Enquêtes et actualité à Strasbourg et Eurométropole

Quartier Laiterie, un « conseil citoyen » fantôme qui ne dérange pas la Ville

L’État demande qu’un « conseil citoyen » accompagne l’élaboration, la mise en oeuvre et l’évaluation du contrat de ville dans tous les « quartiers prioritaires de la politique de la ville » (QPV). Mais au quartier Laiterie, deux ans après son lancement, le conseil citoyen ne fonctionne pas et la collectivité s’en passe.

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Le conseil citoyen est vide... mais ça dérange qui ? (Photo Rémi Lanvin / FlickR / cc)

La loi Lamy de 2014 oblige les collectivités à associer un conseil citoyen à la réflexion sur la rénovation de tout quartier prioritaire de la politique de la Ville (QPV). L’idée est d’associer les habitants aux décisions qui vont les concerner directement, puisqu’elles vont changer leur environnement. L’Eurométropole de Strasbourg (EMS), qui compte 13 QPV, n’échappe pas à cette règle. Mais à y regarder de plus près, l’EMS ne la respecte pas partout. Au quartier Laiterie, le conseil citoyen est « en sommeil » depuis plus d’un an. Ville et Eurométropole y avancent sans lui.

Le conseil citoyen du quartier Laiterie a été inauguré en avril 2016, en présence de Mathieu Cahn, vice-président de l’EMS en charge de la politique de la Ville et de la sous-préfète de Strasbourg d’alors, à la résidence des Arts, rue du Hohwald. Le principe retenu est le même qu’ailleurs à Strasbourg, le conseil citoyen est une émanation du conseil de quartier, instance de démocratie participative instituée par la municipalité à la taille bien plus large. L’idée est de ne pas faire de doublons avec ce qui existe déjà.

Très rares habitants du QPV

Gabriel Goubet, habitant du quartier, se souvient de la première réunion du conseil citoyen, après laquelle il a « décroché » :

« C’était ubuesque. Comme les organisateurs n’arrivaient pas à remplir la réunion, ils étaient allés chercher des gens qui ne vivaient même pas dans la zone. Ça ne rimait à rien. Les discussions n’ont même pas donné lieu à des votes à mains levées. On nous a expliqué qu’on ferait des réunions pour aller présenter les résultats dans d’autres réunions… Le tiers des présents étaient là pour des revendications très concrètes du quotidien, un autre tiers parce qu’ils connaissaient des gens de la Ville et gonflaient les chiffres et puis le dernier tiers, c’était des gens éduqués et de bonne volonté qui voyaient bien que c’était du flan institutionnel. »

Pierre Schweitzer, habitant du centre-ville et membre du conseil de quartier, se souvient aussi que dès le départ « les objectifs posés étaient très abstraits ». De mois en mois entre avril et août 2016, il a vu le conseil se vider :

« Les habitants du QPV, on les a vus très rarement. Ils venaient avec de vrais soucis du quotidien pas très entendus et qui ne rentraient pas dans le cadre prévu pour ce type de réunion. On perdait trois personnes à chaque réunion, jusqu’à ce qu’on se retrouve à 3 lors de la dernière. Et alors l’animatrice a proposé d’arrêter. »

Le conseil citoyen est vide... mais ça dérange qui ? (Photo Rémi Lanvin / FlickR / cc)
Le conseil citoyen est vide… mais ça dérange qui ? (Photo Rémi Lanvin / FlickR / cc)

Fin sans explication

Aucun des participants initiaux n’a pour autant reçu d’explication officielle sur la fin de ce conseil que la Ville dit être « en sommeil ». Pour Loubna (le prénom a été changé pour garder son anonymat), habitante du QPV, et mère d’enfants qui y sont scolarisés, ces réunions n’étaient pas très utiles :

« C’était du blabla pour rien. J’ai donné mes idées, parlé de l’insécurité pour nos enfants, de la mauvaise fréquentation des parcs. Je me suis exprimée comme j’ai pu. J’avais espéré que la Mairie réagisse. Mais rien ne s’est passé. Il n’y a eu aucun suivi de nos longs débats. « 

Paul Meyer, l’adjoint du quartier Centre-Gare dont fait partie l’îlot Laiterie, regrette cet échec :

« Légalement, je n’ai aucun lien avec ce conseil citoyen. J’ai demandé à Mathieu Cahn et à Chantal Cutajar de me rendre des comptes sur ce qui en ressortait mais je n’en ai pas eu. Face aux difficultés du conseil citoyen, j’en ai été réduit à recruter moi-même des gens pour y aller. Ceux que j’ai convaincus ne sont pas restés. Ils m’ont dit s’y être sentis infantilisés, et intimidés par la présence d’habitants qui n’habitent pas le QPV et qui venaient importer des débats plus politiques. L’idée de l’Etat, c’est de créer des conseils citoyens spécifiques pour les QPV parce que sociologiquement les habitants de ces quartiers populaires sont moins représentés dans les instances de concertation. Sauf que là, on a dit à tout le monde de venir. Même avec la meilleure volonté du monde, quand des gens qui ont les codes de la prise de parole en public sont là, ça écrase la parole des autres et ça prend leur place. C’est ce que les habitants du QPV qui ont participé ne supportaient plus. Sans couper les ponts avec les conseils de quartier, j’avais proposé que les membres non habitants du QPV ne viennent qu’une fois sur deux, ou qu’à une partie du temps de réunion. Mais ça n’a pas été suivi. Le mélange, ça s’organise. Quand on vient des quartiers populaires, on a des aspirations très concrètes. Ce n’est pas crédible de parler de grands projets quand les petits soucis du quotidien ne sont pas réglés, comme la réparation des serrures de son immeuble par exemple. »

