Dans un communiqué publié jeudi 23 janvier, l’association de consommateurs UFC-Que Choisir et l’association écologiste Génération futures ont révélé les résultats de leurs analyses sur la qualité de l’eau à Strasbourg et à Mulhouse. Huit polluants éternels – des per- et polyfluoroalkylées plus connus sous le nom de PFAS – ont été retrouvés dans l’eau du robinet analysée. Les mesures ont été effectuées entre juin et novembre 2024 par un laboratoire indépendant. Ce dernier a détecté l’un de ces polluants éternels, le perfluorooctane sulfonate (PFOS), à hauteur de 1,9 nanogramme par litre (ng/l). Utilisés dans la fabrication de produits anti-adhésifs et de mousses anti-incendie, les PFOS sont toxiques. Ils sont interdits à la production et d’utilisation depuis 2019 en Europe.
Des normes qui ne rassurent pas
Cette étude fait écho à une enquête d'Ici Alsace (anciennement France Bleu Alsace). Des mesures avaient révélé que les eaux du robinet de Strasbourg et d’Ammerschwir près de Colmar sont contaminées aux polluants éternels. Au micro d'Ici Alsace, Thierry Schaal, vice-président de l’Eurométropole en charge de la gestion de l’eau potable, a assuré que les PFAS présents dans l’eau de l'agglomération ne contiennent que des concentrations inférieures aux valeurs limites. Selon la norme européenne appliquée en France à partir de 2026, la somme des 20 principaux PFAS ne doit pas excéder les 100 ng/l.
Mais l'UFC-Que Choisir estime que ces normes sont obsolètes et qu'elles ne permettent pas de garantir l'innocuité des eaux testées :
"Cette valeur de 100 ng/l ne se base sur aucune donnée toxicologique. C'est simplement le niveau de détection qu’atteignaient les méthodes d’analyse il y a quelques années. (...) Si l’on prenait la norme bien plus protectrice pour les consommateurs que le Danemark appliquera en 2026 (2 ng/l pour la somme de quatre PFAS), alors le prélèvement de Strasbourg serait non-conforme."
Une contamination régionale
En 2023, un consortium de médias intitulé le Forever Pollution Project avait révélé l'étendue de la pollution aux PFAS en Europe. En Alsace, les bords du Rhin sont particulièrement touchés. L'enquête, republiée par Rue89 Strasbourg, révélait la contamination de 200 sites en Alsace, avec un pic à 941 ng/l dans la commune du Vieux-Thann dans le Haut-Rhin.
Rue89 Strasbourg a aussi cartographié les résultats d’une étude de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) sur les prélèvements d’eaux rejetées par des entreprises alsaciennes pouvant "présenter des dangers (incendie, explosion, etc.) pour l’environnement, la santé et la sécurité publique" Cette étude a révélé la présence de PFAS dans 99 des 116 sites analysés en Alsace. Parmi eux, des entreprises de l’Eurométropole de Strasbourg comme la papeterie Blue Paper à Strasbourg, le complexe Alsachimie et Butachimie de Chalampé (Haut-Rhin) ou encore le cimentier Holcim à Altkirch.
Toute la nappe alsacienne polluée
Cette pollution de l’eau se retrouve aussi au niveau de la nappe phréatique d'Alsace. En 2024, Rue89 Strasbourg a détaillé les résultats d'une étude réalisée par l’Observatoire de la nappe d’Alsace (Aprona). Cette dernière a révélé que 97,5% des 200 points de mesure en Alsace sont contaminés par l'acide trifluoroacétique, appelé TFA. Cette molécule, de la famille des PFAS, est très peu connue. Aucune étude n’a encore été réalisée pour documenter sa toxicité. De ce fait, elle continue à être utilisée.
Ce que l'on sait, en revanche, c'est que le TFA est issue de la dégradation d’un pesticide fluoré, le flufénacet. Ce pesticide, utilisé dans les grandes cultures céréalières (blé et orge principalement), est vendu par les entreprises Bayer et BASF. La commercialisation de ce produit, officiellement reconnu comme perturbateur endocrinien l'année dernière, devait cesser en 2013. Mais le pesticide a fait l’objet de neuf dérogations émanant de la Commission Européenne, permettant à Bayer et BASF de continuer réaliser à vendre cette molécule toxique.
Une recherche de solutions en cours
Face à l’urgence de la situation, des chercheurs de l’Université de Strasbourg se sont fixé comme objectif de trouver une solution contre l’accumulation de cette pollution (lire notre article). Stéphane Vuilleumier et Michaël Ryckelynck cherchent ainsi le micro-organisme qui sera capable de dégrader les milliers de PFAS existants pour lutter contre leur accumulation dans les milieux naturels. Un projet audacieux et complexe, toujours en cours au moment de publier cet article.
D'autres solutions sont envisagées pour dépolluer les environnements. D’abord par une interconnexion des réseaux d’eau pour diluer les polluants. D'autres communes préfèrent installer des filtres au charbon actif (en projet à Mommenheim). Selon une enquête publiée par Le Monde, "la facture vertigineuse que les Européens devront payer pour éliminer les PFAS de leur environnement" se situe "entre 95 et 2 000 milliards d’euros sur vingt ans".
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