Le bac de philo demandait à ses candidats « le bien être animal est-il un devoir moral ? » Avoir une fourrière est en tout cas une obligation pour les communes. À Strasbourg, cette activité est gérée au niveau de l’Eurométropole, son rôle est de récupérer les animaux errants. En 2014, 600 chats et 450 chiens ont été retirés des rues. Si au bout de 8 jours, personne n’a réclamé l’animal, il va au refuge, qui est en quelque sorte l’orphelinat des animaux.
Depuis 30 ans, l’association de la SPA de Strasbourg, indépendante de la structure nationale, assure cette délégation de service public, tout comme le refuge. Alors que l’association doit déménager dans les nouveaux locaux à Cronenbourg cet été, l’ex-CUS s’est rendu compte qu’elle devait procéder à un appel d’offre. À la grande surprise des membres de la SPA, c’est la société privée SACPA (pour Service pour l’assistance et le contrôle du peuplement animal) qui a remporté le marché.
« Nous aurions préféré que ce soit la SPA »
La décision a été adoptée lors de la très discrète commission permanente de l’Eurométropole. Cette nouvelle assemblée réuni une quarantaine d’élus. Les séances ne sont ni publiques, ni filmées, ni accessibles aux journalistes. Le sujet n’a pas été débattu. Malgré les 28 points à l’ordre du jour, la séance du 22 mai a été expédiée en 27 minutes, appel compris. À la sortie, le président Robert Herrmann (PS) s’était réjoui que la décision avait été adoptée à l’unanimité et des économies futures. La SPA a, elle, reçu un simple email pour la notifier de la décision. Pas même un coup de fil.
Françoise Bey (PS), vice-président de l’Eurométropole en charge de la fourrière animale, justifie la manière de procéder :
« Nous avons dû prendre la décision lors de la commission permanente, car il n’y avait pas de conseil métropolitain en mai et la décision était attendue pour juin. Et l’email leur permettait d’avoir l’information au plus vite, s’ils voulaient faire appel, car sinon il faut un courrier. Dès la construction des locaux, nous avions prévenu la SPA qu’il y aurait un appel d’offres, alors qu’avant nous fonctionnions par convention. Nous aurions préféré que ce soit la SPA car c’est plus simple d’avoir un seul interlocuteur, mais c’est la loi. Le cahier des charges était clair et la SACPA a convaincu. Si nous avions fait du favoritisme, la SACPA aurait pu se retourner contre nous. »
Le président de la SPA de Strasbourg Alfred Gebhardt ne digère pas la décision, ni la manière de procéder :
« Je suis profondément dégouté. Toute l’année, on nous a dit que ce qu’on fait est bien et lors du choix, on ne prend même pas la peine de nous appeler ou de justifier la décision. »
Dans la délibération adoptée que s’est procurée Rue89 Strasbourg (voir plus bas), la SACPA a reçu les notes de 35/35 pour les prix, 41/45 pour les moyens mis en œuvre et 19/ 20 pour l’efficacité contre 31,37/35, 31/45 et 19/20 pour l’association strasbourgeoise. La délibération du compte rendu sur le site strasbourg.eu est bien plus succinte. Quatre lignes.
La délibération adoptée par la commission permanente
3,2 millions d’euros sur 5 ans
Pour l’association, les services administratifs ont réalisé plusieurs manquements dans leur procédure. La SPA de Strasbourg a donc intenté un recours devant le tribunal administratif de Strasbourg. Catherine Bronner, salariée de la SPA, met en doute le bien fondé de la décision de l’Eurométropole :
« Comment une entreprise privée, qui doit réaliser des bénéfices privilégiera le bien-être animal à l’appât du gain ? À ce stade nous avons des doutes et des interrogations. On entend plusieurs choses. Notre offre était légèrement plus chère, mais nous ne pensions que le choix se faisait sur le critère du bien-être des animaux. Nous avons toujours été sous-dotés. En dehors de la CUS, nous intervenons pour les autres communes et aucune ne s’est plainte. »
Plus cher pour récupérer son chat
Il est vrai que la municipalité communique à tout va sur la place de l’animal en ville. Si la situation des animaux devait se dégrader, voilà qui mettrait à mal tous ces efforts. Le marché avec la SACPA est de 2,370 millions d’euros pour 5 ans, soit 474 000 euros par an. Quant aux tarifs, il faudra débourser 150€ pour récupérer son animal après 2 jours, alors que les tarifs de la SPA allaient de 40€ (1 jour) à 120€ (8 jours). L’association concède néanmoins qu’elle aurait « légèrement augmenté » ces tarifs, mais pas dans ces proportions.