Mathieu Cahn pour une formule plus souple

Pour Mathieu Cahn, les formes de consultation des habitants exigées par l’Etat ne sont pas adaptées partout et devraient être plus souples :

« Pour ma part, je trouvais que ce n’était pas une excellente idée d’installer des conseils citoyens dans tous les QPV. L’îlot Laiterie notamment n’a pas de frontières urbaines avec le reste du quartier gare. Il y a quelques problématiques spécifiques mais surtout beaucoup d’autres qui dépassent le seul périmètre du QPV. L’arrivée du tram, par exemple, relève du conseil de quartier. La difficulté est que le conseil citoyen a été vampirisé par le conseil de quartier, quel est le sens d’avoir deux démarches ? A d’autres endroits, c’est l’inverse. A la Meinau par exemple, le conseil de quartier est vampirisé par le conseil citoyen. C’est un problème de faire coexister ces deux instances. C’est toute la difficulté d’appliquer des règles standards à des quartiers qui ne sont pas standards. Mais la représentation des habitants ne passent pas uniquement par un conseil citoyen. Le quartier Laiterie a un tissu associatif dense qui représente les habitants aussi. L’objectif, c’est d’associer les habitants. Il y a le formalisme et l’objectif. C’est pourquoi je plaide face à l’Etat pour des formats plus souples de conseils citoyens à partir du moment où les objectifs sont atteints avec des moyens adaptés à la réalité des territoires. »

Des listes différentes pour la Ville et la préfecture

Depuis le départ, Ville et préfecture n’ont pas la même liste de membres du conseil citoyen du QPV Laiterie, l’Etat n’ayant pas validé celle de la Ville. Mathieu Cahn explique qu’il ne s’agirait que d’une différence « formelle » entre l’arrêté préfectoral qui désigne les membres de ce conseil et une réalité pratique qui inclut d’autres membres du conseil de quartier qui n’habitent pas le QPV et ne peuvent donc figurer dans la liste officielle. La préfecture, dans la grande tradition des réponses claires de l’administration, se borne à indique que sa liste est « en cours d’actualisation en lien avec la Ville et l’EMS ».

Mais en attendant que Ville et Etat se mettent d’accord sur les objectifs et la légitimité d’un conseil citoyen qui pourrait fonctionner, le contrat de Ville avance sans lui. Ainsi, aucun habitant n’a jamais assisté aux comités de suivi des projets du QPV Laiterie, alors que la loi prévoit que le conseil citoyen doit y être représenté. La préfecture rappelle pourtant :

« L’objectif [des conseils citoyens] est de rendre les habitants acteurs dans les territoires aux côtés de l’Etat et des collectivités et les associer à l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des contrats de ville. »

Malgré cette difficile concertation, trois chantiers ont été réalisés dans l’îlot Laiterie au titre du contrat de Ville : le déplacement d’une aire de jeu de la rue des Rremparts à la rue de Rothau, le revêtement neuf du city stade, et l’installation d’un point d’eau dans le jardin partagé du quartier.

Paul Meyer reste enthousiaste

Quant à Paul Meyer, il a pris d’autres voies pour consulter les habitants de l’îlot Laiterie sur l’utilisation des crédits de droit commun qu’il réserve pour la rénovation du quartier.

« Le conseil citoyen laisse un constat d’échec mais nous l’avons contourné de manière très heureuse. Avec l’équipe de proximité, on s’est munis de paper boards et on a fait les sorties d’écoles, les sorties de supermarché, les pieds d’immeubles pendant deux mois pour entendre ceux qui ont beaucoup de choses à dire hors des cadres. Cette opération de concertation de terrain a débouché sur une réunion au Molodoï pendant six heures pour toucher le plus de monde possible. On y a présenté les grandes orientations de la rénovation et on va continuer avec la même méthodologie pour déterminer les détails d’aménagement rue par rue. L’idée est d’être dans le concret et dans le précis. Voilà l’expérience de démocratie participative que nous menons en lieu et place de ce que devrait apporter un conseil citoyen si Chantal Cutajar [adjointe au maire en charge de la démocratie locale] et Mathieu Cahn l’avaient fait fonctionner. »

Un enthousiasme qui contraste cependant avec la faible participation à la réunion au Molodoï, que Rue89 Strasbourg avait pu constater.

Mathieu Cahn indique qu’une réunion publique sera organisée en avril pour informer les habitants sur les instances existantes et présenter les projets issus de la politique de la Ville, mais aussi de la rénovation issue des crédits de droits communs (circulation, stationnement…). Quant au prochain comité de pilotage élargi du contrat de Ville, dont la date n’est pas encore connue mais approche, il risque de se faire une fois de plus sans représentants du comité citoyen du quartier Laiterie.


#Conseils citoyens

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