Ces dernières années, les moyens de production et de diffusion ont grandement évolué, notamment grâce à l’apparition des caméras numériques et à l’essor des vidéos sur Internet. Le cinéma amateur est aujourd’hui accessible à n’importe qui pour un prix réduit car des petites caméras de qualité sont disponibles à partir de quelques centaines d’euros.
Les Spielberg en herbe tournent avec peu ou pas de moyens, filment parfois même avec leur téléphone portable et n’ont souvent que la motivation et quelques fidèles pour seuls alliés. Ainsi, les tournages ont lieu le week-end et l’équipe est constituée de passionnés et de bénévoles.
Les web-séries, un phénomène de mode
Prenons l’exemple de Past, web-série fantastique de cape et d’épée dont l’action se déroule dans le paysage alsacien. Démarré en avril 2012, le projet Past s’est peu à peu développé et compte maintenant une équipe de 27 passionnés. Jean Aman, créateur de la série, raconte ce projet qui lui tient tant à cœur :
« L’avantage d’être des amateurs qui tournent le week-end et en fonction des disponibilités de chacun, c’est que nous ne sommes pas pressés par une maison de production derrière qui nous imposerait des dates de rendu. Pas de questions d’argent non plus car nous tournons quasiment sans budget. Le but ici est de prouver qu’il est possible de faire une web-série de qualité avec un tout petit budget et ainsi obtenir une production par la suite, à partir de la saison 2 de notre série qui sera composée de deux saisons de sept épisodes chacun. De plus, nous utilisons les ressources de la région car nous tournons en décor naturel. Pour une ambiance urbaine, il y a Strasbourg, une ambiance campagnarde, ça ne manque pas de petits villages, si on veut un château, il y a également de quoi faire… La décoration est vraiment éclectique. »
Past n’est pas la seule web-série à tendre vers la professionnalisation, de nombreux pourraient suivre, mais souvent les méthodes et les coûts diffèrent.
C’est le cas de la future web-série Arborescence (tournage de février à mai 2013), qui démarre avec un budget de 5 500 euros pour sa première saison et un recrutement de comédiens professionnels. Michel Cordina, étudiant en troisième année d’Arts du Spectacle option Cinéma à l’Université de Strasbourg et créateur de la série, en raconte la genèse :
» J’avais vraiment envie de faire quelque chose avec Arborescence, mais sans savoir comment on procède. J’ai donc tourné quelques épisodes et me suis vite rendu compte que tout cela ne donnait pas grand-chose. Deux ans plus tard, grâce à l’enseignement théorique de la fac et aux divers courts-métrages que j’ai pu réaliser, j’avais acquis la pratique qui me manquait. Je suis donc reparti sur le projet Arborescence à la rentrée 2012, mais en faisant les choses de façon professionnelles ».
Prendre des risques pour réussir
Michel Cordina y a mis de sa poche pour financer cette première saison et a réussi à convaincre les participants au projet de n’être payés que lors de la saison 2. Environ 45 personnes travaillent sur ce projet qui sera proposé à diverses chaines télévisées. Michel Cordina pourra ainsi augmenter son budget et rémunérer techniciens et acteurs du projet lors de la saison 2… si le succès est au rendez-vous :
« Je sais que c’est quitte ou double, mais je crois au terrain et je pense que c’est le désir, la rage, l’envie de faire quelque chose qui nous tient à cœur qui fera toute la différence. Et c’est ce qui m’a donné envie d’investir dans Arborescence. »
Vive les nouvelles technologies !
Même si ce n’est pas forcément un gage de réussite future, commencer par mettre en place des projets vidéo amateurs peut donc se révéler être une bonne école d’apprentissage pour quiconque, car cela permet de se confronter à la réalité et aux difficultés du terrain.
Mais cela aurait-il été possible aussi facilement il y a quinze ans ? Vingt ans ? Pas si sûr, en raison d’un matériel assez lourd et encombrant. Il fallait un matériel spécialisé, comme des magnétoscopes et des tables de mixage pour le montage. Les caméscopes étaient alors des caméras d’épaule dont la qualité d’image était assez médiocre. Elles n’étaient destinées qu’à un usage domestique ou expérimental.
L’arrivée des caméras Haute Définition il y a dix ans a permis de changer la donne. Plus compactes, plus légères, de meilleure qualité et à des prix moindres, elles permettent aujourd’hui de se lancer dans la vidéo sur un coup de tête, si tel est notre désir.
