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Un stockage d’amiante à Niederbronn secoue le parc régional des Vosges du nord

Que faire des déchets d’amiante dont personne ne veut ? Leur stockage est-il compatible avec la vocation d’un parc naturel régional ? Le tribunal administratif s’est intéressé mercredi à un projet contesté depuis plusieurs années près de Niederbronn-les-Bains, qui pourrait monter en capacité dans les années à venir.

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Sur les ronds points près de Niederbronn, ce ne sont pas tellement les gilets jaunes qui veulent être visibles... (photo collectif contre Collectif Non à L'Amiante à Niederbronn-Les-Bains )

Niederbronn-les-Bains, dans le parc régional des Vosges du Nord. Sa station thermale, son château, ses jardins et… son centre de stockage d’amiante. C’est le projet qui depuis la mi-2015 hérisse une partie des habitants. Autorisé à la demande de la société locale Sotravest, il pourrait bouleverser le quotidien de petites communes du nord de l’Alsace. Pour l’instant, le site fonctionne a minima, en attendant les décisions de justice. L’amiante est un matériau anciennement utilisé comme isolant dans les constructions, mais il est très dangereux pour la santé si les plaques sont brisées ou déchirées.

Si les tribunaux administratifs devaient confirmer la légalité de l’entreprise, l’extension pourrait accueillir jusqu’à 150 000 tonnes. Un stockage irréversible, c’est-à-dire définitif. Une technique de retraitement par vitrification existe, mais selon la Direction régionale de l’environnement (Dreal) ou d’autres spécialistes du dossier, la rentabilité d’une telle opération se pose encore à grande échelle.

Le double problème du parc

Problème, le site retenu est une zone industrielle à l’entrée du parc régional des Vosges du Nord, dite du Sandholz. L’installation n’est pas vraiment cohérente avec les objectifs d’un tel parc, qui vise à concilier l’activité économique humaine et la préservation de la nature. Mais deuxième problème, ce même parc contient nombreux hangars avec des toits en « fibro-ciment« , connus pour être composés avec de l’amiante. Tôt ou tard, il faudra les remplacer et donc les stocker. À l’heure actuelle, certains morceaux sont abandonnés dans la forêt tant les règles de stockage sont complexes ou coûteuses.

La zone industrielle du Sandholz à Niederbronn-les-Bain (Photo Google Maps)
La zone industrielle du Sandholz à Niederbronn-les-Bain (Photo Google Maps)

Ainsi, le centre de stockage chez Sotravest pourrait devenir une solution. Mais son projet de stockage d’amiante n’a pas seulement une vocation ultra-locale. Les déchets pourront provenir d’un rayon de 200 kilomètres. Cela induit par ricochet un nouveau trafic de poids-lourds. Du côté de la société, on fait aussi aussi valoir qu’il n’y a pas d’impact sur les terrains actuellement occupés par du stockage de gravats, simplement une surélévation, de 210 à 213 mètres.

Arguments de forme, peu de fond

Depuis le 7 juin 2017, le site, suspendu après un jugement obtenu en référé, fonctionne grâce un arrêté « temporaire » jusqu’à la délibération des juges administratifs sur le fond. Cette audience a eu lieu mercredi 19 décembre à Strasbourg. Le rapporteur public, magistrat chargé de proposer une solution au tribunal, a proposé une annulation de l’arrêté pour une erreur de forme (le nom du préfet manquait), mais de l’assortir d’une « autorisation temporaire » de deux mois, le temps de la régulariser. Cet avis est souvent suivi par les juges, mais pas toujours.

Évelyne Fuchs, présidente de l’association Heron (Harmonie environnementale de Reichshoffen et observations naturelles) ressort déçue de ces échanges :

« On ne nous a parlé que de forme, mais nous aimerions débattre du fond. Lors de l’enquête publique, la demande de réunion par la commissaire enquêtrice n’a jamais été réalisée. Des communes ont changé d’avis en découvrant l’ampleur du projet. Enfin la loi sur l’amiante a changé en 2016, mais on s’appuie encore sur la loi de 2015, lorsque les procédures d’autorisation ont été lancées. Les nouvelles dispositions pourraient l’interdire. »

« Un dossier qui témoigne d’une époque révolue où les projets sont imposés, sans vraiment prendre en compte l’avis », abonde l’avocat de l’association Me Jonathan Waltuch, qui s’attend à combattre un nouvel arrêté en 2019.

