Un vent glacial souffle sur les chaumes du Champ du Feu, ce samedi 23 mars. Venus pour marquer leur opposition à l’édification d’un nouveau stade de biathlon, la plupart des quelques 200 manifestants décident finalement de s’abriter dans le chalet refuge du Département pour casser la croute.
C’est ce même Département, la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), qui planifie la construction et l’extension de plusieurs infrastructures dans les environs, pour huit millions d’euros d’argent public. La moitié serait destinée à la création d’un équipement pour les biathlètes (les détails à retrouver dans notre précédent article), dont la discipline cumule le ski de fond et le tir à la carabine. Un ancien stade daté des années 80 et peu utilisé existe déjà en aval.
Des membres des trois collectifs organisateurs de la mobilisation, le Chaudron des Alternatives, Vallée Debout et l’association Nature et Vie, enchainent les prises de parole pour démontrer l’absurdité du projet. « Ils veulent construire 30 postes de tir. Il y a 28 licenciés biathlètes au total dans le Bas-Rhin », rappelle Pascal Lacombe, porte parole du Chaudron des Alternatives.
Une communication publique discrète
« À entendre les élus, on dirait qu’il n’y a que le tourisme comme activité possible dans la région, lance Lucie au micro… Cet argent servirait plus pour garantir l’accès au logement à tout le monde, ou soutenir l’emploi local pour qu’on ne soit pas obligés d’aller jusqu’à Strasbourg pour travailler. »
Christian, habitant de Bellefosse, commune voisine du Champ du Feu, dénonce un manque de transparence des élus :
« La CeA dit qu’elle a fait toutes les communications dans les règles : trois annonces dans des journaux, des affichages dans les communes et des informations sur son site. Qui est-ce qui a eu connaissance du projet de cette manière ? »
La salle répond par des rires copieux. Beaucoup affirment en avoir entendu parler grâce au réseau militant et associatif, qui l’a exposé dans les médias et a diffusé l’information par mail, malheureusement seulement après la fin de la concertation, qui a duré un mois entre juin et juillet 2023. « Tous les maires auraient dû organiser des réunions publiques », estime Christian. Ses cheveux longs et sa boucle d’oreille lui donnent une allure de rebelle comme on en trouve peu dans les alentours.
La peur de s’opposer
Le matin même, Frédéric Bierry, président de la CeA, est venu échanger avec les opposants. Une démarche bienvenue même si « c’est difficile de l’interrompre », relate Christian, un brin amer. « C’est ça la démocratie aujourd’hui », conspue Nicolas, 39 ans et résident de Grendelbruch :
« T’as des élections qui sont des chèques en blanc, et ensuite en tant que citoyen tu ne peux plus mettre le nez dans les affaires. Les élus nous font leur langue de bois, mettent un tampon écoresponsable et organisent des enquêtes publiques qui ne servent à rien sauf à donner son avis, mais ils font ce qu’ils veulent à la fin. »
Des manifestants sortent du refuge et installent une mise en scène de piste sans neige. Les participants sont invités à l’emprunter en mimant une descente ratée. Certains sont vêtus de combinaisons de ski, pour mieux symboliser l’aberration d’un programme de sports d’hiver alors que la neige manque de plus en plus chaque année dans les Vosges. Des écologistes strasbourgeois d’organisations telles qu’Alternatiba ont fait le déplacement pour soutenir la mobilisation.
Claire vient de Belmont, un autre village tout proche. Elle est bénévole dans un bistrot associatif qui accueille entre 25 et 50 fêtards tous les vendredis soirs. « Quand on en parle avec les gens, ils sont souvent contre mais ils ont peur de s’y opposer, constate t-elle. C’est le problème dans les zones comme ça, où tout le monde se connait. Même si on l’aime bien, quand le maire est là, plus personne ne parle du stade de biathlon parce qu’on sait qu’il est pour ».
Une enquête publique en 2025 ?
Elle déplore, à l’instar de Véronique venue de Mollkirch, ou de Viviane de Breitenbach, « un projet du passé, une mentalité qui considère qu’on a le droit d’utiliser la nature ». « C’est incroyable qu’ils veuillent encore bétonner la montagne aujourd’hui », souffle Véronique.
Matthieu, de Sélestat, pratique le ski de fond au Champ du Feu. Mais cela ne l’empêche pas de contester le stade de biathlon : « Il n’y a jamais personne quand je passe à côté du stade existant. »
La partie du groupe la plus résistante au froid se dirige ensuite vers l’emplacement prévu du futur aménagement, à une demi-heure de marche. S’il neige par intermittence dans l’après-midi, les pistes de la station du Champ du Feu restent désespérément vertes. Une chorale féministe venue de Saint-Dié-des-Vosges entonne des chants sur le chemin.
Arrivé devant les arbres qui pourraient être rasés, Pascal Lacombe désigne la lisière de la forêt. « J’espère qu’on arrivera à la sauver », lance une femme, le bonnet enfoncé sur le front.
Si la concertation s’est terminée à l’été 2023, la Collectivité européenne d’Alsace assure que le projet peut encore être remanié. Elle envisage de soumettre sa version finale à une enquête publique en 2025. Les opposants ont encore du temps pour infléchir les plans du Département.
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