Céline, 21 ans, étudie en deuxième année de médecine. En mars 2021, elle est diagnostiquée du syndrome de Cowden, une maladie génétique héréditaire qui touche environ une personne sur 200 000. Elle se caractérise notamment par un risque accru de développer des tumeurs bénignes et malignes. En mars 2022, un deuxième diagnostic tombe : un cancer de la thyroïde.
Sa thyroïde gonfle, appuie sur ses voies respiratoires et l’empêche de respirer. L’étudiante décide de refuser l’aide de ses proches et de prendre seule en charge les démarches pour se soigner. Mais elle n’arrive pas à se préparer dans de bonnes conditions aux examens :
« Le service scolarité de l’Université ne m’a rien dit alors que je leur avais transféré mon dossier médical. On ne m’a pas informée des aménagements possibles. Je n’étais pas apte à aller aux épreuves. J’étais dans un état pitoyable quand je les ai passées, au sol à me tordre de douleur. »
Pas de réponse de la faculté de médecine
Dès janvier 2022, elle fait part de sa situation handicapante à la responsable administrative adjointe (RAA) de sa faculté, qui lui affirme que « les rattrapages devraient se dérouler en juillet et non plus en septembre ». La responsable précise dans le même e-mail qu’il n’est pas nécessaire de transmettre un certificat médical car « les éléments portés à [sa] connaissance suffisent ».
Mais pour Céline, les rattrapages ne suffisent pas. Elle répéte qu’elle ne pourra pas assister aux premières épreuves, celles dites de substitution mises en place par la faculté de médecine pour permettre aux étudiants malades du Covid de passer les examens, car son opération urgente de la thyroïde est programmée au même moment.
Mais les épreuves de substitution n’étaient qu’une dérogation nationale exceptionnelle, valable uniquement pour les étudiants malades du Covid. Aucun équivalent n’est proposé à Céline, qui se voit dès lors proposer les examens de rattrapage, comme à tous les étudiants.
Le médecin spécialiste qui suit le dossier médical de Céline, à qui elle s’est confiée, décide d’envoyer un e-mail au doyen de la faculté de médecine. Il demande à ce qu’elle puisse, comme les autres, bénéficier des épreuves de substitution :
« Si jamais elle échouait [aux examens, NDLR], n’est-il pas possible dans ce cas, à titre exceptionnel, de programmer une session de rattrapage pour qu’elle puisse avoir deux chances comme tous les autres étudiants ? »
Extrait de la lettre adressée au doyen de la faculté de médecine, par le médecin de Céline, le 18 juillet 2022.
Malgré de nombreuses relances, Céline restera sans réponse de la part de la faculté durant tout l’été 2022. Le 7 septembre, elle reçoit un e-mail de la part de l’administration, qui la convie à une rencontre cinq jours plus tard. Ce rendez-vous a lieu en présence du responsable du second cycle de médecine ainsi que de la responsable administrative adjointe. Céline demande alors une énième fois « la même chance que les autres » en passant des épreuves de substitution. Le comité de faculté les lui refuse. N’ayant validé que six matières sur dix aux examens de rattrapages, elle doit redoubler son année :
« Je me sentais très vulnérable. J’avais beau dire et répéter les faits de ma maladie, mon cancer et ma fatigue, on m’a poussé au redoublement. Je n’avais pas l’énergie de lutter. »
Batailler pour des aménagements
Éloïse, étudiante en histoire, a été diagnostiquée d’un cancer de la thyroïde en 2020. Elle a été soignée à l’Icans (l’institut de cancérologie Strasbourg Europe), tout comme Céline. Son opération, initialement prévue en mars 2020, est déplacée étant donné la montée des cas de Covid dans les hôpitaux et cliniques alsaciennes. Mais son cancer se développe trop vite, il faut l’opérer immédiatement. L’opération est donc reprogrammée pour début avril 2020.
« Dès que j’ai eu mon diagnostic, en janvier 2020, je me suis dirigée vers mes professeurs pour les avertir de mes absences futures. C’est le référent handicap de ma faculté qui m’a vraiment aidée, il ne m’a pas lâchée et m’a dirigé vers Mission handicap afin de prévoir les aménagements nécessaires. »
Il lui est alors proposé de poursuivre sa licence en contrat pédagogique et d’entamer sa deuxième année à la rentrée en septembre. Ce dispositif permet aux étudiants n’ayant pas validé l’intégralité des unités d’enseignements (UE) de première ou de deuxième année de commencer à suivre certains cours de l’année suivante. En plus de cela, elle obtient des aménagements qui lui permettent d’être absente, malgré l’obligation d’assiduité des étudiants boursiers.
« Défaillante » malgré les aménagements
Néanmoins, Éloïse a dû se battre avec la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) afin de conserver l’aide financière qui lui est versée. N’ayant pas été présente aux examens de fin d’année en 2020, l’administration de la Carmf a considéré l’étudiante comme « défaillante » et décidé de stopper le versement.. Sans cette aide financière, Éloïse ne peut ni faire ses courses, ni payer ses factures.