En audience, il avait aussi soulevé un problème de légalité :

« La charte du parc, qui a une règle normative, prévoit d’être un sanctuaire. Dans un souci d’exemplarité, ce dernier ne veut pas seulement se borner aux règles, mais préserver la nature tout en développant des filières économiques dans le tourisme durable ou l’eau Celtic. »

Les deux parties ont invoqué le parc et son président Michael Weber. La préfecture pour indiquer qu’il ne s’était pas opposé au projet à l’automne 2015 lors de l’enquête publique et les opposants pour indiquer que par la suite, le parc a pris une délibération collective contre le projet. Maire de Woelfling-lès-Sarreguemines en Moselle, Michael Weber était injoignable mercredi. Dans une interview aux DNA, il indique qu’il attendait des éléments supplémentaires pour se positionner et regrette la non-étanchéité des alvéoles censées accueillir l’amiante.

Sur les ronds points près de Niederbronn, ce ne sont pas tellement les gilets jaunes qui veulent être visibles... (photo collectif contre Collectif Non à L'Amiante à Niederbronn-Les-Bains )
Sur les ronds points près de Niederbronn, ce ne sont pas tellement les gilets jaunes qui veulent être visibles… (photo Collectif Non à L’Amiante à Niederbronn-Les-Bains / doc remis)

Le risque en débat

Un autre recours venait de la Confédération paysanne, le syndicat agricole. Au tribunal, deux mondes se télescopent. Le rapporteur public propose de rejeter la demande, car elle est déposée par le porte-parole du syndicat agricole et non « le bureau » d’une association. La voix chargée et le ton lent, Rémy Pivot, payregrette que « le bon sens » ne prévale pas :

« Notre premier rôle est de produire des aliments. Nos membres en cultivent la terre et l’entretiennent. Nous fonctionnons en collectif, car le temps est précieux et c’est comme cela que nous fonctionnons. En tant qu’exploitant, nous voulons continuer une pratique cohérente avec le parc régional des Vosges. Que faire ? Occupons nous d’abord des déchets locaux, en les stockant dans des hangars ou en les acheminant vers les sites non-saturés de Weitbruch et Wintzenbach, avant de pouvoir les retraiter. »

Chef de l’unité départementale à la direction régionale de l’Environnement (Dreal), Pascal Lajugie a tenté de rassurer sur les conséquences :

« Les produits seront emballés et sur-emballés en cas de déchirement. Le site n’aura aucun impact sur les terres agricoles. »

Mini-réunion publique improvisée

À l’issue de l’audience, sur les marches du tribunal une mini-réunion publique s’improvise pendant près d’une heure. Le représentant où les agents de la Dreal répondent avec patience aux différentes critiques et questions des opposants. Certains échanges sont techniques. Ainsi sur le risque « inévitable » de déchirement des sacs (les « big bags ») il a été discuté de l’intérêt d’ajouter un bassin de rétention d’eau pour protéger les cours d’eau. Il s’agissait d’une recommandation de la commission d’enquête publique et finalement mise en place suite une suspension de l’acte en référé courant 2017. Les sacs sont censés être étanches.

La carte du parc régional des Vosges du Nord. Près de Reichshoffen au sud-est, Niederbronn est à sa lisière.
La carte du parc régional des Vosges du Nord. Près de Reichshoffen au sud-est, Niederbronn est à sa lisière.

Lors de ces vifs échanges, un timide point d’accord émerge. Le site de stockage risque de nuire à l’image bucolique de Niedebronn-les-Bains, qui mise sur le tourisme en lien avec la nature ou sur l’eau de source Celtic, bien que le point de captage soit en amont de Sotravest. « Les normes ne seront pas différentes d’ailleurs », insistent les agents en évoquant les différents contrôles possibles. La question des risques de particules volatiles dans l’atmosphère n’est quasiment pas abordée. Reste que les projets environnementaux sans risque lors de leur élaboration mais qui tournent mal avec les années comme… l’amiante, mais aussi les stockages de déchets ultimes à Stocamine, ou la géothermie peu profonde à Lochwiller restent dans les esprits.

La décision du tribunal est attendue pour le 16 janvier.


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