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Strasbourg toujours très dépendante du gaz, en partie russe

L’Eurométropole de Strasbourg est un territoire particulièrement dépendant du gaz pour son approvisionnement en énergie. Qu’en est-il alors de son exposition en cas d’arrêt des approvisionnements russes ? Décryptage.

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Strasbourg toujours très dépendante du gaz, en partie russe

Chaque année, l’Eurométropole de Strasbourg consomme environ 3,5 millions de mégawattsheure (MWh) de gaz pour répondre à 30% de ses besoins globaux en énergie. L’agglomération alsacienne est particulièrement dépendante du gaz, puisqu’en France, le gaz ne couvre que 20% des besoins énergétiques. La comparaison est d’autant plus frappante que l’agglomération ne recourt pas au gaz pour sa production d’électricité.

Cette surdépendance au gaz strasbourgeoise provient de l’histoire d’abord, les foyers strasbourgeois sont très bien connectés au réseau et forment le premier pôle de consommation du territoire. Puis cette proportion s’explique par les spécificités de l’industrie strasbourgeoise. Au-delà de l’attrait économique d’une énergie historiquement bon marché, le gaz permet une précision dans le contrôle des hautes températures indispensables aux usines strasbourgeoises de levure et de biotechnologies, ou encore aux brasseries et aux papeteries.

Le biogaz à ses balbutiements

Le gaz présent en France est importé à 99%, la Norvège fournit 40,6 % des importations, la Russie 17%, les Pays-Bas 8,4%, l’Algérie 9,5%… À Strasbourg, 1% des besoins est couvert par des bio-méthaniseurs, comme celui installé à la station d’épuration de La Wantzenau en 2014. En 2019, sa production de biogaz n’a couvert que l’équivalent de la consommation d’énergie de 3 600 foyers. L’entrée en fonction récente d’un deuxième bio-méthaniseur à Oberschaeffolsheim à partir de déchets agricoles n’a pas significativement changé la donne.

Chaque jour, chaque fournisseur doit rendre compte à GRT Gaz du volume de gaz consommé par sa clientèle pour ajuster ses commandes. Photo : MM. / Rue89 Strasbourg

En tout, cinq sites de production injectent aujourd’hui du biogaz dans le réseau de distribution local, opéré par RGD-S (ex Gaz de Strasbourg), qui couvre 120 communes du Bas-Rhin. Ensemble, ils pourvoient à 2,8% des besoins de ses 110 000 bénéficiaires, soit à l’équivalent de ceux de 16 000 foyers.

Un financement à l’aveugle

Quoi qu’il en soit, les volumes achetés par tous les fournisseurs sont versés dans le même réseau des gazoducs et points de stockages français. C’est donc une piscine commune de gaz importé qui alimente les réseaux de distribution. Julien Tchernia, P-DG de EkWateur, unique fournisseur de gaz alternatif à ÈS Energie, détaille :

« Sur les marchés du gaz naturel, aucun fournisseur n’a connaissance de l’origine géographique de ce qu’il achète. »

Certains gros fournisseurs ont passé des contrats directs de moyenne ou longue durée avec des producteurs identifiés, souvent protégés par le secret des affaires. C’est le cas d’Engie, engagé avec le géant russe Gazprom pour 20% de son approvisionnement jusqu’en 2030. ÉS Strasbourg, qui concentre 98% de la fourniture de gaz résidentiel dans l’Eurométropole, n’a pas souhaité préciser si elle est tenue par des contrats.

Carte synthétique des gazoducs français et points d’entrée Photo : doc Ademe

Strasbourg connectée au gaz russe

Un coup d’œil à la carte de France indique cependant que le point d’importation de gaz le plus proche de Strasbourg est celui d’Obergailbach en Moselle, il s’agit du robinet des importations de gaz russe. Notre territoire se trouve donc dans le périmètre de diffusion naturel du gaz russe. Le gaz norvégien peut aussi atteindre Strasbourg mais depuis Dunkerque et Taisnières au nord du pays. Mais si l’Alsace compte parmi les premiers utilisateurs du gaz russe livré en France, est-elle alors plus exposée à une interruption brutale de son arrivée à Obergailbach ?

