En 2005, la France a voulu améliorer le quotidien des personnes handicapées en imposant des rénovations sur les bâtiments publics, les voiries, les transports en commun ou encore les commerces. Pour se rendre accessible, un bâtiment devait être équipé de rampes d’accès lorsqu’il y a des marches, les supermarchés devaient espacer leurs rayons de 1,20 mètre et avoir une aire de demi-tour en fin d’allée. Si en 2015, un établissement n’était toujours pas à ces normes, il ferait l’objet de sanctions financières.
Seulement, à mi-chemin de cette échéance, en 2008, l’Etat s’est rendu compte qu’il était impossible de tenir les délais. La date butoir a donc été repoussée, visant trois années maximum pour la mise en oeuvre des travaux pour les bâtiments d’une capacité maximum de 200 personnes et d’une durée allant de six à neuf ans pour ceux qui recevraient plus de public. Certains lieux ont donc jusqu’à 2024 pour se mettre aux normes !
En contrepartie, les bâtiments recevant du public doivent déposer en préfecture ce qu’on appelle un « agenda d’accessibilité programmée » (Ad’ap), une liste des travaux à réaliser avec les délais prévus. Les retardataires s’exposent à une double sanction : un rétrécissement du délai de mise en oeuvre des travaux et une amende.
400 bâtiments pour la Ville, 60 pour l’Eurométropole
Marie-Dominique Dreyssé, adjointe au maire (EELV) de Strasbourg en charge de la présidence de la commission communale pour l’accessibilité aux personnes handicapées (CCAPH), explique:
« Au niveau de la Ville et de l’Eurométropole, nous avons déposé nos Ad’ap en mars 2015. Notre plan s’étale sur trois phases de trois années chacune, parce que beaucoup d’établissements sont à mettre en accessibilité : 400 pour la Ville et 60 pour l’Eurométropole. Ce qui fait une programmation extrêmement lourde avec des budgets conséquents : 57 millions d’euros de budget pour la Ville, 12 millions pour l’Eurométropole. »
Il y a trois ans, Stéphane Knoerr témoignait pour Rue89 Strasbourg. En fauteuil roulant suite à un accident de moto, il n’était déjà par convaincu lorsque la loi est sortie en 2005 et ne l’est toujours pas :
« Je ne peux pas dire que c’est le jour et la nuit depuis 2013. Certains commerces ont mis des rampes amovibles et des sonnettes à moins d’un mètre du sol. Mais les commerces qui n’étaient pas accessibles il y a trois ans ne le sont toujours pas aujourd’hui. »
L’homme de 42 ans estime tout de même que des améliorations ont été faites, mais qu’à moitié :
« La Ville a transformé la rue des Frères en ce qu’elle appelle une zone de rencontre. C’est-à-dire que les piétons, les cyclistes et les voitures circulent dans un même espace, puisqu’il n’y a pas de trottoir. Sauf que dans certains magasins, il y a toujours une petite marche. »
Cette petite marche, ce n’est pas à la Ville d’y remédier, mais aux commerces eux-mêmes. La mise en application de cette loi est difficile, car ses objectifs et les enjeux qui en découlent sont très importants, selon Marie Dominique Dreyssé :
« La loi disait, à échéance de dix ans (avant que la date butoir n’ait été repoussée), que l’accessibilité universelle c’est aussi bien l’accès a la culture, à la citoyenneté et le libre choix de ces parcours de vie. Il y avait des obligations structurelles clairement définies pour les espaces publics. Tout le monde est soumis à cette loi et en particulier les collectivités en ce qui touche les établissements recevant du public (ERP). »
Strasbourg ne sera jamais accessible à 100%
Mais Strasbourg doit aussi faire avec ses rues pavées et ses bâtiments historiques. L’Eurométropole est la huitième ville française après Lyon ou Rouen qui compte le plus de bâtiments historiques. Ce sont la Direction Départementale du Territoire (DDT) et la sous-commission départementale de la mise en accessibilité qui instruisent les dossiers Ad’ap.
L’adjointe au maire développe :
« C’est ce qu’on appelle les impossibilités techniques avérées. Pour le musée alsacien, par exemple, on ne va pas tout casser pour mettre un ascenseur ou des couloirs plus larges. Il y a des choses qui ne peuvent pas être accessibles mais des réponses peuvent être apportées, comme la visite virtuelle du musée via leur site internet. »
Stéphane Knoerr est conscient de ces difficultés de mise en oeuvre :
« On ne pourra jamais rendre un centre-ville historique comme celui de Strasbourg accessible à 100%. C’est une utopie de penser cela. Simplement, il faudrait que l’accès aux espaces historiques soit facilité pour pouvoir se rendre le plus près possible de ces endroits. Par exemple, on pourrait mettre des places handicapées à proximité de la cathédrale. »
André Wahl, président de l’Association de parents et de personnes handicapées (AAPEI) de Strasbourg et de l’Urapei, l’union régionale, est plutôt satisfait de cette mise en accessibilité :
« Cette ville est un exemple en matière d’investissements et d’engagements pour le handicap, l’handicap mental en particulier. Pour le handicap moteur, le principe est enclenché. En 2008, selon les municipalités et les moyens, la programmation financière n’était pas tout à fait calée, mais là j’ai le sentiment qu’en 2025 les choses seront bouclées. »
Un optimisme fort donc, même si la loi ne va pas assez loin selon lui :
« L’accessibilité doit aller au delà des bâtiments et ça ça n’a pas assez été pris en compte dans la loi de 2005. Il faut avoir, à chaque fois que c’est nécessaire, un accompagnement complémentaire. »
« Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir »
Pour aller dans ce sens, l’AAPEI a mis en place un pictogramme qui représente le handicap mental : deux visages, un de face, l’autre de profil, sur un masque. Au moins une personne de chaque commerce et bâtiments qui l’affichent sur leurs vitrines doit avoir été formée à l’accueil et à l’accompagnement des personnes handicapées. Rivétoile a été le premier centre commercial à s’en équiper. André Wahl s’en félicite :
« Si on prend l’ensemble des services (centres administratifs, médiathèques, piscines, musées…), il y a vraiment une évolution du point de vue de l’état d’esprit. Par rapport à ce que j’ai connu il y a trente ans, il y a une ouverture indéniable, un regard qui a changé dans un peu tous les secteurs. »
En 2012, Strasbourg était encore classée 61ème dans le classement accessibilité des villes françaises de l’APF (Association des Paralysés de France). L’association n’a pas mis à jour son classement depuis.
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