Mais ce n’est pas tout, comme l’explique Olivier Ramberti, professeur des écoles à mi-temps et surtout réalisateur de clips musicaux pour des artistes locaux :
« Les logiciels de montage vidéo grand public sont l’autre grande révolution technique de ces dernières années. L’apparition des caméras numériques s’accompagne donc surtout de l’évolution du montage, accessible aujourd’hui sur son ordinateur pour pas très cher, voire gratuitement. Rajoutons enfin à cela l’explosion d’Internet avec les sites de partage de vidéos comme Youtube ou les réseaux sociaux dans la veine de Facebook et la diffusion au-delà du cercle familial et dans des festivals est rendue possible. »
Voir Facebook, le clip de JR Prod
JR Prod est une association alsacienne lancée dans la production audiovisuelle depuis six ans.
Le piédestal de la publicité
Dans ce cadre-là, il est judicieux d’être installé à Strasbourg, une ville débordant d’associations audiovisuelles en tout genre, la plupart organisant des festivals dont le plus célèbre est peut-être bien le marathon vidéo organisé chaque année en juin par La Cité de la Prod et en partenariat, notamment, avec l’UGC Ciné-Cité Strasbourg.
Comme tout cinéma qui se respecte, l’UGC de Strasbourg ne dément pas à la règle des publicités juste avant la diffusion d’un film. La publicité, c’est aussi un moyen pour de jeunes cinéastes de faire leurs preuves, d’acquérir de l’expérience, de se faire des contacts et de pouvoir diffuser leur travail un peu partout.
Après quelques courts-métrages amateurs, Wendy Cairoli et Bruno Barazzutti, du collectif de production 17:22 Films, ont récemment réalisé une publicité pour les restaurants Franky’s de Strasbourg, qui sera diffusée à l’UGC Strasbourg et sur les réseaux sociaux en 2013. Les deux jeunes cinéastes ne cachent pas leur joie :
« Nous pouvons maintenant dire que nous avons monté un échelon ! Pour le tournage de cette publicité, nous avons eu une vraie équipe de professionnels à gérer, ainsi que du matériel de tournage et un budget à respecter. La publicité, c’est le juste milieu. C’est du commerce, mais il y a un côté artistique car il faut sans cesse se renouveler et être original et pour démarrer dans ce métier, il n’y a pas mieux. Si nous voulons faire du cinéma, c’est pour en vivre, on ne peut pas faire ça que pour l’amour de l’art. C’est ainsi que nous avons pris la décision de nous donner dix années pour gravir petit à petit les échelons. Maintenant la publicité, dans dix ans un long-métrage ».
L’amateur face au professionnel
Les deux apprenti-réalisateurs pointent aussi du doigt un problème bien français :
« Le problème pour les gens qui veulent faire du cinéma, c’est que tout est centralisé à Paris. D’accord, il y a peut-être plus de possibilités là-bas, mais aussi plus de concurrence. A Strasbourg, on peut tourner des choses qui n’ont pas encore été vues ailleurs puisque nous voyons Paris dans tout les films… »
La publicité pour les restaurants Franky’s
Les professionnels de l’image ont aussi un regard sur le cinéma amateur. Gilles-Dan Moyal, journaliste cameraman strasbourgeois, regrette un peu cet afflux de vidéos en tout genre :
« Strasbourg est vraiment une très bonne ville pour les tournages car c’est une petite ville ou on trouve de tout. Mais aujourd’hui, tout le monde se prend pour un réalisateur ou un photographe parce qu’on peut filmer avec presque n’importe quoi. Un téléphone portable, une petite caméra numérique, un appareil photo. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a des règles ! De tournage, de montage… etc. Pour transgresser les règles, il faut d’abord les connaître car elles sont là pour donner un sens. Dans un film, un reportage, le but est toujours de raconter une histoire. Et la différence entre un amateur et un professionnel se ressent à sa façon de raconter l’histoire, lorsqu’il y a un véritable fond en plus de la forme, un style propre. Bien heureusement, il existe parfois des exceptions ! »
La facilité à mettre en place des projets vidéo pour quiconque est aujourd’hui une chose certaine. Beaucoup s’y lancent dans l’espoir de toucher la célébrité du doigt, certains pour l’amour de l’art, d’autres n’ont pas d’autres ambitions que de pouvoir en vivre.
Dans tout les cas, un besoin de reconnaissance se fait sentir chez les cinéastes débutants. Mais au vu du mépris des sociétés de production pour « la classe amateur » beaucoup de ces nombreux projets finissent par être oubliés, voir jamais diffusés.
Aller plus loin
Sur France3 Alsace : Past, la web-série alsacienne
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