Non, selon Martine Mack, directrice générale de R-GDS qui rassure :

« Il n’y a pas de fléchage. Si les molécules de gaz russe n’arrivent pas, on ne va pas fermer les compteurs des clients qui consomment russe. »

Des moyens de compensation physique opérationnels

Le transporteur GRT-Gaz (ex Gaz de France), qui gère les gazoducs de la majeure partie du pays, garantit un équilibrage de la distribution sur l’ensemble du territoire, sans donner plus de détails ni préciser s’il en a déjà fait l’expérience à un niveau de besoin comparable. Un expert de la distribution de gaz qui souhaite rester discret détaille à la place de GRT-Gaz :

« L’Alsace n’est plus dépendante d’Obergailbach, ce qui n’était pas le cas il y a encore 15 ans. Les transporteurs ont désormais la possibilité de faire remonter du gaz depuis le Sud de la France si nécessaire. Tout est substituable par pression. Il existe déjà un équilibrage permanent du réseau de transports pour s’adapter à la météo. »

Gazoduc
Tout le réseau de transport de gaz en France est interconnecté. Ici le gazoduc de Loisy, en Meurthe-et-Moselle. Photo : Denis Fleurot / FlickR

GRT-Gaz ajoute qu’une nouvelle entrée de gaz algérien dans notre région serait aussi opérationnelle par Oltingue à la frontière suisse du Haut-Rhin, qui sert aujourd’hui pour les exportations.

Puisque le gaz russe ne représente que 17% du gaz que consomment les Français, les acteurs du secteur martèlent que sa disparition n’aurait pas d’incidence catastrophique pour le pays. Maxence Cordiez, ingénieur spécialiste des énergies et auteur de « Énergies, fake or not » (Tana éditions, avril 2022) prévient cependant :

« La grande inconnue, c’est plutôt le niveau de solidarité avec les autres pays européens, sachant que certains sont beaucoup plus dépendants du gaz russe que nous. »

Trois gros consommateurs à Strasbourg

GRT-Gaz assure que les stocks de gaz en France et la diversité des sources d’approvisionnement permettront de passer l’hiver 2023. À condition qu’il ne soit pas trop rude, nuance Martine Mack de RGD-S, qui ajoute la question du renouvellement des stocks par la suite :

« Si on veut passer l’hiver 2023, il va falloir faire des économies dans tous les sens. C’est possible : 1 degré celsius (°C) de chauffage en moins équivaut à une économie de consommation de 7%. »

En plus des mesures courantes d’interruptions dédommagées de fournitures, négociées avec certains industriels, l’État anticipe. Dans un décret du 7 avril, il se tient prêt à donner pour consignes aux distributeurs de procéder à des mesures de délestage auprès de 5 000 grands consommateurs de plus de 5 gigawattsheure (GWh) par an. Il n’a pas encore précisé lesquels.

Sur l’ensemble du réseau local de distribution RGD-S, une cinquantaine de sites seraient susceptibles d’être concernés, qui représentent à eux seuls la moitié du gaz consommé sur le territoire. À Strasbourg, les trois plus gros consommateurs de gaz rendus publics sont le réseau de chaleur de Hautepierre (185 000 MWh), l’usine de fabrication de papier Blue Paper (179 000 MWh) et l’usine d’aciers revêtus NLMK (122 000 MWh).

L’indépendance en ligne de mire

Avant qu’une interruption des approvisionnements russes ne conduise à une envolée des prix ou à des coupures, Maxence Cordiez défend une régulation de la demande sur le modèle de la circulaire de l’ancien premier ministre Jean Castex en mars. Celle-ci donne pour consigne que le chauffage des bâtiments publics ne dépasse pas 19°C et que la climatisation ne descende pas sous les 26°C :

« Si la réduction de la demande n’est pas pilotée politiquement par les rationnements, celle-ci va se réguler par la pauvreté. »

Maxence Cordiez

L’Eurométropole s’est fixé comme objectif l’indépendance au gaz importé d’ici 2050. Pour se faire, elle entend réduire d’ici là sa consommation de moitié, par la sobriété énergétique, les raccordements aux réseaux de chaleur, la rénovation du bâti ou encore en substituant des énergies renouvelables à cette énergie fossile. Elle mise ensuite sur la méthanisation et compte pousser ses propres capacités au maximum. Mais la production locale ne pourra atteindre, selon ses estimations, que 10% de ses besoins futurs en biogaz. La collectivité compte donc sur le développement des installations en zones rurales du Grand Est, région motrice en la matière, pour supporter le reste.


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