comme archétypes de toutes les distorsions psychiques des hommes  (Photo Le Pacte)

BlogCes trois contes parlent du désir à l’heure où il se transforme en obsession au point de conduire à des gestes irréversibles. Rester souverain devient une mission impossible et vire le plus souvent au tragique quand il s’agit de régner sur ses pulsions. Ce film fantastique fait le récit d’une reine en mal d’enfant, d’un roi libidineux et pervers et d’un autre roi complètement infantile, amoureux d’un arthropode hideux et dégoûtant.

Les différents récits ne sont pas liés si ce n’est par les thèmes universels qui les traversent. Volonté de puissance et soumission à la reconnaissance, fantasme de l’éternelle jeunesse, objectivation des enfants, besoin d’émancipation relativement aux parents ; les leçons très anciennes des contes de Giambattista Basile n’ont pas pris une ride et témoignent d’une actualité brûlante. En jouant sur les archétypes et les sentiments humains exacerbés par des situations extrêmes, ils restent le miroir de notre société comme ils l’ont été depuis le XVIe siècle.

Quand la luxure et la cupidité gouvernent le monde
Quand la luxure et les apparences gouvernent le monde (Photo Le pacte)

Des sorcières, des sortilèges, des entrailles et du sang

Ces contes sont très différents de ceux que l’on connaît : pas de prince charmant ni de belle-mère cruelle, mais surtout pas de mariage heureux avec beaucoup d’enfants en guise de happy-end. On est très loin du monde de Disney et même de celui des « anti-contes » dans lequel la Dreamworks nous plonge depuis quelques années. Tale of Tales est trash, gore et souvent effrayant. Il mélange la beauté avec la laideur, tout en entraînant l’horreur et la misère de la déchéance humaine dans une valse endiablée qui semble ne plus jamais pourvoir s’achever.

Giambattista Basile dont Le Conte des contes (rebaptisé plus tard Le Pentamerone) est écrit en italien, a inspiré les plus grands : de Perrault aux frères Grimm jusqu’à Tolkien. C’est dans ce monument de la littérature transalpine que Matteo Garrone puise une énergie créatrice de plus en plus rare sur nos grands écrans. Aux personnages glauques dont il s’inspire, Garrone ajoute son penchant déjà connu pour la violence et pour les conséquences extrêmes des décisions excessives (comme dans l’excellent Gomorra).

La Bande-Annonce

Un univers de symboles mais jamais de Happy-End

Ici, les femmes les plus belles sont fécondées par des monstres, les époux sont des ogres qui parviennent à leurs fins cannibales, et les rois nourrissent quotidiennement des pulsions honteuses et dégoûtantes. Si la mère consomme de la chair fraîche avec ses doigts c’est qu’elle est insensible et sans cœur ; quant à son fils, il se dédouble entre celui qui obéit et celui qui échappe à la castration jusqu’à tuer sa génitrice.

La mère sans cœur, est dévorante et castratrice
La mère sans cœur, est dévorante et castratrice (Photo Le Pacte)

Grandeur et décadence, noblesse et trivialité, vices et libido sont mis à nu, parés des plus beaux costumes d’époque, dans des décors à couper le souffle. La violence du désir -soulignée par un personnage de mage noir- se joue des hommes et leur fait payer leurs rêves de « toute jouissance » au prix fort.

Cette vieille teinturière prête à se faire écorcher par un barbier pour rajeunir, semble être tout droit sortie du règne de la chirurgie esthétique et du royaume très tyrannique des apparences. Seul l’amour peut nous rajeunir, mais ses effets sont éphémères, et la réalité de ce que nous sommes finit toujours par faire écrouler les constructions de notre imaginaire.

L'amour peut-il réparer les marques du temps, ou sommes nous définitivement des monstres?
L’amour peut-il réparer les marques du temps, ou sommes nous définitivement des monstres? (Photo le Pacte)

L’horreur peut-elle remplacer l’émotion ?

Ce film très riche en images à haute teneur en sensations fortes, a en définitive le pouvoir de nous transformer en gorgones et nous laisse le plus souvent de marbre. Le rythme est inégal et le propos qui aurait pu être passionnant finit par perdre en intensité. Malgré la grande virtuosité de ce cinéma foisonnant, on a davantage le sentiment d’être dans un jeu de rôles que d’être immergé dans un monde fantastique.

La beauté d'une reine peut cacher la cruauté d'une mère castratrice
La magnificence d’une reine peut cacher la cruauté d’une mère castratrice (Photo Le Pacte)

Il y a du conte dans les moindres détails, mais l’ensemble manque de magie, de ce quelque chose qui opère malgré nous. On aurait tant souhaité réveiller cet autre nous-même depuis trop longtemps anesthésié par tous les démons qui se sont incrustés dans notre vie ! On aurait bien voulu aussi que l’adulte laborieux mis à l’épreuve de ses désirs inconscients puisse renaître des cendres de son enfance.

À voir à Strasbourg dans les cinémas Star et UGC Ciné-Cité.


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