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À Strasbourg, le 115 ne fonctionne toujours pas pour les réfugiés non-ukrainiens

Des dizaines de familles géorgiennes, albanaises ou encore tchétchènes demandent un hébergement d’urgence tous les jours, sans succès. En même temps, l’État a créé plusieurs centaines de places d’accueil dans le Bas-Rhin pour les Ukrainiens. Des associations dénoncent une hiérarchisation des réfugiés. Reportage auprès d’une famille.

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À Strasbourg, le 115 ne fonctionne toujours pas pour les réfugiés non-ukrainiens

La voiture est stationnée sur un parking, à quelques mètres de l’arrêt de tram Port-du-Rhin. C’est le seul abri de Maria (prénom modifié) et de ses trois enfants. Les deux plus grandes viennent de rentrer du lycée. Maria repli la couverture pour qu’elles puissent se poser sur la banquette arrière. Il est 18 heures passées. Le soleil se couche et la température descend vite ce 9 mars.

Deux jours plus tôt, la préfecture du Bas-Rhin a annoncé avoir créé environ 400 places d’hébergement d’urgence pour les réfugiés d’Ukraine. Elle prévoit d’en créer plus, en collaboration avec les maires du département ou avec la Collectivité européenne d’Alsace qui utilise des logements de fonction de ses collèges. À cette mobilisation s’ajoute l’accueil chez des citoyens, coordonné notamment par les services de l’État et de la Ville.

Depuis le début de la guerre, 800 Ukrainiens ont été hébergés dans le département, selon la préfète Josiane Chevallier, rapporte 20 Minutes. Mais Maria et sa famille viennent de Géorgie. À la rue depuis le 12 février, après 5 ans à Strasbourg, Maria appelle le 115 tous les jours : « À chaque fois, ils nous disent qu’il n’y a pas de place », souffle-t-elle.

Maria et ses trois enfants, près de leur voiture. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

84% des demandes d’hébergement d’urgence non pourvues

Leur cas n’est pas isolé. Le collectif Pas d’enfant à la rue a connaissance de 25 familles avec enfants qui dorment dehors, dans des voitures, des cages d’escalier, ou d’autres solutions de fortune. Pour Sabine Carriou de l’association Les petites roues, « en tout il y a une quarantaine de familles sans-abris ».

Rue89 Strasbourg a pu consulter un point du service intégré d’accueil et d’orientation (SIAO) en date du 9 mars 2022. Les maraudes ont rencontré 95 ménages, dont 52 hommes isolés, des couples avec ou sans enfants, et 37 mineurs qui passent la nuit majoritairement dans des voitures, des tentes ou dehors. Sur les 1 500 demandes d’hébergement individuel réalisées par des personnes distinctes ces dernières semaines, 84% n’ont pas obtenu de réponse favorable.

« L’État nous montre qu’il est tout à fait possible de créer des places rapidement »

Cécilia Quintiliani, du collectif Pas d’enfant à la rue, se réjouit de l’accueil des Ukrainiens. Mais elle dénonce : « La hiérarchisation des réfugiés est flagrante à Strasbourg. Selon leur pays d’origine, ils ne sont pas traités de la même manière. »

Pierre Greib, co-président de la Cimade Grand-Est, abonde :

« Depuis des années maintenant, le dispositif d’hébergement d’urgence est saturé dans le Bas-Rhin. Là, l’État nous montre qu’il est tout à fait possible de créer des places rapidement. Pourquoi ne pas le faire pour les autres réfugiés ? Des Géorgiens, des Congolais ou des Afghans dorment dans la rue. Qu’est ce qui justifie, même légalement, cette différence de traitement ? »

« Ma vie et celle de mes enfants sont en danger en Géorgie. »

En effet, quelque soit la situation administrative des personnes, l’État est censé loger toute personne en détresse qui le demande de manière inconditionnelle d’après la loi. Début mars, les Ukrainiens qui le demandent sont logés de manière systématique. « Pour les autres, le 115 est toujours saturé », assure Sabine Carriou, des Petites Roues :

« Depuis le 1er janvier, nous avons logé 12 familles à l’hôtel grâce à notre cagnotte de dons, pour un total de 5 877 euros au 15 mars. Certaines familles, souvent déboutées et en recours juridique pour obtenir l’asile, n’ont aucune solution. Demain, nous serons obligés d’arrêter, après 27 jours de mise à l’abri, de loger un couple géorgien avec deux enfants de 5 et 6 ans scolarisés à Lingolsheim. Ils retourneront donc dans la rue. »

