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Un an après son ouverture, le centre pénitentiaire de Mulhouse Lutterbach est déjà suroccupé et dysfonctionnel

Le centre pénitentiaire de Mulhouse Lutterbach avait été inauguré en grande pompe en avril 2021. Vanté et mis en avant comme établissement « pilote », car « favorisant la réinsertion des détenus », il s’avère dysfonctionnel un an après sa mise en service et sur-occupé à 170%. Bien au-delà des taux nationaux.

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Un an après son ouverture, le centre pénitentiaire de Mulhouse Lutterbach est déjà suroccupé et dysfonctionnel

C’était une inauguration très médiatique. Lorsque le 20 avril 2021 le Premier ministre de l’époque, Jean Castex, et le Garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti se déplacent sur le site de Mulhouse-Lutterbach, les surveillants pénitentiaires de la Maison d’arrêt de Mulhouse pensent alors que les choses vont peut-être, enfin, changer. Près d’un an après l’ouverture de ce nouveau centre pénitentiaire, force est de constater que les conditions sont pires qu’avant. Pour les détenus, comme pour le personnel.

Une prison prévue pour 520 places… avec près de 700 détenus

Sur le site de la préfecture du Haut Rhin en 2021, on peut lire que ce centre flambant neuf de 30 500 mètres carrés devait proposer « 520 places » et remplacer les vieillissantes maisons d’arrêt de Mulhouse et de Colmar.

Le Centre pénitentiaire de Mulhouse Lutterbach, mis en service le 11 novembre 2021, explose déjà avec plus de 170% d’occupation, et des surveillants en sous-effectifs (document remis).

Autre aspect mis en avant par les services de l’État : le nouvel établissement comptera sept quartiers, « dont un dédié aux femmes détenues, un autre aux mineurs incarcérés, et un ”quartier de confiance”, au sein duquel les détenus bénéficient d’une plus grande autonomie ».

Les premières images, publiées dans un article de L’Alsace en avril 2021, font apparaitre des cellules, colorées et propres. Un lit, une douche, un évier, un bureau, une télé. Tout ça, dans 9 mètres carrés. Sauf qu’après l’ouverture du nouveau centre, dès le 11 novembre 2021, les lits simples se sont transformés… en lits superposés comme l’indiquent à Rue89 Strasbourg des surveillants. Et au lieu des 520 détenus annoncés, ils sont à ce jour près de 700 dans le centre pénitentiaire.

« Des petites lampes en hauteur sur les murs, on s’était dit : c’est bizarre »

Les cellules individuelles des deux maisons d’arrêt ont en effet été doublées, immédiatement après l’ouverture. Au lieu des 100 détenus prévus par maison d’arrêt, ils sont 173 dans l’une, et 174 dans l’autre. Soit un taux de sur-occupation de 173 et 174%, bien supérieur au taux moyen d’occupation dans ces établissements qui est de 120%, selon l’Observatoire international des prisons.

Jean-Claude Roussy est le secrétaire général le syndicat Ufap Justice pour la région Grand Est :

« En visitant le centre au début, on a tout de suite vu qu’il y avait une deuxième lampe mise en hauteur, sur les murs dans les cellules. Évidemment, le dédoublement des cellules était déjà prévu… »

Des matelas au sol, « comme au camping ou lors d’une soirée pyjama »

Jean-Claude Roussy raconte qu’à ce jour, dans certaines cellules, les détenus sont même parfois trois. « On a des détenus qui dorment par terre. Ils sont onze, sur les deux centres de détention, à n’avoir qu’un matelas au sol », explique Jean-Claude Roussy.

Dans l’un des tracts du syndicat, diffusé le 10 octobre 2022, on peut lire :

« Bravo en tout cas pour ce bel outil qui devait lutter contre des conditions d’incarcération indignes, là pour le coup c’est réussi… Désormais, avec l’accord de la personne détenue (qui le croira vraiment ?), elle dort au sol sur un matelas, un peu comme au camping ou lors d’une soirée pyjama… »

Outre les conditions de vie pour les détenus, les syndicats dénoncent les conséquences pour la sécurité de tous :

« Derrière tous ces chiffres, il y a de l’humain. Cette proximité, entre trois détenus serrés dans une cellule de 9 m², forcément, ça implique des problèmes de violence. Entre détenus, et avec les surveillants. »

Jean-Claude Roussy, secrétaire général de la région Grand Est pour le syndicat UFAP Justice.

Une surpopulation carcérale invivable pour les surveillants

Car si le nombre de détenus a quasi doublé dans les centres de détention, celui des surveillants, lui, est resté stable :

« Il y a entre 35 et 40 agents qui travaillent chaque jour à Lutterbach. Si on fait un décompte rapide : il en faut déjà six, dans chacun des six bâtiments, pour gérer les postes d’information et de contrôle. Ensuite, il y a deux ou trois portiers par bâtiment, deux agents dans le véhicule d’intervention, un au parloir, un dans l’unité sanitaire, et un qui distribue les repas. Après ça, il en reste environ une vingtaine, pour gérer une population pénale de 700 détenus ! »

Un sous effectif problématique et dangereux pour Jean-Claude Roussy, qui explique selon lui le turn-over important parmi les agents affectés à l’établissement :

« Les demandes de mutation sont trop nombreuses : nous n’arrivons pas à garder le personnel sur cet établissement. Les gens qui avaient espéré un nouveau souffle en quittant les maisons d’arrêt de Colmar et Mulhouse, sont très déçus. À peine arrivés, ils demandent à repartir. »

Car une fois dans le bain du centre pénitentiaire de Lutterbach, les surveillants réalisent les impacts concrets de leur sous-effectif. En dehors des risques d’agressions multipliés et croissants (une agression en moyenne tous les cinq jours), il y a aussi des choix de poste, souvent impossibles à faire.

