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Starbucks à Strasbourg, tapis rouge pour les rois du café cher payé

Pour ses implantations en Alsace, Starbucks Coffee France a choisi un habitué de la franchise, le mulhousien Kamel Boulhadid du groupe BK. Mais il aura peu de marge de manoeuvre, tant la firme américaine a verrouillé son modèle économique : proposer des cafés hors de prix, avec un discours rôdé et un sourire obligé.

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Starbucks à Strasbourg, tapis rouge pour les rois du café cher payé

Pour inaugurer le salon Starbucks de Strasbourg, le maire (PS) Roland Ries est annoncé, ce qui n’est déjà pas donné à n’importe quelle ouverture de boutique, mais il sera flanqué en outre de son premier adjoint (PS), Alain Fontanel et du président (PS) de toute l’Eurométropole, Robert Herrmann ! Ce n’est pourtant pas l’immense gisement d’emplois qui attire ainsi les élus, le salon n’embauchera qu’une vingtaine de salariés.

Ce n’est pas non plus la perspective d’une activité rentable pour les comptes publics, puisque Starbucks a réussi depuis son implantation dans l’Hexagone en 2004 à ne payer aucun impôt en France, grâce à un ingénieux système de rétribution de la maison mère. Nul besoin de passer par le Panama pour cette optimisation fiscale, il suffit de déclarer des pertes en France, 4,2 millions d’euros en 2013 quand même, malgré un chiffre d’affaires de 84,5 millions d’euros, dues aux remboursements, aux commissions et aux achats.

Cette méthode est légale, elle est appelée le sandwich hollandais, mais elle commence à sérieusement agacer le fisc français et la Commission européenne qui a condamné Starbucks à payer en octobre 2015 des arriérés d’impôts aux Pays-Bas.

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Le Starbucks place Kléber est inauguré par le maire (PS) de Strasbourg Roland Ries, son premier adjoint Alain Fontanel et le président (PS) de l’Eurométropole Robert Herrmann. (Photo MCM / Rue89 Strasbourg)

Non, ce qui attire les élus de l’exécutif municipal, c’est l’aura d’une marque internationale qui a réussi, en quelques années, à installer un comptoir à café dans chaque coin des États-Unis, 19 000 dans le monde et entend bien faire la même chose en Europe. Déjà 90 salons existent en France, sur Facebook une page souhaitant un Starbucks à Strasbourg a réuni plus de 600 « fans ».

En Alsace, le groupe BK à la manoeuvre

Pour s’installer en Alsace, Starbucks France a choisi le groupe BK d’Illzach près de Mulhouse, qui déployait jusque là deux marques : Domino’s pizza et Resto Sushi’s. Pour convaincre, son dirigeant, Kamel Boulhadid, a mis en avant ses résultats : plus de 40 Domino’s Pizza ouverts en France en vingt ans et un groupe dont la holding, BK & A, termine l’année 2015 avec un résultat net de 1,4 million d’euros.

Kamel Boulhadid a aussi séduit en mettant en avant son expérience de « self made man ». À 22 ans, sans diplôme, il a créé son premier Domino’s pizza en carrelant lui-même un garage à Hésingue, selon la légende. Aujourd’hui, le groupe BK emploie plus de 1 000 salariés. L’homme est décrit comme généreux et travailleur. Il a cultivé autour de lui une culture d’entreprise autour de ces valeurs. Dans une vidéo de 2014, Kamel Boulhadid s’est même offert Aimé Jacquet qui dit de lui qu’il aurait fait un « magnifique entraîneur de football » :

Avec ça en France, toutes les portes sont ouvertes normalement… Pour les futurs Starbucks de l’Est (Alsace, Franche-Comté et Lorraine), le groupe BK a donc recruté une centaine de collaborateurs, Kamel Boulhadid l’a lui-même annoncé sur Facebook, mais sous la supervision du « district manager » de Starbucks France.

Un concept encadré à l’extrême

Car si Starbucks a d’abord commencé par implanter directement ses salons en France, son concept est extrêmement encadré pour que les franchisés diffusent exactement le même message d’amour du café. Ainsi employé au Starbucks de l’aéroport de Lyon, René Dugit vient de passer une nouvelle « certification », un examen qui détermine sa connaissance des cafés de la maison :

« Toutes nos tenues sont fournies par Starbucks de la tête aux pieds, le règlement recommande même de faire un usage modéré des parfums et déodorants, qui risqueraient d’altérer l’odeur de café diffusée dans les salons ».

