Une fille rencontre un garçon… L’histoire de Simple comme Sylvain paraît banale mais on en redemande quand celle qui la raconte, l’actrice et réalisatrice québécoise Monia Chokri, pourrait être la petite sœur féministe de Woody Allen. Elle commence par une cassure, celle de Sophia (Magalie Lépine-Blondeau) et de Xavier (Francis-William Rhéaume), ensemble depuis dix ans. Tous deux universitaires, ils partagent les mêmes lectures mais plus le même lit. Les discussions sur l’extinction de l’Humanité commencent à fatiguer Sophia quand elle rencontre Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), l’homme à tout faire qui est censé réparer sa résidence secondaire.
Sylvain vit à la campagne, aime la chasse et cite Michel Sardou plus volontiers que Schopenhauer. Pourtant Sophia est bouleversée. Monia Chokri, qui s’amuse des comédies romantiques et autres romans photos, filme ses personnages à coups de zooms très « seventies », sur des couchers de soleil kitsch, c’est réjouissant. Sur le fond, le film reste partagé entre humour féroce et gravité.
Rue89 Strasbourg: Dans les histoires d’amour, la rencontre entre deux personnes que tout oppose, ici deux milieux sociaux différents, est un classique. Que vouliez-vous apporter de nouveau ?
Monia Chokri: Je ne me suis pas dit que je m’inscrivais dans un genre en particulier et que j’allais tenter de le révolutionner. Je voulais écrire une histoire d’amour, car c’est un sujet sans fin, qui me passionne. Au Québec, de plus, il n’y a pas beaucoup de films qui parlent d’amour, le dernier cela doit être Laurence Anyways de Xavier Dolan.
Nous sommes une des nations où les rapports hommes-femmes sont les plus égalitaires au monde et cela doit changer mon regard sur les relations amoureuses. Souvent, dans la littérature comme au cinéma, ce sont les femmes qui viennent d’un milieu social inférieur, comme dans Pretty Woman ou Love story… Mais dans cette histoire Sophia est une femme puissante.
On nous a beaucoup martelés que la femme a besoin d’un homme pour s’élever. Cela reste compliqué quand la femme a un statut social supérieur à l’homme. Mais j’ai l’impression qu’aujourd’hui les jeunes hommes ne sont plus mal à l’aise d’être avec une femme puissante. Je voulais aussi qu’on ne soit pas dans un rapport toxique, d’un homme qui refuse de s’engager et d’une femme qui lui court après. Sylvain est émotionnellement disponible.
Votre récit est émaillé de figures de philosophes masculins qui ont réfléchi sur l’amour, Platon, Schopenhauer, Spinoza… pour finir sur une femme: bell hooks, autrice et militante féministe afro-américaine.
J’étais très contente de conclure avec bell hooks, ce n’était pas prévu au départ, mais j’ai lu son livre À propos d’amour pendant le montage du film. Ce livre m’a vraiment aidé à grandir, il a changé ma façon de penser et j’ai rajouté le passage sur bell hooks en VFX (effets spéciaux, NDLR). Je me suis rendu compte que c’était des hommes qui avaient pensé les rapports amoureux et qu’encore une fois, on était construit par ces points de vue. bell hooks apporte une parole libératrice, son regard sur l’amour est teinté du poids des luttes qu’elle a mené, elle aurait pu avoir une parole de victime mais elle a une parole active. Pour elle, l’amour est un choix. Je voulais aussi la citer car elle est encore mal connue dans le monde francophone, À propos de l’amour (All About Love: New Visions), qui date de 2000, n’a été traduit en français qu’en 2022.
À deux reprises, Sophia prononce la phrase « On ne devrait pas faire ça » quand elle s’apprête à coucher avec son nouvel amant, puis avec son ancien amant. Dans un cas, elle se laisse aller à son désir, dans l’autre, elle subit le désir de l’autre… Cette deuxième scène est très violente.
Je n’avais pas remarqué cela ! Voilà qui me fait remonter mon inconscient ! Dans sa relation avec Sylvain, je voulais que le spectateur soit de plein pieds dans son désir à elle : elle affirme son désir et Sylvain lui confère du plaisir.
Dans la deuxième scène avec Xavier, son ex-compagnon, je montre un garçon qui n’a pas été éduqué à écouter l’autre. Il lui dit « J’en ai besoin« , il se place en victime et elle ne veut pas l’humilier dans sa virilité. Malheureusement c’est la vérité de la vie des femmes : on n’est pas bien quand on sort de ça, mais on se dit que c’est un moment « plate » à passer. Le souci, c’est que les femmes se sentent redevables, par exemple ici, de l’attention que Xavier lui a porté dans la scène qui précède.
Grâce à votre film, on apprend que Michel Sardou est connu au Québec ! Il vous a donc donné l’autorisation d’utiliser « La première fois qu’on s’aimera » ?
Oui, je ne sais pas si c’est lui directement, mais on a eu l’autorisation ! Disons que Michel Sardou est connu par la génération de mes parents, les jeunes québécois d’aujourd’hui ne le connaissent plus vraiment. Les réactions sont plus fortes en France quand on fait la blague sur Sardou. Je voulais montrer le snobisme des intellectuels vis à vis de la culture populaire, cette chanson n’a aucun sens mais c’est plutôt beau.
Xavier Dolan, avec qui vous avez beaucoup travaillé, a dit qu’il arrêtait le cinéma. Est-ce que vous allez continuer à faire des films ?
Oui ! L’art est utile et cathartique ! L’être humain fait de l’art depuis toujours, déjà dans les cavernes il posait ses mains sur les murs ! Ce n’est pas accessoire. Quand je vois les gens sortir de mon film et qu’ils me disent qu’ils ont ri, qu’ils ont envie de faire l’amour ou de tomber amoureux, je vois bien que ce n’est pas vain. Et même au-delà de la relation amoureuse, le couple est une métaphore. Le film pose la question de la rencontre avec l’Autre en général : est-ce qu’on est encore capable de se rencontrer ? On a besoin de sublimer le réel.
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