Un véhicule d’intervention… sans personnel pour le conduire

Dans cette prison ultra moderne, et construite avec l’idée de mieux réinsérer les détenus, exit le mirador à l’ancienne, et les filins anti-hélicoptère. À la place, un véhicule d’intervention pour faire des rondes, et pour intervenir en cas d’évasion, ou de bagarres entre détenus. Le problème ? « Techniquement, on n’est pas assez pour assurer la conduite de ce véhicule », souffle Sébastien Viol-Garayt. Il arrive parfois que ce véhicule soit vide.

Si les surveillants qui ont accepté de parler ont hésité à mentionner ce détail pour des raisons de sécurité, ils ont tout de même décidé de pointer du doigt cette conséquence qui pourrait avoir des effets gravissimes en cas d’incident sérieux.

Pour Sébastien Viol-Garayt, surveillant pénitentiaire depuis 2006, c’est du jamais vu :

« On préfère dépoiler un poste qui est pour nous important – un véhicule d’intervention, c’est important quand même ! – plutôt que de recruter. On vide des postes de sécurité ! Moi, je n’ai jamais vu ça, et pourtant j’ai travaillé dans des énormes prisons, comme à Clairvaux ou même Ensisheim ! »

Pas de cellule anti-suicide les six premiers mois

Quatre décès en un an. Dont deux suicides, survenus dans les six premiers mois. Ce sont les chiffres de Lutterbach. Là encore, pour le délégué local Ufap Justice, c’est la preuve d’un dysfonctionnement du centre pénitentiaire, qui a ouvert avant d’être prêt à accueillir autant de détenus.

« Normalement, lorsqu’on pressent un risque suicidaire chez un nouveau détenu, on le met dans une cellule spéciale, où ils ne peuvent pas se faire mal, avec un matériel pensé pour ça (matelas anti feu, pyjama en papier, draps et couverture indéchirables, NDLR). Mais là, nous n’en n’avions pas au début. Pourtant, l’administration a voulu qu’on entre tout de suite, avec tous les détenus ».

Jean-Claude Roussy, revient sur ce chiffre :

« Quatre morts en moins d’un an (les chiffres se sont arrêtés au 31 août 2022 NDLR), c’est énorme. En France, il y a 187 centres pénitentiaires. Imaginez, s’il y avait quatre morts par établissement chaque année, on serait à 748 décès dans les prisons françaises ! »

En 2020, 119 détenus se sont suicidés en détention, en France.

Fenêtres qui se démontent en 1 minute 30

Enfin, les deux surveillants dénoncent des dysfonctionnements matériels graves, notamment au niveau des fenêtres. « On a fait l’expérience nous mêmes, il y a quelques mois, elles se démontent en 1 minute 30 avec un coupe-ongles et une fourchette ! », s’insurge Sébastien Viol-Garayt. Pour le surveillant, les conséquences seront, un jour, dramatiques.

« C’est censé être un établissement à sécurité adaptée. Ok, on ne met pas de barreaux aux fenêtres, parce qu’on fait confiance aux détenus. Sauf que dans ces cellules, on met des hommes qui n’ont pas le profil adéquat. Il y a notamment un détenu dangereux, qui purge une peine d’au moins dix ans de détention pour des faits graves, et il se retrouve dans un établissement comme celui-là, au rez de chaussée, avec des fenêtres sans barreaux et qui se démontent super facilement ! » 

Réponse de l’administration pénitentiaire : « les conditions sont objectivement meilleures » qu’ailleurs

Contactée, la Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP) a répondu par écrit sur la suroccupation de Mulhouse-Lutterbach :

« Concernant la surpopulation, le surencombrement concerne surtout le quartier maison d’arrêt hommes. Il faut rappeler que l’administration pénitentiaire n’est pas à l’origine des peines prononcées. Nous sensibilisons régulièrement les autorités judiciaires sur cette situation. À notre niveau, nous orientons régulièrement les personnes condamnées vers les centres de détention de la région pour lutter contre ce surencombrement. »

Interrogée également sur les conséquences de cette surpopulation carcérale, la DISP répond :

« Il y a des incidents comme au sein de tout établissement pénitentiaire accueillant des publics parfois compliqués et difficiles. Les conditions de détention pour les détenus et de travail pour les personnels y sont objectivement meilleures que dans d’autres structures plus vétustes ; même si des marges d’amélioration existent. »

Enfin, sur le sous-effectif des surveillants pénitentiaires, ou encore les dysfonctionnements techniques et matériels, l’administration explique que ces problématiques « sont prises en compte, et que des solutions sont apportées, au fur et à mesure. »


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