« Il faut arrêter d’annoncer à tout bout de champ que le cinéma est mort, c’est loin d’être le cas », s’insurge Stéphane Libs, programmateur des cinémas Star, les célèbres cinémas d’art et essai de Strasbourg. Depuis plus d’un an, il entend de nombreux propos pessimistes sur la situation des salles obscures. Une analyse qu’il n’observe pas dans son établissement. Un poncif que le directeur juge même contre-productif, comme il l’explique :
« Bien sûr, nous sommes passés par des moments difficiles, avec les restrictions dues au Covid, comme la mise en place du siège sur deux ou le port du masque obligatoire… Mais ces moments sont derrière nous. Au lieu d’asséner aux gens que le cinéma va peut-être disparaître, les médias feraient mieux de parler des films, de donner envie aux gens d’y retourner, car la production a repris et de très belles choses sont réalisées. »
Stéphane Libs rappelle que la Fête du cinéma 2022, qui s’est tenue du 3 au 6 juillet, avait été pré-annoncée comme un échec par plusieurs médias. « Mais au bout du compte, en termes d’entrées, nous avons largement égalé celles de 2017, 2018 et de 2019. Les Mignons, par exemple, ont complètement explosé les chiffres. »
« Il reste encore un marché pour le cinéma »
La pandémie a mis un coup d’arrêt à l’industrie du cinéma en provoquant une fermeture des salles. Une partie de la production de films a aussi été mise en pause. La récession a été d’autant plus marquée qu’elle est intervenue après une année record de fréquentation. En 2019, le nombre d’entrées dans les cinémas français s’est élevé à 213,3 millions, soit 6% de plus qu’en 2018. Un record qui n’avait plus été atteint depuis 1966, hormis en 2011, grâce à la sortie d’Intouchables.
De mai 2020 à mai 2021, le nombre d’entrées à l’échelle nationale a atteint un peu plus de 150 millions. Stéphane Libs tient à nuancer ce chiffre :
« Cette période englobe les mois pendant lesquels il y avait des restrictions très strictes, comme le siège sur deux, le port des masques. En plus de ça, les films américains ont mis du temps à revenir à l’affiche. Pour une période aussi complexe, le chiffre de 153 millions n’est pas du tout si mal que ça. Et la situation ne cesse de s’améliorer. Il reste encore un marché pour le cinéma. »
Un retour progressif du public
La fréquentation ne cesse de s’améliorer dans les salles françaises et notamment strasbourgeoises. Les cinémas Star et Star Saint-Exupery notent aujourd’hui une baisse de la fréquentation de 14% par rapport à 2019, contre une baisse de -50 % à – 60 % après la première réouverture en été 2020.
Les cinémas de Stéphane Libs réalisent une bonne performance quand on les compare à la moyenne nationale des salles art et essai qui tournent aujourd’hui autour de -24 à -25 % d’entrées. Il se situe également à une bonne place par rapport aux autres cinémas strasbourgeois. « L’UGC tourne autour de – 34% et le Trèfle – 33%. Le Vox est à -4% », rappelle Stéphane Libs. Ce dernier chiffre s’explique en partie par l’ouverture de deux salles supplémentaires dans le cinéma de la rue des Francs-Bourgeois.
Pour l’exploitant des cinémas Star, cette disparité entre petits cinémas et multiplexes n’est pas étonnante :
« Les chiffres sont différents entre les salles art et essai et les grands cinémas comme l’UGC ou le Pathé de Brumath, car ces derniers tournent beaucoup avec des superproductions ou des films à grands succès. Ce type de films manque encore à l’affiche. Il y a eu la production Disney Encanto, qui est restée très longtemps à l’affiche, le nouveau Top Gun… mais il y a en ce moment une grosse sortie toutes les deux semaines, alors qu’avant, c’était plutôt toutes les semaines. Les petites salles tournent plus avec des habitués qui aiment aller au cinéma et se laisse tenter par des films dont on n’a pas forcément beaucoup parlé… »
Le tout nouveau Club Jeunes Cinéphiles
Autre changement depuis la pandémie : le profil des spectateurs. Beaucoup d’habitués se situaient dans une tranche d’âge plutôt élevé, « mais les seniors peinent toujours à revenir dans les salles », observe Stéphane Libs.
« Ce public avait l’habitude de venir aux séances de 14h ou 16h et on en a perdu une grande partie. À la peur de la contamination s’ajoute le fait que, eux aussi, ont découvert les plateformes. Mais un public jeune, motivé, et même militant de la forme cinématographique les ont remplacé. On ne s’y attendait pas du tout. »
Face à ces nouveaux spectateurs, les cinémas Stars ont décidé d’adapter leurs offres. Depuis février 2022, ils proposent aux 15-25 ans de rejoindre leur Club Jeunes Cinéphiles. L’adhésion annuelle de cinq euros permet d’avoir accès aux films à un prix réduit (tous les films à cinq euros et possibilité d’inviter une personne sur une sélection de film à cinq euros les deux places), de participer à des événements (rencontres, visites,…) et à des apéros avec les autres membres du club. Un compte Instagram et une discussion WhatsApp permettent aussi aux jeunes de partager leurs avis sur les œuvres. Aujourd’hui, plus d’une centaine de personnes fait partie du projet.
Festivals, soirées, rétrospectives et petits prix
Les cinémas Star ont également fait le pari de s’impliquer davantage dans l’événementiel, entre les avant-premières, les festivals, la journée Plug‘n’Play dédiée aux jeux vidéo ou encore les différentes rétrospectives. « On ne peut plus simplement se contenter de proposer une programmation classique », développe le gérant. « On propose au public des rendez-vous inédits, comme la rétrospective Ennio Morricone… C’est beaucoup de travail, mais c’est intéressant de renouveler la façon de faire vivre un cinéma. On est récompensés et on voit que les spectateurs veulent toujours voir des films et ont gardé une grande curiosité. «
Cet été encore, la programmation des Star est bien chargée. La rétrospective d’Ennio Morricone, qui a fait un très bon début, se prolonge jusqu’au 31 août. Commencera ensuite une rétrospective François Truffaut, du 3 au 23 août. Quatre rencontres sont également déjà prévues dans le cadre de l’action nationale Ciné Cool, qui permet à tous les spectateurs d’assister aux séances pour 4,50€, du 20 au 27 août. De bonnes occasions de renouer avec les salles obscures à petits prix.
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