Depuis le 23 mai, les conseillers (CPIP) du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Strasbourg ne travaillent plus dans le cadre d’une action appelée « SPIP mort. » N’ayant pas de droit de grève, ils sont présents sur leur lieu de travail mais ne reçoivent plus les personnes qu’ils suivent habituellement et leur expliquent la situation. Un service minimum est néanmoins accompli, c’est-à-dire s’occuper des nouveaux arrivants en milieu carcéral et rencontrer en milieu ouvert, ceux qui en ont le plus besoin.
À Strasbourg, le SPIP comprend 28 agents. Sept travaillent à la maison d’arrêt de l’Elsau, en situation de surpopulation carcérale, où se trouvent 755 détenus, pour une capacité théorique de 444 places. Un CPIP a donc la charge du suivi de 108 détenus. Leur métier est de préparer la sortie et d’éviter la désocialisation des personnes emprisonnées. Les autres sont basés à Schiltigheim et travaillent en milieu ouvert.
Leurs missions sont nombreuses et comprennent la mise en place de mesures d’accompagnement et de contrôle, le travail de réinsertion et surtout, éviter la récidive. Ces derniers ont à leur charge 2 300 personnes, soit 110 par conseiller. En théorie. En pratique, si l’on prend en compte les congés, temps partiels, formations… un titulaire en temps plein a près de 130 individus à suivre.
En comparaison, en Allemagne un conseiller suit entre 30 et 40 personnes, la moyenne européenne oscille entre 40 et 60 personnes. 60 étant la limite au-delà de laquelle, selon le gouvernement français, le suivi n’est plus viable.
« Le vrai problème, c’est l’enjeu de la sécurité publique »
Un millier de créations de postes avaient été promises par le gouvernement en 2014 dans le cadre d’un plan triennal. Ce dernier a pris du retard et s’est vu prolongé jusqu’en 2017. Seulement, les SPIP n’en ont pas vu la couleur, regrette Bastien Peden du syndicat Snepap-Fsu :
« Les engagements n’ont pas été tenus par le gouvernement. Des postes ont été créés pour la détention, mais rien pour nous. On a du mal à supporter d’être mis de côté par l’administration pénitentiaire. On a besoin de moyens pour tout simplement faire notre travail. Le vrai problème, c’est l’enjeu de la sécurité publique. Notre rôle est d’accompagner ces personnes pour diminuer le risque de récidive. »
Statistiquement, le risque de récidive, encore important aujourd’hui en France, diminue fortement si des mesures d’accompagnement et d’insertion sont prises. Dans le cas contraire, s’il y a récidive, « le SPIP sera pointé du doigt », déplore le syndicaliste :
« Concrètement, on est obligé de voir tout le monde. Il y a des gens que l’on suit plus, les criminels notamment, que l’on voit une fois par semaine. Le reste, c’est une fois par mois, lorsque c’est possible. Ces personnes regrettent qu’on ne puisse pas plus les aider. Je suis convaincu que si l’on avait plus de temps, un grand nombre de récidives pourrait être évitées. Pour y parer, la préparation à la sortie, en milieu fermé et l’accompagnement, en milieu ouvert, sont primordiaux. »
La politique carcérale préférée à celle de la réinsertion
Après les attentats perpétrés en France, le gouvernement a pris des mesures historiques en créant le plan de lutte antiterroriste (PLAT). Les surveillants pénitentiaires en ont bénéficié mais pas les CPIP, ce qui renforce leur sentiment d’être délaissés par leur administration. Parallèlement, l’état d’urgence a eu comme conséquence l’augmentation des faits de justice, et donc des tâches à accomplir pour les CPIP. Bastien Depen l’a en travers de la gorge :
« Le PLAT a débloqué des millions d’euros et a notamment permis l’embauche de personnels pénitentiaires. Nous n’avons rien eu mais on ne se bat pas seulement pour cela. On demande aussi un alignement salariale avec les surveillants et un changement de statut, pour rejoindre la catégorie A de la fonction publique. Le gros problème, c’est cette politique du « tout carcéral ». A son arrivée comme Garde des Sceaux, Christiane Taubira soutenait le travail en milieu ouvert mais ça a fait un tollé. Après son départ, la contrainte pénale a vu le jour, vidée de tout sens car très peu utilisée par les juges. Il faudrait plus de moyens pour les CPIP mais c’est sûr que construire des prisons rassure les gens. »
La directrice de l’administration pénitentiaire en visite à l’Elsau
Vendredi 27 mai, dans l’après-midi, la directrice de l’administration pénitentiaire, Isabelle Gorce, était en visite à la maison d’arrêt de l’Elsau. Près de vingt personnes du SPIP se sont rassemblées pour exprimer leur ras-le-bol et la rencontrer. Bastien Depen était présent et relate l’audience :
« Elle nous a indiqué qu’elle mesurait notre mobilisation et estimait nos revendications parfaitement audibles mais qu’elle n’était pas seule à décider, un arbitrage minitériel est nécessaire. La directrice a bon espoir de sortir de cette crise avant l’été. Donc une volonté affichée de porter nos revendications mais encore rien de concret. »
Estelle Carraud, secrétaire générale Snepap-Fsu, regrette elle aussi que sa branche soit laissée de côté par son administration :
« Initialement, Isabelle Gorce n’avait pas prévu de recevoir les représentants syndicaux représentatifs de la filière insertion probation, mais seulement les organisations syndicales représentatives dans le corps des agents de surveillance, dans le cadre d’un « bilan » du rapport fait l’an dernier par le contrôleur général des lieux de privation concernant la maison d’arrêt de Strasbourg. L’absence même de rencontre prévue avec les organisations syndicales SPIP à cette occasion témoigne une fois de plus du peu de reconnaissance par notre administration des missions remplies par les SPIP. »
À ce jour, la seule avancée pour les SPIP a été l’arrêt du système de pré-affectation. Il mettait des stagiaires, dont la formation n’était pas encore terminée, sur des postes habituellement réservés aux titulaires.
Le 9 juin, à Paris, une rencontre avec les organisations syndicales nationales devait se tenir, mais elle a été repoussée, sans qu’aucune nouvelle date ait été annoncée. La précédente mobilisation des SPIP, qui avait rassemblé 1 000 personnes à Paris, soit un tiers de la profession, n’avait débouché sur aucun engagement.
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