Pour leur sixième « réunion publique », les députés Nupes Emmanuel Fernandes (La France insoumise – LFI) et Sandra Regol (Europe Écologie – Les Verts – EE-LV), ont choisi d’évoquer les menaces qui pèsent sur l’eau potable en Alsace. Avec les polluants éternels de l’industrie chimique, les métabolites de pesticides de l’industrie agro-alimentaire et les déchets de Stocamine, les Alsaciens ont de bonnes raisons d’être inquiets mais une trentaine de personnes seulement ont fait le déplacement jusqu’à la Maison des projets de Koenigshoffen, jeudi 21 septembre.
Dès 19h30, les participants arrivent au compte goutte, trempés par l’averse qui vient de se déverser sur Strasbourg. « C’est très à propos », plaisantent plusieurs d’entre eux.
Ambiance studieuse
Pour expliquer ces sujets techniques, plusieurs scientifiques ont répondu présents. Guillaume Barjot, hydrologue, entame la soirée pour expliquer les conflits d’usages de l’eau alors que celle-ci devient denrée rare. Il revient sur le cycle de l’eau et la nécessité de penser sa distribution globalement, en utilisant l’exemple des méga-bassines. « Mes enfants disent que je suis docteur de l’eau. » L’audience semble conquise et attentive, des chaises sont ajoutées au fond de la salle pour installer les retardataires.
À ses côtés, Stéphane Giraud, directeur d’Alsace Nature, poursuit en présentant les combats juridiques menés par l’association environnementaliste – dans le dossier Stocamine et contre le contournement de Châtenois notamment – et précise leur philosophie :
« L’idée est celle du pollueur-payeur. Pour le moment ce sont les collectivités qui financent les conséquences des pollutions, donc les habitants. Nous avons besoin de courage politique. »
Le politique justement rebondit rapidement. Emmanuel Fernandes rappelle qu’à Mayotte les problèmes de pollution et d’acheminement de l’eau potable ont mené à un rationnement et souligne l’intention de son groupe parlementaire, la Nupes, de revenir sur la loi NOTRe de 2015 :
« Cette loi favorise le recours a des opérateurs privés pour la distribution de l’eau par les intercommunalités plutôt que de gérer cette compétence en régie publique. Nous proposons de sortir de cette situation et d’inscrire dans la Constitution que l’eau est un bien commun. »
Annonces politiques et informations scientifiques
La lumière de la salle au parquet sombre ne cesse de clignoter. L’ambiance se fait plus solennelle alors que la seconde partie de la soirée, centrée sur les pollutions de l’eau l’industrie via les composés perfluoroalkylés et polyfluoroalkylés (PFAS), autrement appelés « polluants éternels », commence. Pour introduire le sujet, Sandra Regol annonce qu’elle financera dix tests pour que des Strasbourgeois fassent détecter la présence de ces polluants dans leurs cheveux. « Nous sommes plusieurs à l’Assemblée à avoir fait le test et nous avons tous des polluants éternels en nous », poursuit-elle.
Les députés ne manquent pas l’occasion de qualifier le plan d’action du gouvernement d’Emmanuel Macron de « timide ». Emmanuel Fernandes, qui considère la situation « triste et dommage », poursuit :
« Le gouvernement a tendance à renvoyer la balle à l’Europe. Souvent, quand on fait ça, c’est qu’on ne veut rien faire. »
Transition toute trouvée pour l’exposé de Stéphane Vuilleumier, microbiologiste à l’Université de Strasbourg. Il explique vouloir éviter le « débat d’experts » autour des fameux composés et s’aide de graphiques, cartes et diagrammes projetés derrière les députés sagement assis sur leur canapé gris. Des outils pédagogiques largement photographiés par ses auditeurs aux yeux plissés, concentrés sur les explications du chercheur, « Il est encore temps d’agir. Les études sont scientifiques, mais les décisions pour le futur sont toujours politiques », conclut-il.
