Un micro, une connexion et hop, un dispositif espion est planté quelque part. À l’autre bout, quelqu’un écoute, retranscris, annote. Cette scène qui pourrait être issue d’un film d’espionnage se banalise à l’ère des dispositifs connectés, tous dotés d’un micro et d’une caméra. Cette hyperconnexion du quotidien, deux artistes strasbourgeois ont décidé d’en explorer les conséquences, afin, peut-être, d’alerter les citoyens sur le monde que nous sommes en train de tisser.
Voyeurisme sonore ou découverte des autres ?
Accueillis en résidence à Strasbourg en décembre, au Shadok, Gaëtan Gromer et Léo Henry ont mis en ligne une application pour smartphones, appelée « Nous Autres » (Apple AppStore, Google Play Store) dont l’objectif est double : mettre l’utilisateur dans le rôle de « l’écoutant » et faire appel aux Strasbourgeois pour qu’ils alimentent l’énorme base de données sonore qui sera dévoilée au printemps.
Une fois lancée, l’application pioche un son en fonction de l’heure et de la localisation de l’utilisateur, et diffuse un enregistrement qui semble provenir d’un immeuble voisin, d’un appartement ou d’une entreprise… Scènes du quotidien, une famille en train de prendre son repas, une mère qui change son enfant, un couple devant la télévision… Les sons se succèdent au gré des errances de l’utilisateur, transformant l’utilisateur en intrus. Comment va-t-il se comporter ? Sera-t-il rétif ou deviendra-t-il accro ?
Appel aux Strasbourgeois pour enregistrer leur vie
Les sons ont parfois été créés par Gaëtan Gromer et Léo Henry, au sein d’un « parcours sonore » qui sera disponible à Strasbourg le 10 avril. Mais ils peuvent tout aussi bien avoir été directement envoyés par d’autres utilisateurs, via la même application. « Nous autres » est une œuvre collective, participative, constituée par les sons produits et ceux récoltés mais aussi par les réactions et les parcours qui seront engendrés. Gaëtan Gromer refuse de tout dévoiler, pour préserver le mystère :
« Nous recréons une diffusion des sons en fonction de la typologie de la ville, mais nous n’avons pas l’intention de diffuser les sons à partir du lieu exact où ils ont été produits. L’idée est d’alerter sur la menace d’une société multi-surveillée, pas d’en créer une ! Nous avons besoin de Strasbourgeois, de tous les âges, de tous les milieux et de partout pour compléter la base de données sonore, qui compte déjà plus de 1 000 titres. Il n’y a pas de règles, tous les sons sont les bienvenus et nous les écouterons tous avant de les ajouter. De notre côté, nous avons prévu des morceaux qui emmèneront les gens… ailleurs. »
Ailleurs ? Ailleurs où ? Ça, c’est le domaine de Léo Henry, écrivain strasbourgeois, « apparu sur Terre en 1979 » et travaillé par la modernité :
« Nous allons entretenir l’illusion que ce que les gens écoutent se déroulent réellement au moment où ils l’écoutent. On a pensé à quelques trucs pour ça, mais on ne peut pas tout dire. Ce sera aux utilisateurs de se faire leur propre opinion, et nous, on observera ces comportements. »
Quelles données produit-on et qui les regarde ?
Car Gaëtan Gromer et Léo Henry ont bien hâte que leur application soit installée sur les smartphones de milliers de Strasbourgeois, avec comme objectif de regarder quelles sont les données que produit une telle communauté pour éventuellement, à nouveau produire une œuvre en les publiant. Gaëtan Gromer explique :
« Pour l’instant, notre application est très simple et basique. Elle ne se lance que sur sollicitation directe de l’utilisateur. Mais on peut tout à fait concevoir une application qui envoie les données de géolocalisation ou d’autres statistiques d’usage, ou bien une qui active le micro à l’insu de l’utilisateur par exemple… On pense aussi à ajouter des notifications, pour reprendre contact et voir comment réagiront les gens qui auront alors oublié l’application… On verra ce qu’on fera, une fois qu’on aura des milliers d’installations… La différence avec les applications existantes, c’est qu’on demandera clairement aux utilisateurs s’ils sont d’accord pour participer. »
Gaëtan Gromer et Léo Henry n’en sont encore qu’aux balbutiements, leur application est née en septembre et sort à peine de la version « beta ». Mais elle s’enrichit en contenu et en fonctionnalités à chaque résidence, que les deux artistes comptent bien multiplier. À l’heure des applications qui mesurent le rythme cardiaque, il faudra bien ça pour s’interroger sur les données que nous produisons et leur destination.
Aller plus loin
Sur Google Play Store : l’application « Nous Autres » à télécharger.
Sur Apple AppStore : l’application « Nous Autres » à télécharger.
Les Strasbourgeois peuvent contribuer aux sons qui seront diffusés dans l’application dès à présent. Le parcours sonore sera disponible le 10 avril.
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