« La période actuelle me rappelle celle de la guerre, dans le sens où tout était au ralenti ». Depuis son appartement à Illkirch-Graffenstaden, Pierre, 92 ans, guette les rares voitures qui passent sur la route de Lyon. « Tout était limité : les sorties, les spectacles, l’alimentation. Bien sûr, c’était d’autres circonstances. Là, on parle d’une quinzaine de jours. À l’époque, on n’avait aucune idée de la durée… On attendait les Américains, mais c’était un espoir incertain. » Le discours d’Emmanuel Macron lundi 16 mars, durant lequel il a prononcé six fois le mot « guerre », a ravivé des souvenirs chez ce retraité de l’Éducation nationale.
L’aide à domicile de Pierre étant suspendue, il reçoit la visite de sa fille, retraitée depuis peu également, qui respecte les distances de sécurité. D’une certaine manière, il trouve la période actuelle moins dramatique que l’Occupation mais plus contraignante. « On pouvait sortir comme on voulait à condition de rester en Allemagne. Je suis allé me balader à Berlin ou à Leipzig ». Mais il était par exemple plus dur de communiquer. « Mes parents n’avaient pas le téléphone. Il y avait les lettres, mais j’en envoyais guère plus d’une toutes les deux semaines. Quand j’allais voir mes grands-parents dans le Haut-Rhin, je leur écrivais pour leur dire que j’étais bien rentré. »
Après s’être rappelé du conflit, il se remémore aussi l’après et se demande si l’Histoire va se répéter :
« Toute l’Économie était dirigée sur une seule chose : l’effort de guerre. Pendant les combats, les prix étaient réglementés. Mais à la reprise, la libre concurrence s’est remise en place et il y a eu une forte inflation. Heureusement les salaires avaient suivi. Il n’y avait pas le choix. »
« L’occupant était plus martial »
Francine et Jacques, habitants de la Robertsau, sont surtout frappés par « le changement des mentalités de la population » face aux consignes du président de la République.
« C’était un discours de bon sens, mais il n’a pas été bien compris. La première semaine, on a encore vu des déménageurs sans masque qui ne respectaient pas les distances de sécurité », remarque Jacques, étudiant en 1939 avant de se réfugier dans l’Allier. « Quand l’occupant donnait des consignes, c’était plus martial », tranche son épouse qui vivait dans la zone occupée.
Francine se rappelle aussi des fortes restrictions, qui n’étaient pas seulement alimentaires :
« On avait peu de nouveaux vêtements. Quand on pouvait remplacer ses souliers, on avait le droit à une seule paire de chaussures, avec une semelle en bois ».
Mais en 2020, la menace est invisible :
« En 40, il y avait la crainte de la police allemande. Là, il y a un ennemi invisible et on voit une forme d’insouciance, malgré la pédagogie des médecins. Si le danger était compris, les Français ne joueraient pas trop aux marioles. »
Elle garde le souvenir d’une société « moins personnelle et moins égoïste ». « Dans la file des épiceries, tout le monde attendait une heure de manière stoïque », poursuit celle qui était pensionnaire dans un collège. Pour autant, elle n’idéalise pas le passé. « Il y avait aussi quelques profiteurs, du pillage et du marché noir, ce qu’on a vu réapparaître avec les masques. »
« Ces files m’ont rappelé les tickets de rationnement »
Maud avait 10 ans, lorsque la guerre a débuté :
« À l’époque, il n’y avait que la radio pour s’informer. Mon père est rentré un soir d’août et il a dit qu’il y avait de grandes affiches “Sauve qui peut”. On avait fait la valise en trois heures et nous somme partis d’un coup à Senones dans les Vosges, où ma mère avait des amis. »
Ce sont surtout les premiers jours avant le confinement total qui ont ramené Maud près de 80 ans en arrière :
« Quand j’ai vu les files devant les supermarchés, je me suis dis que l’on pourrait refaire des tickets de rationnement. On les récupérait à l’administration, on avait le droit à 50 grammes de pain blanc par personne et par jour, la viande aussi était limitée. Les parents travaillaient et les enfants faisaient les courses après l’école. Comme on connaissait la boulangère, qui était à peine plus âgée que nous, on fauchait discrètement des tickets dans sa caisse quand elle repartait à l’atelier. »
Pendant ce confinement, elle regarde les trams passer depuis son appartement à la Meinau, aux côtés de son mari alité. L’infirmier « masqué et qui prend ses précautions » ne passe plus que deux fois par jour, le matin et le soir, contre trois avant le confinement.
Elle se demande si la France connaîtra des scènes de pillages similaires à celles qu’elle a connu. « À Senones, il y avait beaucoup de boutiques italiennes qui ont été cassées lorsque l’Italie a rejoint le camp de l’Allemagne. Mais on y trouvait des légumes, alors que les enfants espéraient des bonbons ou du chocolat. »
« En 40, il suffisait de se taire pour se protéger »
Boucher, son père pratiquait le troc qui s’était mis en place. Il réservait aussi quelques pièces pour des juifs cachés. La famille de Maud est ensuite rentrée à Strasbourg où elle n’a pas le souvenir de difficultés de déplacement pendant son adolescence :
« Il n’y avait pas de couvre-feu. On a juste une fois été en danger quand les sirènes ont retenti trois fois, il avait fallu s’abriter dans une cave rue du Dôme. »
Respectueuse des consignes et avec des réserves de nourriture dans ses étagères, Maud ne se sent pas en péril aujourd’hui. Elle trouve néanmoins « la période actuelle plus dangereuse » :
« Ce virus peut facilement être transmis. Pendant la guerre, il suffisait de savoir se taire, réfléchir et agir. »
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