Pour Cécilia Quintiliani « les réfugiés ont tous de bonnes raisons d’être là, et méritent tous d’être hébergés ». Emmitouflée dans sa veste, Maria raconte l’histoire de sa famille, arrivée en France en janvier 2017 :

« Ma vie et celle de mes enfants sont en danger en Géorgie. Mon mari a eu des menaces de personnes dangereuses. Si je pouvais vivre paisiblement dans mon pays, je ne serais pas dans la rue ici. Je n’en peux plus de ne rien faire. Je suis assistante vétérinaire. »

La voiture qui sert d’abri à Maria et ses enfants. Photo : TV / Rue89 Strasbourg / cc

La France considère que la Géorgie est un pays sûr

En Géorgie, des problématiques de persécutions des personnes LGBTQIA+, de certains militants politiques, de minorités ethniques et religieuses persistent. Des organisations mafieuses aux méthodes brutales y sont très implantées. Une intervention militaire menée par Vladimir Poutine avait aussi fortement déstabilisé le pays en 2008. La Géorgie a même été, début 2019, le premier pays d’origine des demandeurs d’asile dans l’Hexagone.

Mais la France, par la voix de Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, en mai 2019, a affirmé sa volonté de lutter contre « l’anomalie » de la migration géorgienne. Elle considère le pays comme « sûr », et entend « procéder systématiquement à une reconduite à la frontière ». La demande d’asile de la famille de Maria n’a donc pas été acceptée.

Son époux étant tombé malade, la famille a pu rester en France dans un premier temps grâce à un titre de séjour pour raisons de santé. Il est décédé en juillet 2021. Suite à cela, la préfecture du Bas-Rhin a adressé au reste de la famille une obligation de quitter le territoire français (OQTF). C’est pour cette raison que Maria et ses filles on dû quitter leur logement en février. Sans papier français, Maria n’a jamais eu l’autorisation de travailler depuis son arrivée.

Parallèlement, les ministres européens de l’Intérieur ont décidé d’octroyer la protection temporaire à tous les réfugiés ukrainiens, leur donnant ainsi le droit d’avoir un emploi, un logement et les APL.

Hôtel réquisitionné pour l'accueil de demandeurs d'asile à Strasbourg fin août 2021. Place de Bordeaux. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg / cc).
Après la prise de pouvoir des Talibans en Afghanistan, 200 réfugiés avaient été accueillis dans l’hôtel Mercure pendant l’été 2021. En mars 2022, d’après les associations, des Afghans dorment dans la rue à Strasbourg. (Photo JFG / Rue89 Strasbourg / cc).

Pour la Cimade, tous les réfugiés doivent être traités comme les Ukrainiens

Le plus jeune enfant de Maria a 5 ans. Il est à l’école maternelle Ariane Icare. Les deux filles ont 17 et 18 ans, et sont scolarisées aux lycées Jean Geiler et René Cassin. Après cinq ans passés en France, les enfants se disent attachés à leur vie ici. Combien de temps n’auront-ils pas de solution d’hébergement pérenne ? Maria l’assure, elle n’a pas d’autre choix que d’attendre : « Je ne risquerai pas ma vie et celle de mes enfants. »

Depuis le 10 mars, ils dorment dans une chambre d’hôtel payée par Les Petites Roues. « On espère que l’État trouvera une solution, parce qu’on ne pourra pas les loger indéfiniment », dit Sabine Carriou.

Elle s’inquiète :

« Malheureusement nous recevons des signalements tous les jours pour des familles qui dorment dans des voitures ou dehors, avec des enfants scolarisés. Nous n’arrivons plus à répondre à toutes les demandes. »

En plus des personnes à la rue, une centaine d’exilés sans solution de l’État, dont beaucoup de Géorgiens avec des enfants, squattent un immeuble à la Meinau. Interrogée sur la différence de traitement des réfugiés, la préfecture n’a pas répondu à nos questions. Pierre Greib, de la Cimade, espère que l’accueil des Ukrainiens sera pris comme exemple, à l’avenir, pour le traitement de tous les demandeurs d’asile et de titre de séjour.


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