Opéré en franchise par une filiale de SSP, le Starbucks de l’aéroport de Lyon préfigure des conditions de travail qui attendent les employés strasbourgeois. Délégué syndical CFDT, René Dugit estime que le principal problème concerne les horaires :

« Les Starbucks, surtout le nôtre, se caractérisent par une très large amplitude horaire, ce qui demande beaucoup de monde pour servir les clients dans un délai raisonnable. Or, comme il faut rémunérer la marque, l’entreprise est tentée de rogner sur les effectifs mobilisés. On a bataillé ferme avec la direction pour obtenir des plannings sur deux mois, afin que les employés aient une visibilité et qu’ils ne soient plus appelés au dernier moment parce que quelqu’un est malade ou absent. Mais ça arrive encore trop souvent ».

Priés de croire aux bienfaits du café

Formé en quelques jours dans d’autres magasins de la marque, les « baristas », les employés de base chez Starbucks, doivent en outre avaler le discours maison sur « l’art du café » et sur les bienfaits pour la planète et les paysans du monde des commandes de la firme américaine. Pour Starbucks, c’est clair, leur café est le meilleur du monde et en plus les producteurs lui disent merci. Sauf qu’en 2007, l‘ONG Oxfam a révélé que Starbucks oeuvrait pour empêcher l’Éthiopie de protéger ses variétés de cafés. Devant le scandale, le chiffre d’affaires de Starbucks égalant alors le PIB de l’Éthiopie, la firme américaine a reculé.

Dans ses salons, Starbucks cherche à vendre le « mariage parfait ». Vous prenez un cappucino, voici un cookie pour aller avec et pourquoi pas un mug ? Entre la taille du gobelet, le type de café, l’accompagnement et les additifs, le client a six choix à opérer avant de pouvoir déguster son café, ce qui a produit une scène mémorable de « You’ve got mail » :

Management à l’américaine

En 2011, Slate a publié une enquête sur les conditions des salariés de Starbucks en France. Malgré une image à la cool où chaque employé est appelé « partenaire », c’est bien un management à l’américaine qui est en vigueur dans les Starbucks, avec ses pauses non rémunérées, ses optimisations sur la santé des salariés et ses visites surprises incessantes. Gare au salarié qui perdrait son sourire forcé, il se verrait promptement rappelé à sa « mission » par le « shift supervisor ».

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Être salarié chez Starbucks, ce n’est pas être collègues mais « partenaires », une terminologie inventée par Howard Schultz, l’un des fondateurs de la marque qui crée une ambiguïté dans la hiérarchie. (Photo : Marie-Charlotte Méoni)

La CFDT se structure timidement chez Starbucks

Malgré l’image sympathique que Starbucks, ses employés ont dû se battre au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Québec pour faire reconnaître des droits élémentaires. En France, la section CFDT, créée en 2012, est devenue la première organisation syndicale de Starbucks. En octobre 2015, le syndicat affirme avoir obtenu une augmentation des salaires de 2,1%, la revalorisation d’une prime annuelle et plusieurs primes spéciales.

Mouhamed Touré, délégué syndical CFDT chez Starbucks France, reconnaît que la situation s’est améliorée :

« C’est toujours tendu mais il y a eu des progrès. Il n’y a plus de gros problèmes de sécurité ou de santé au travail. Mais on reste très sollicités pour des salaires très faibles. Un barista est payé 9,67€ brut de l’heure, soit le Smic, et 10,04€ de l’heure après 10 mois d’ancienneté. Les cadres sont mieux payés mais ce qui m’inquiète c’est que les salaires sont encore plus bas dans les franchises, qui est le modèle de développement de Starbucks en France désormais. J’ai peur que nos combats ne servent pas à ces salariés… »

Ce sera au groupe BK de faire ces choix. En occupant cet espace de l’Aubette, Kamel Boulhadid s’assure une belle visibilité. Mais le café à 5€ le gobelet parviendra-t-il à couvrir les frais de l’onéreux loyer de l’emplacement, qui a déjà changé trois fois d’enseigne depuis l’ouverture du centre commercial ? Surtout que le groupe BK va devoir dégager suffisamment de marge pour payer les 5 à 7% de royalties sur le chiffre d’affaires qu’exige Starbucks.

Ni Kamel Boulhadid ni Starbucks n’ont accepté de répondre à nos questions.


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