Un public encarté
C’est le moment que choisit Danielle, 73 ans, pour s’éclipser. « J’avoue que je n’ai pas tout compris mais c’était fort intéressant et bien expliqué, c’était précis », s’exclame-t-elle. C’est la première fois qu’elle assiste à une réunion publique de ce type et en sort un peu fatiguée. « Je suis venue car j’habite Koenigshoffen et surtout parce que je suis écolo », concède-t-elle.
Danielle vote vert à toutes les élections et s’inquiète de l’avenir de son jardin, quand l’eau viendra à manquer : « C’est pour ça que je me suis encartée chez EE-LV lorsque ma petite fille est née, il y a 19 ans ».
Le troisième temps de la soirée est dédié à Stocamine, dont le confinement définitif vient d’être décidé par le gouvernement, piégeant pour l’éternité des milliers de tonnes de déchets toxiques sous la nappe phréatique (voir notre dossier). Au micro, Stéphane Giraud d’Alsace Nature détaille les recours engagés par l’association contre les arrêtés de l’État, et les plaintes déposées. La conseillère régionale Cécile Germain (Les Écologistes) et deux militants d’Extinction Rebellion (XR) appellent à manifester à Wittelsheim samedi 23 septembre.
En quelques minutes, l’élue régionale dresse l’historique du combat politico-judiciaire contre l’enfouissement définitif avant de bifurquer, une fois encore, sur la mauvaise gestion du dossier par les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans. Ciblés également, la réaction du président de la Collectivité d’Alsace, Frédéric Bierry, à l’annonce ministérielle de l’enfouissement définitif et le « défaut d’information du public » sur la possibilité de sortir les déchets ultimes de la mine.
De l’information à l’organisation
La réunion publique se transforme d’un cours magistral en réflexion collective sur les actions à mener contre l’enfouissement des déchets ultimes à Stocamine. Pour certains, la solution passe par l’Assemblée nationale. Pour d’autres, elle passe par la Cour européenne des droits de l’Homme. Sandra Regol distribue la parole aux militants réveillés par le débat. Une invitation à voter EE-LV aux prochaines élections européennes est lancée puis le débat repart : « Seules les gauches se sont mobilisées sur le sujet », insiste Cécile Germain devant un public peu susceptible de la contredire.
« Peut-être pouvons-nous poursuivre de façon informelle ? » Après deux heures, la proposition de Sandra Regol fait l’unanimité. Dans le public, la majorité des personnes encore présentes sont militantes écologistes ou sympathisants politiques.
« C’est important de décloisonner les choses »
De son côté, Stéphane Vuilleumier, le microbiologiste, semble satisfait des échanges du soir :
« C’est important de décloisonner les choses. Il faut que les scientifiques arrêtent de chercher à rester neutres dans le débat public. On peut faire de la bonne science tout en ayant un avis. Être ici n’est pas un acte militant, mais une volonté d’action. Mon but n’est pas d’utiliser la science comme un pouvoir, les chercheurs sont aussi des citoyens qui peuvent partager leur savoir. »
Un peu plus loin dans la salle, Marika, 68 ans, discute avec Thomas et Élodie. Elle est venue d’Illkirch-Graffenstaden à vélo après avoir entendu Emmanuel Fernandes annoncer la rencontre publique dans une émission radio le matin même : « J’en savais déjà beaucoup sur les PFAS. Mais j’ai quand même appris des choses. » Depuis l’hiver 2022, Marika est sympathisante de Strasbourg Écologie et Citoyenne.
À ses côtés, les deux membres des Jeunes écologistes d’Alsace semblent fiers de leurs nouvelles informations. Élodie, 21 ans, fait le tour des notes prises sur son téléphone :
« Je gère le compte Instagram du mouvement et parfois je ne sais pas quoi répondre aux gens qui sont pour l’enfouissement des déchets à Stocamine. Maintenant, j’ai plein d’arguments. »
Il est presque 23 heures et la salle de Koenigshoffen se vide progressivement. Les députés saluent les dernières personnes présentes, les mains se serrent et les chaises sont sagement empilées dans un coin. Mais si les arguments scientifiques ont bien atteint les militants politiques, il reste encore du chemin avant qu’ils n’atteignent le reste de la population…
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