Malgré les documents déjà transmis à la Caisse, l’aide est suspendue pendant deux mois systématiquement à chaque début de semestre depuis septembre 2020. Pour débloquer le versement auquel elle à droit, il faut qu’Éloïse ré-explique son parcours à l’administration en question :
« Je n’arrêtais pas de les contacter et de leur répéter à chaque fois que j’ai eu un cancer et que j’étais en contrat pédagogique. Chaque semestre, c’est la même histoire. »
L’étudiante doit répéter inlassablement son histoire, sa maladie et en apporter la preuve avec des documents médicaux et universitaires. Pendant ces temps de vide financier, c’est sa mère qui l’aide tant bien que mal. Éloïse décide également de faire un service civique en parallèle de ses études, afin de gagner un peu d’argent :
« Je peux comprendre qu’un étudiant seul soit dépassé par les évènements, j’ai eu la chance d’avoir ma mère qui ne lâchait pas le dossier. »
Se battre aussi pour sa bourse
Le Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) a également causé des problèmes à Éloïse. Avant de se réorienter et d’étudier l’histoire, elle a fait deux années de droit. Alors qu’elle entame sa troisième année de licence, en 2022, le Crous l’informe qu’elle a épuisé son droit à une bourse. Durant quatre mois, elle doit à nouveau rappeler sa situation, sa maladie, son cancer… Avant d’enfin pouvoir être reconsidérée comme une étudiante boursière.
« Aucune information » sur l’existence de la Mission handicap
Jackie Didierjean, chargée d’accueil à la Mission handicap de l’Université de Strasbourg, explique qu’il existe « deux portes d’entrée » aux aménagements universitaires :
« Si l’étudiant malade d’un cancer est traité à Strasbourg, l’Icans nous en informe et on entre en contact avec l’étudiant. Sinon, l’étudiant doit venir vers nous, se déclarer à la Mission handicap et demander de l’aide. Les facultés doivent informer les étudiants de l’existence de la Mission handicap lorsqu’un étudiant se présente à l’administration. »
Il n’y a que quatre chargés d’accueil Mission handicap à temps plein pour l’université strasbourgeoise, qui accueille plus de 56 000 étudiants. Deux référents handicap parmi les personnels de l’université sont aussi présents dans chaque composante universitaire. En 2021-2022, cette mission a accompagné 1 341 étudiants, dont 28 atteints de cancers.
Les aménagements pour ces étudiants peuvent inclure des assistants d’études pour de l’aide à la prise de notes, un robot de téléprésence pour le suivi des cours à distance, du temps majoré pour les examens, une salle à part pour composer, des autorisations de sortir pendant les cours et les examens ou des autorisations d’absence, l’étalement du cursus, la conservation des notes d’une année sur l’autre, etc.
Ces aménagements découlent d’une convention signée entre l’Unistra et la Ligue contre le cancer en mars 2020 pour accompagner les étudiants malades dans leurs études. Mais, alors qu’elle a été traitée à l’Icans, Éloïse n’a pas été mise en lien avec la Mission handicap :
« Je connaissais déjà le parcours à suivre pour avoir accès à des aménagements et à qui s’adresser, parce que ma famille et mes professeurs me guidaient et me soutenaient. »
Interrogée à son tour sur la Mission handicap, Céline assure n’avoir eu « aucune information sur l’existence de la Mission handicap, ni de la part de l’hôpital, ni de la faculté. » Jackie Didierjean, informée de cette situation lors d’un entretien avec Rue89 Strasbourg, confirme que la situation « n’est pas normale ».
Des structures incapables de répondre aux besoins
Selon Lucas Sivilotti, docteur en Sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Bordeaux, « les trois-quarts des étudiants qui nécessitent un accompagnement personnalisé ne font pas appel au service universitaire d’aide dédié de leur établissement » (dans Accompagner les étudiants malades à l’université, 2023).
Lors d’un entretien téléphonique, il indique qu’il y a trois éléments explicatifs à ce comportement :
« Il y a une méconnaissance de ce qui existe. Un certain nombre d’étudiants ne savent pas qu’il y a des ressources auxquelles ils pourraient prétendre. Parfois ils en prennent connaissance trop tard dans l’année universitaire. »
Une seconde explication est l’indifférence face au service handicap :
« Il y a une sensation d’être légitime ou non à ce type de dispositif. Beaucoup adoptent une stratégie d’auto-compensation, au lieu de demander des compensations à l’institution. »
Enfin, certaines structures ne peuvent tout simplement pas répondre aux besoins des étudiants.
Après rémission, suppression des aménagements
À la rentrée suivant son opération, la scolarité demande à Éloïse si la situation concernant son cancer est « réglée ». Elle répond positivement. On lui annonce alors que les aménagements mis en place par la Mission handicap lui seront retirés.
« J’ai accepté cette décision parce que j’étais dans le déni de ce que je venais de vivre… Ce n’est pas parce que je suis en rémission que je vais bien. J’ai gardé des aménagements similaires pour ma dyslexie et mon anxiété. J’ai un peu plus de temps pour les examens par exemple. »
Le sentiment d’illégitimité face à la maladie ou au handicap est un aspect majeur du combat que mènent les étudiants. « Ils me le disent presque tous », affirme la chargée d’accueil de la Mission handicap. Éloïse raconte :
« Je ne me sentais pas légitime. Pour moi, je n’avais pas eu un vrai cancer, je n’ai pas eu besoin de faire de chimiothérapie. J’étais dans un déni complet. »
Céline explique qu’elle a eu « beaucoup de mal » à se rendre compte de la gravité de sa maladie :
« Je me disais que bon, j’ai un cancer, mais c’est pas grave, c’est comme ça. On ne me prenait pas au sérieux, on m’a dit que je devais prendre sur moi. Je me sentais très seule, c’était mon combat contre la douleur. Je culpabilise beaucoup de ne pas avoir la force de me battre pour mes droits. »
Depuis la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, les établissements universitaires sont censés être accessibles à tous et mettre en place une possibilité d’aménagements pour passer les examens. Lucas Sivilotti ajoute :
« La mise en place d’aides à l’accessibilité reste une zone grise dans la loi, ce qui fait que l’on trouve des disparités. On va s’appuyer sur la motivation et le bon vouloir de l’établissement. Quasiment 20 ans après cette loi, il reste donc des disparités. »
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