Par deux arrêtés, les 2 et 12 mai 2023, la préfecture du Bas-Rhin a autorisé la gendarmerie à utiliser des drones lors d’opérations de contrôles routiers ciblant les « rodéos urbains », à Geispolsheim et à Strasbourg. Si cet outil de surveillance est autorisé depuis un décret d’application du ministère de l’Intérieur du 19 avril 2023, plusieurs collectifs contestent depuis mai sa légalité devant le Conseil d’État.
Des drones pour « la sécurité des personnes »
Pour justifier le recours au drone, la préfète invoque à chaque fois la « sécurité de l’opération de lutte contre les rodéos urbains […] afin de prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens ». Elle précise dans ses arrêtés le périmètre concerné par la surveillance ainsi que la plage horaire sur laquelle le drone sera déployé.
La loi du 24 janvier 2022 fixant l’usage des drones – appelés « aéronefs » – liste plusieurs motifs pouvant justifier l’emploi de ces appareils par les forces de l’ordre : prévention d’actes terroristes, « maintien » de l’ordre public en contexte de manifestation, régulation des flux de transport, ou la surveillance des frontières.
Sur le site du constructeur, les spécificités techniques des drones déployés sont bien détaillées. On y trouve une multitude d’informations, allant de la précision des prises de vues (au centimètre près, avec un zoom x32) jusqu’à leur autonomie de vol.
« C’est comme s’ils ne savaient plus maintenir l’ordre sans drone »
Me Vincent Souty, avocat au barreau de Rouen, a plaidé deux recours contre des arrêtés préfectoraux similaires. L’un permettant l’utilisation de drones pour la manifestation du 1er mai, l’autre pour un rassemblement contre un projet autoroutier du 5 au 8 mai, dans l’Eure :
« L’usage par les forces de l’ordre de ces moyens doit être en dernier recours. Comme l’a dit le Conseil constitutionnel, il faut que leur utilisation soit une nécessité absolue pour atteindre le but poursuivi. C’est à l’administration de démontrer qu’il n’y a aucun autre moyen d’assurer la sécurité publique. »
Le juge administratif déclare illégal l’arrêté pris pour la manifestation des 5 au 8 mai. En rappelant que l’usage des drones porte atteinte à la vie privée et peut enregistrer des images à l’insu des personnes. Il précise que son usage doit être « justifié et strictement nécessaire à la finalité poursuivie », c’est-à-dire, au maintien de l’ordre.
Pour Me Souty, les drones ont plutôt tendance à être utilisés par défaut :
« Depuis fin avril, c’est la folie. Tous les départements qui possèdent des drones y ont massivement recours. C’est comme si les préfectures ne savaient plus faire du maintien de l’ordre sans utiliser ces outils. »
Selon un décompte du journal Le Monde, plus de 50 opérations en France ont été surveillées par drone depuis le 19 avril 2023, détaillées dans ce tableau.
Une loi partiellement censurée par le Conseil constitutionnel
En janvier 2022, le Conseil constitutionnel a partiellement censuré la loi votée par l’Assemblée nationale. Comme le résume ici Amnesty international, il interdit l’utilisation d’aéronef par la police municipale, la soumet à autorisation systématique du préfet et réitère l’obligation pour ce dernier de s’assurer qu’aucun moyen moins « intrusif » ne peut remplir le même but que les drones.
Dans un avis du 23 avril 2023, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) préconise de mettre en place une « doctrine d’emploi » des aéronefs et du traitement des images qu’ils enregistreront. Me Souty précise :
« Les drones ne sont pas obligés d’enregistrer tout au long de leur utilisation. Les images peuvent a priori être conservées sept jours. Si une infraction est constatée, on ne sait pas exactement combien de temps elles seront conservées, car elles peuvent basculer dans d’autres fichiers de police. »
« On a l’impression que les préfectures autorisent les drones pour le tout-venant »
Mercredi 17 mai, plusieurs organisations parmi lesquelles la Quadrature du net, l’Association de défense des libertés constitutionnelles (ADELICO) et le Syndicat des avocats de France ont été entendues par le Conseil d’État. Elles contestent la validité du décret d’application du ministère de l’Intérieur.
Jean-Baptiste Soufron est l’un des avocats qui portent la démarche :
« Ce ne sont pas les drones que nous contestons, mais les conditions légales d’application dont semble se passer le ministère de l’Intérieur. On a l’impression que les préfectures autorisent les drones pour le tout venant. Ce n’est pas ce que prévoit la loi. De même, nous n’avons aucun moyen de savoir ce qu’ils font des images. »
Dans la requête publiée par la Quadrature du net, l’organisation conteste la légalité du décret et argue qu’il contrevient aux normes européennes en matière de protection des données personnelles « sensibles ».
Le Conseil d’État a été saisi en référé, et sa décision pourrait prendre « plusieurs mois », explique Me Soufron.
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