Doucement, les moteurs commencent à vrombir. L’un après l’autre, les camions syndicaux se mettent en ordre, avenue de la Paix. En tête, celui de la CGT parade fièrement, affublé d’une dizaine d’étendards rouges et jaunes, suivi d’une ribambelle d’autres fanions de couleurs. Du bleu CFTC à l’orange de la CFDT, tout l’arc-en-ciel syndical y passe et démontre que l’unité entre les huit principaux syndicats de salariés reste solide. Autour d’eux, convergent ce mardi 7 mars des milliers de manifestants, syndiqués ou non, mobilisés pour la sixième fois contre la réforme des retraites voulue par le gouvernement.
« Nous ferons la grève reconductible s’il le faut »
Juché sur la remorque d’un tracteur rutilant, le président de l’Union départementale du Bas-Rhin de la CTFC, Emmanuel Printz, observe le mouvement de ses syndiqués vers son attelage. « Il y a un effet dernière ligne droite qui se fait sentir. On arrive au bout du cycle parlementaire, on sent que c’est important de rester mobil… » Boum. À moins d’un mètre, coup de semonce d’un membre de la CFTC testant le matériel sonore au prix des tympans limitrophes. Hilare, Emmanuel Printz reprend : « Nous serons tout aussi mobilisés, s’il faut dès le 11 mars, ou plus tard, aussi longtemps qu’il le faudra. » Avec des grèves reconductibles ? Le syndicaliste hésite. « Nous ferons la grève reconductible s’il faut, nous suivrons nos consignes nationales. »
Au volant d’une camionnette plus modeste, à quelques mètres de là, Michel fait la moue. « Le mouvement doit se faire collectivement, en évitant les guéguerres. Et il ne faut pas que certains syndicats (les réformistes) plient, si le gouvernement annonce deux ou trois petites concessions. » Syndiqué chez Sud – industrie, il ne croit pas à un renoncement soudain de l’exécutif sur le texte :
« Le gouvernement ne recule pas, n’écoute pas, alors il faudra que le mouvement durcisse. On doit montrer les dents, si je peux dire. »
Cortège politico-syndical
Alors que le cortège commence à se mouvoir, un premier embouteillage se forme déjà devant le Théâtre national de Strasbourg. Un petit groupe d’élus municipaux, entourant la maire Jeanne Barseghian, draine à eux des manifestants et quelques journalistes. Sa participation – avec deux béquilles – est remarquée et ravira ses alliés communistes, toujours friands d’un engagement plus visible contre la réforme des retraites.
« Ce sera ma troisième manifestation contre le projet de loi », commence Marc Hoffsess. L’adjoint en charge de la transformation écologique profite de la journée ensoleillée pour échanger quelques mots avec ses collègues. L’ambiance est légère, presque estivale, malgré le vent frigorifiant. La municipalité pourrait-elle s’engager un peu plus, au-delà de cette balade syndicale ? L’élu hausse les épaules :
« C’est un débat qu’on n’a pas tranché, chez nous. Il faut qu’on respecte toutes les sensibilités de notre majorité. Personnellement, je suis assez contre la mise en grève de nos services administratifs. Il y a des gens qui ont besoin du service public, tout en étant opposés à la réforme, il ne faudrait pas les pénaliser. »
« Pas de lassitude »
Progressivement, le cortège trouve son rythme de croisière. Aux alentours de la place Broglie, des manifestants s’essayent à quelques pas de danses hasardeux, sur un air de musique non identifiée. « Je ne pensais pas que ce serait aussi festif », commente Chloé avec un sourire. La jeune institutrice de 25 ans manifeste pour la première de sa vie :
« Je ne serais pas venue seule, mais à plusieurs ça donne du courage. Et j’aime bien les vieilles musiques qui passent, ça fait une raison de plus de venir en manif ! »
Derrière, dans une portion de cortège sans drapeaux, Laurence partage l’enthousiasme. Travaillant comme directrice adjointe au Théâtre TJP, elle est venue avec une partie de ses collègues, ou des membres du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles. « Je retrouve beaucoup de visages familiers, parce qu’on est dans des métiers avec des carrières particulièrement hachurés. » Après toutes les journées de mobilisation qu’elle a connu, sa frustration continue de croître. « Mais pas de lassitude. Enfin si, contre l’attitude du gouvernement, qui se fout royalement de la parole de la rue. »
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