Deux frères, l’un de 12 ans, l’autre de 14. Deux collégiens sans-abri à Strasbourg. Les deux ados n’ont pas voulu donner leurs prénoms : « Au collège, on n’a rien dit à personne. On a trop peur qu’ils se moquent », explique le cadet. Son grand frère continue : « Quand on dort dehors, ça m’arrive de m’endormir en classe. »
« L’État abandonne les enfants qu’il scolarise »
À la nuit tombée, devant l’entrée du collège Lezay-Marnesia, les deux enfants sont aux côtés de leur mère, Khatuna. À sa gauche, l’aîné dépose une couverture sur le dos de sa mère. À sa droite, l’élève de cinquième traduit les réponses de sa maman. Elle tient à exprimer sa reconnaissance envers les enseignants et les assistants d’éducation mobilisés pour leur trouver un hébergement. lls sont une trentaine à braver le froid en ce début de soirée du lundi 18 décembre.
Certains ont apporté des sandwichs, des gâteaux ou des repas chauds. Neuf personnes, dont huit professeurs, passeront la nuit ici. Pierrick Meunier, professeur d’EPS, en fait partie. Également trésorier de l’association Un toit pour nos élèves, il explique :
« On alerte le rectorat, la mairie et la préfecture… Mais personne ne nous rappelle. L’État abandonne les enfants qu’il scolarise. Et il faut malheureusement toujours en faire plus pour obtenir une réponse. »
Une communauté mobilisée
Ce n’est pas la première fois que la communauté éducative du collège Lezay Marnesia se mobilise après avoir découvert la situation d’élèves à la rue. Professeur de mathématiques et président de l’association Un toit pour nos élèves, Loïc Klenklé se souvient « d’une première mobilisation pour des élèves sans-abri en 2017 ». Puis il évoque « les premières cagnottes pour proposer une nuit d’hôtel » et « une première nuit passée sous tentes en 2019 ». Son collègue précise, pour s’en émouvoir : « Et encore, c’était en mai. Aujourd’hui je ne comprends pas pourquoi la trêve hivernale n’a pas été respectée. La famille concernée vivait dans le squat Sarlat. Ils ont été expulsés fin novembre. »
Cette année, pour Khatuna et ses deux enfants, deux professeurs ont proposé quelques nuits chez eux. La famille d’origine géorgienne a déjà passé près d’une semaine dans une tente. Qu’espèrent-ils de la mobilisation de ce soir ? « On espère juste une petite place pour mieux dormir, au moins une petite chambre », répond le garçon de 10 ans.
Après avoir apporté deux sandwichs aux collégiens, Lola regarde les deux enfants manger. L’ancienne élève du collège Lezay Marnesia et actuelle assistante d’éducation de 21 ans les décrit avec affection :
« On les voit tous les jours à la cantine. Ce sont des gamins d’une grande force. Ils sont toujours souriants et ne laissent rien paraître. C’est une aberration d’en arriver à cette situation. Ça fait plaisir de voir une trentaine de personnes mobilisées mais on a aucune certitude d’aboutir à une solution. Et pourtant on se dit, ces écoliers ne peuvent pas continuer à passer la nuit dehors. Ce n’est pas possible. »
La préfecture inflexible
Au moment où Lola parlait, la préfecture envoyait un communiqué en réponse à la mobilisation des professeurs au collège Lezay Marnésia, comme une annonce qu’aucune solution d’hébergement ne sera proposée à Khatuna et ses deux enfants :
« La famille concernée est déboutée de l’asile depuis juin 2022. Elle a alors [dû] quitter l’hébergement dont elle bénéficiait dans le cadre de la demande d’asile. Elle s’est ensuite installée dans le squat dit « de la rue de Sarlat » qui a été évacué à la demande d’Habitation Moderne. Dans le cadre de ces évacuations, la famille, à savoir la mère et les enfants, ont accepté un hébergement au centre de préparation au retour d’Illzach dans le Haut-Rhin. Ils ont quitté volontairement cet hébergement quelques jours après s’y être installés. Le père des enfants a, quant à lui, été reconduit en Géorgie à l’issue de l’exécution de sa peine privative de liberté. Il demeure loisible à la famille de bénéficier de l’aide au retour volontaire aux fins de reconstitution de la cellule familiale en Géorgie. »
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