Les nouveaux prix, fixés avec la collectivité, font craindre davantage d’abandons de la part des propriétaires les plus modestes. Sur le montant de l’offre de la SPA, plus personne ne veut communiquer à cause de la procédure en cours. Lors d’une délibération de juin 2014, la CUS attribuait seulement 45 519 euros pour un an de plus à la fourrière animale. Mais comme les budgets avec le refuge n’étaient pas distincts, on ne sait pas exactement à quoi correspondait cette somme, qui ne couvrait pas la totalité des dépenses. Le sentiment est que si la SPA avait été aidée à sa juste valeur avant, elle aurait pu conserver la fourrière.
« Un mariage de raison plus que de passion »
La SACPA est une société du Sud-Ouest de la France. Elle affiche un bénéfice d’environ 1 million d’euros par an ces dernières années. Elle a déjà travaillé à Strasbourg pour limiter l’impact des pigeons, mais ce sera sa première fourrière animale en Alsace. Nathalie Joly, animalière de la SPA Lorraine au refuge de Velaine depuis 15 ans n’a rien à redire sur cette cohabitation :
“La SACPA est là depuis 1996 et nous travaillons bien ensemble. Ils ont quelqu’un d’astreinte 24h/24, ce que ne pouvait avoir la SPA. La SACPA fait des stérilisations de chats et les relâche dans des endroits où ils peuvent survivre. Je n’ai pas constaté d’euthanasie. Nous sommes à côté avec le refuge et je peux voir ce que fait l’entreprise. »
Jean-François Fontenau, directeur de la SACPA sait que l’accueil est hostile, mais prend la situation avec philosophie :
“C’est toujours un peu comme ça quand on arrive. C’est d’abord un mariage de raison, puis de passion. On fait nos preuves sur le terrain. Historiquement la défense animale était quelque chose de militant et réservé aux associations, mais aujourd’hui c’est très réglementé. Une entreprise peut assurer cette prestation avec professionnalisme. À Strasbourg, il y aura de beaux locaux. Lors de l’appel d’offre, nous avons eu très peu de contacts, c’était une procédure assez classique. »
Au-delà de 700€, la question se pose
Sur la rentabilité au détriment du bien-être des animaux, Jean-François Fontenau demande à être jugé sur ses actions, mais n’exclut pas d’abréger la vie de quelques animaux :
« Il n’y aura pas de laissé pour compte. Les animaux non-récupérés ont vocation à aller au refuge. Mais quand un chat demande des soins pour 700 à 800€ et qu’il n’a aucune chance de retrouver un propriétaire la question se pose. Il faut trouver des équilibres. »
Catherine Bronner se demande si les divisions à la SPA, ce qu’elle appelle « une campagne de diffamation », dont Rue89 Strasbourg s’était fait l’écho en septembre 2014 n’a pas pesé dans la décision. Des bénévoles exclus critiquent la gestion et accusent la direction d’avoir la main légère sur les euthanasies. La responsable de la chatterie les avait justifié dans nos colonnes en avril, pour les animaux atteints d’une épidémie de typhus et de coryza.
Les dissidents sont aujourd’hui aux côtés de la SPA, mais lors de la manifestation du samedi 13 juin, seule une cinquantaine de personnes étaient présentes et la SPA n’avait pas été conviée. De l’extérieur, l’association peut donner l’impression d’être minée par des conflits internes. Françoise Bey rétorque que cela n’est pas entré en ligne de compte et qu’il faut désormais renouer le dialogue.
Déménagement en suspens
Dans les nouveaux locaux à Cronenbourg, à côté d’Ikea, le réfectoire, le vestiaire, la salle de toilettage, la salle de soin et de chirurgie, ainsi que les archives doivent être partagés entre la SACPA et la SPA. Si le projet se concrétise, les débuts risquent d’être amers et l’ambiance tendue.
L’audience en référé du lundi, c’est-à-dire en urgence, suspend la signature du contrat. Le juge s’accordera peut-être un délai de réflexion de quelques jours après l’audience. Si la SPA n’obtient pas gain de cause, elle pourrait attaquer le bien fondé de la décision « sur le fond ».
Des locaux adaptés étaient en demande depuis 15 ans. Après d’innombrables retards, le déménagement rue de l’abattoir, renommé rue de l’Entenloch pour les circonstances, est programmé pour cet été. Mais pour Catherine Bronner, cela n’est plus urgent :
« Nous sommes propriétaires des murs et locataires du sol. Le bail court sur 15 ans. Si l’Eurométropole veut nous déloger, il faudra engager une procédure. »
Problème, la SPA est situé route du Rhin, bien que cet axe est l’un des plus pollué de Strasbourg, il fait parti du futur quartier Deux-Rives. Le tram D vers Kehl, doit y passer et les travaux autour des chenils ont déjà commencé. Si l’affaire traîne, voilà de nouveaux retards qui se profilent. Alors que la fronde des dissidents semblait passer, la SPA se prépare à un nouvel été agité.
Aller plus loin
Sur DNA.fr : lettre ouverte à l’Eurométropole
Sur Rue89 Strasbourg : tous nos articles sur la SPA de Strasbourg
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